Gandhi à Gaza

  • 08. août 2018
  • air du temps
  • Pas de commentaire

1522432572_gaza-12-morts-ensanglantent-la-grande-marche-du-retour.jpg

Il s’est mis sur le petit rocher. Il voit la foule avancer. La foule de celles et ceux qui vivent dans une prison à ciel ouvert. La foule de celles et ceux qui n’ont plus rien à perdre, de celles et ceux qui ont été chassé de leur terre il y a 70 ans, qui ont le droit et la justice pour eux, et des fusils sur la tempe.

Il secoue la tête pendant que la foule avance vers les barrières de sécurité et que les soldats chargent leurs armes pour viser celles et ceux qui sont devant. Il regarde mieux. Ce n’est plus une foule qu’il voit, mais des femmes et des enfants, des avocats et des médecins, monsieur et madame tout le monde, un vieillard qui marche courbé, un homme en chaise roulante que son frère pousse. Ils se dirigent vers les barrières de sécurité. [1]

Il voit l’arrogance du pouvoir, cette toute puissance crasse du pouvoir colonial, de la force pure et de l’abus. Il sait qu’à quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la  barrière, des officiels, triomphants, fêtent, protégés par des centaines de soldats et de policiers. Ils trinquent, gorgés de pouvoir à l’établissement d’une humiliation supplémentaire. Ce sont des petits blancs qui sont là, de jolis blonds américains, des occidentaux venus faire la loi et poursuivre l’état des colonies. Du sang sur les mains. Du sang sur les mains.

Au moment où certains commémorent la Nakba, l’exode palestinien de 1948 en agitant les clés et criant leur droit au retour, d’autres rajoutent une humiliation de plus à une très très longue série. Ils trinquent, en appuyant de leur bottes sur les visages de celles et ceux qui sont placés sous eux. Qui pour protester devant cette injustice?

De l’autre côté de la barrière, enfermés à double tour, les boulangers et les ferrailleurs, les pécheurs et les balayeuses continuent de marcher vers les barbelés.

Gandhi reconnaît la profonde résolution de celles et ceux qui ont un droit et qui sont prêt à mourir pour. Il voit les fusils s’abaisser et les soldats tirer sur les boulangers, les enseignantes, les enfants, à les tuer les uns après les autres, comme des lapins, comme des pipes en plâtre à la foire, comme à Sabra et Chatila les sinistres exécutants, comme s’ils en avaient le droit, comme si ces vies là n’avaient pas d’importance, leur appartenaient, et qu’ils pouvaient en couper les fils comme ils le voulaient.

Les soldats sont bien protégés derrière leurs casques, intouchables derrière leurs remparts, riant de l’éclat intouchable des lâches que la domination a placé du bon côté de la barrière.

Impossible de plaider la légitime défense, aucun inconscient ne le ferait. Gandhi est avocat de formation, il sait distinguer un assassinat d’une bavure, la légitime défense d’une exécution.

Gandhi est venu à Gaza, il y vu la marche non violente du peuple de Gaza pour obtenir ses droits et briser ses chaînes. Il a vu le sang de ceux qui subissent les vexations racistes, les préjugés, l’enfermement, les rationnements, et l’assassinat.

Et il a entendu les gouvernements qui plaident la paix et la démocratie s’accommoder d’un massacre immonde et se taire honteusement. Et il a entendu les états amis ronchonner un peu mais continuer de s’accommoder de l’innommable comme s’ils n’avaient aucune responsabilité là-dedans et comme s’ils ne jouaient aucun rôle. 

Gandhi se rappelle d’Amirtsar, en 1919 lorsque les troupes britanniques avaient tiré sur son peuple, femmes et hommes réunis dans les jardins de Jallianwallah Bagh. Plus de 379 morts et 1200 blessés, un général anglais acclamé à son retour en Angleterre devenant un héros. Ce fut le début d’une grande lutte d’indépendance.

Aujourd’hui, les soldats israéliens tirent dans la foule démunie comme hier les anglais tiraient sur les indiens et les français sur les algériens.

Seront-ils arrêtés avant d’avoir supprimés 1,9 millions de gazaouis ?

Gandhi se lève et va saisir un drapeau noir rouge vert et blanc. Il avance vers les barrières.

Il y a plein d’enfants qui courent autour de lui. Ils rient de ses petites lunettes et de son drôle de costume qui flotte au vent.

Ils s’en amusent, comme des cerf-volants qu’ils voient danser au dessus de leurs têtes.

 

 

 

[1]http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/15/des-palestiniens-abandonnes-et-deshumanises_5299183_3232.html

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *