L’anonyme et le génocide du parc La Grange

  • 08. août 2018
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Ta connerie est sans limite, toi, qui a fait deux croix ciblées sur deux visages de survivants du génocide du Rwanda au parc Lagrange, Genève, en ce mois d’août.

Mais elle montre aussi, à revers, et malgré toi, toute la beauté et la force de ces photos, et le profond travail de Lana Mesic, qui nous oblige à réfléchir à la violence, au pardon et aux raisons profondes de ceux-ci.

Tu es passé devant cette photo et as choisi de l’attaquer en faisant deux croix noires sur deux visages noirs. Tu n’as sûrement pas compris qu’il s’agissait là d’un bourreau et d’une victime, que ces deux-là, plus de 20 ans après le génocide du Rwanda, nous donnaient, par leur geste et leur présence, par le fait d’avoir accepté de se retrouver ensemble, une incroyable et troublante leçon de vie.

Des croix, au Rwanda, il y en a eu environ 800’000 entre avril et juillet 1994, mais tu l’ignorais peut-être. Tu as pensé qu’il fallait ajouter les deux tiennes. Ou alors tu n’as pensé à rien. Hannah Arendt a beaucoup parlé de la banalité du mal. Le mal qui peut être à la fois banal et extrême, alors que seul le bien est radical… mais tout ça pour toi c’est peut-être comme du chinois quand tu tiens, puissant, ton petit feutre dans ta petite main.

Avant ce travail, l’artiste Lana Mesic dit qu’elle n’avait jamais touché la main d’assassins. Par cette série de photos,  elle montre les survivant.e.s et les agresseurs, côte à côte, s’embrassant, buvant ensemble, l’un debout, l’autre assis. Par ses photographies, elle rend compte de la proximité tissé avec celles et ceux qu’elle a choisi d’immortaliser. Elle nous permet de réfléchir à ce que signifie vivre côte à côte, après un génocide, avec les bourreaux de ses proches, avec ceux qui ont attenté à votre vie, et toujours avec les morts qui bien que morts, continuent d’être présents, et de peupler les mémoires.

Tu es passé à côté de ces portraits et tu as fait deux croix sur deux visages. Je me répète peut-être, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Par racisme, bêtise, ennui, volonté de nuire, méchanceté, inconscience? Plutôt que de chercher sans réponse les raisons stupides qui t’ont mené, je constate que malgré toi tu as réalisé une sorte de nouvelle oeuvre.

Oui. Malgré ta bêtise nihiliste, tu as crée une sorte d’égalité forcée entre le bourreau et la victime d’hier, qui se retrouvent encore presque davantage unis, soumis à ta même brutale stupidité. Ils deviennent des égaux, et toi seul, en intervenant, tu te distingues. Tu montres que le mal n’est jamais fixé sur une seule figure, mais qu’il la dépasse sans cesse, que ses racines sont si nombreuses et anonymes, qu’elles sont partout. Toi aussi, l’anonyme, tu joues ton rôle.

Peut-être, certains diront que ce n’est rien. Juste deux croix noires sur une affiche rouge. Qu’il y a beaucoup de petites nuisances urbaines, petits tags et déchets divers, et qu’il ne faut pas monter sur ses grands chevaux pour si peu. Peut-être, oui, il y en aura ici pour dire cela et invoquer le hasard et demander de banaliser toute cela, hausser les épaules et regarder ailleurs.

Moi, je n’y crois pas. Il y avait beaucoup d’affiches à griffonner. Pourquoi celle-là?

Que tu t’arrêtes pour biffer deux visages, dans un parc paisible d’un lieu de paix, montes bien haut ton bras, peut-être à la verticale pour, presque sur la pointe de tes pieds, être bien certain de barrer ces visages, comme pour les supprimer, cela ne devrait pas laisser indifférent.

Je me demande si je te connais, si tu habites le quartier, es l’un de mes voisins.

Je me demande ce que j’aurais fait si je t’avais vu faire.

Comment je t’aurais traité.

Et s’il y a eu des témoins, s’ils se sont tu ou ont essayé de t’interpeller.

Toi, passant anonyme, et sans visage.

 

 

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https://www.lanamesic.com/work

 

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