Face au deal de rue : changer de méthode !

  • 26. juin 2022
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Dans La Tribune de Genève, la police réagit à des problématiques récurrentes concernant la drogue aux Pâquis en incriminant…. la piétonisation ! [1] Quelle sinistre blague. On est en droit de se demander alors pourquoi ça continue de dealer autour du quartier des banques, à la plaine de Plainpalais, à la gare à la Jonction, etc malgré des avenues bien droites et les passages des voitures de police.

L’échec patent des politiques anti-drogues, et de la politique visant à faire la chasse aux dealers est flagrante et dure depuis des années. Rien de nouveau. Plutôt que de faire toujours la même chose, il serait temps de changer de paradigme et de stratégie comme le recommande les expert(e)s. Pas un mot de Monsieur Poggia en charge de la police, silence du côté de Madame Barbey-Chappuis en charge de la police municipale. L’échec de la politique de la lutte contre la drogue est un tel échec que la droite incrimine maintenant la piétonisation.

Pourtant, à la fin de l’année 2021, une pétition des habitant(e)s des Pâquis alertait les député(e)s du Grand Conseil sur la question du deal aux Pâquis[2]. Ces habitant(e)s faisaient un constat sévère : celui d’une usure liée aux tensions entre habitant(e) et vendeurs de drogues. Pour les habitant(es), il y avait un véritable problème dans la réponse des pouvoirs publics face aux problématiques qu’ils et elles subissaient au quotidien. Visiblement, le tout caméra des Pâquis, solution coûteuse, ne remplissait pas sa mission. Fatigué(es) les habitant(es) demandaient intelligemment un train de mesures, échelonnant ces dernières du court terme au long terme, afin de développer une réponse pérenne et pragmatique face aux enjeux liés à la vente et aux consommations de produits psychotropes dans le quartier.

Mettre tout le monde autour de la même table

Les habitant(es) développaient des propositions allant des plus répressives et axées sur le rôle de la police aux plus préventives et travaillant le lien social. Cette intelligence des habitant(es) de proposer des mesures mixtes sans tomber dans un angélisme qui écarterait d’emblée la réponse policière, ni dans un tout répressif qui occulterait l’impuissance et l’échec patent depuis des décennies de ce genre de dispositifs nous semblait pertinent et bien articulé. La présence policière à pied a un effet réel, et la médiation sociale est également nécessaire pour faire le point de la situation, analyser les problèmes et discuter avec la population. C’est bien de nouvelles collaborations et d’une redéfinition du travail en réseau de certains professionnels qu’il était question ici.

Une méthode qui a fait ses preuves ailleurs

Les pétitionnaires, s’inspirant de l’exemple existant à Lausanne, de correspondant(e)s de nuit et le renforcement du rôle des travailleurs(euses) sociaux(ciales) hors murs sur le terrain proposaient de soutenir les associations du quartier afin de favoriser la réappropriation de l’espace par les habitant(e)s. Bien conscient(es) que le problème du deal de rue ne peut être éradiqué mais seulement déplacé ou aménagé selon certaines heures, les habitant(es) proposaient de poser les bases d’un déplacement de la scène de la vente de drogue vers des zones non habitées en s’inspirant d’exemples pratiqués dans d’autres villes suisses. Le côté stimulant de cette pétition était de nous inviter à sortir des logiques de silos pour proposer de nouvelles réponses face à l’enlisement actuel et l’échec des politiques actuelles de « guerre à la drogue ».

Pour des approches pluridisciplinaires efficaces

Les habitant(es) invitaient à une réflexion sur l’urbanisme, sur la cohabitation de divers publics, et à long terme proposaient d’aménager des zones piétonnes et de réaliser le projet « Croix-Verte », que le Grand Conseil avait d’ailleurs soutenu. Le travail des habitant(es) nous invitait à développer une vision pour une véritable politique de la Ville, de manière coordonnée et congruente entre les services du Canton et de la Ville de Genève, ce qui manque toujours cruellement aujourd’hui.

Urgence d’agir !

Pour les habitant(es), la situation s’est péjorée depuis quelques années. Lorsque le deal a commencé, la cohabitation était presque quotidienne, et il n’y avait pas d’agression ni d’intrusion dans les allées des immeubles.  Monsieur Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement Romand d’Etudes des Addictions (GREA) a souligné la justesse de l’analyse des habitant(es). Pour cet expert, le fait que le marché de la drogue soit de nature économique, avec un calcul de risques et d’opportunité, que le marché de rue n’est pas le marché de la drogue majoritaire et qu’il ne représente qu’une minorité mais que l’essentiel du marché de la drogue se passe de gré à gré au travers de canaux sociaux, est un élément important La réalité de la drogue, dont le marché se déroule dans la rue, est le fait des personnes les plus problématiques. Pour cet expert, Genève est une ville centre et un centre économique.

Aucune grande ville n’a pu se débarrasser du marché de la drogue. Il faut donc vivre avec et aménager la vie en supprimant les nuisances pour les habitant(e)s, en encadrant ce marché afin que les habitant(es) aient la paix et ne se sentent pas menacés. Refuser d’emprunter une nouvelle voie, c’est se condamner à refaire toujours la même chose pour obtenir un même résultat.

Vers la vente régulée du cannabis à Genève

Pour rappel, la Suisse a opté pour une politique des quatre piliers avec une approche concertée portant sur la répression, les enjeux sanitaires, la prévention et les mesures de réduction de risques. Cette politique a porté ses fruits avec une diminution du nombre de morts des consommateurs et une criminalité en baisse. Les prescriptions d’héroïne permettent de réduire de 98% les infractions à la propriété, comme cela a été le cas à Zurich. Pour l’expert Jean-Félix Savary, il n’est pas possible de se débarrasser du marché de la drogue mais il est possible de réguler les conditions-cadres de ce marché, les lieux et les horaires. Un certain nombre de villes ont adopté des politiques de cette nature. Cette culture du compromis fonctionne au bénéfice de tous. La Ville de Zurich a même proposé un règlement du deal, alors que Berne a aménagé un parc discret pour les trafics. Cette logique de compromis doit être menée de manière concertée. Il faut à notre sens aller plus loin maintenant, avec, par exemple, une libéralisation du marché du cannabis.

Le cannabis est de loin la substance illégale la plus consommée en Suisse. Une augmentation de son utilisation a été constatée durant les années 90, mais les chiffres sont stables depuis une quinzaine d’années. Consommer du cannabis avec une teneur en THC (tétrahydrocannabinol) de plus de 1% est illégal2 en Suisse. Les personnes prises en flagrant délit peuvent être punies d’une amende jusqu’à 100 francs. Il est toutefois autorisé de posséder du cannabis jusqu’à 10 grammes pour sa propre consommation. D’après les analyses faites lors des saisies de drogue, le taux moyen de THC de la marijuana a varié entre 9% et 12% ces cinq dernières années, le taux du haschisch entre 17% et 21%. Un projet de vente régulée de cannabis à l’échelle cantonale verra le jour en 2022. Là encore, une meilleure collaboration entre tous les services devra être de mise afin de relever les défis liés à ce projet pilote.

 

L’exemple probant Zurichois : la réponse policière seule est insuffisante 

Entendre Monsieur Michael Herzig, enseignant à la Haute école des sciences appliquées de Zürich et ancien « Monsieur drogue Zurichois » montre les solutions qu’a trouvées  Zürich pour pacifier la Langstrasse qui faisait face aux mêmes difficultés que les Pâquis. Pour l’expert une réponse policière seule est insuffisante. Les actions menées contre le deal n’ont pas d’effet sur la qualité de vie des habitant(e)s, puisque la police doit observer les deals pour prouver les crimes. La police doit donc attendre que le crime se déroule pour intervenir, ce qui n’est pour le moins pas une bonne nouvelle pour les habitant(e)s. Pour l’expert, les patrouilles de police en uniforme sont efficaces. Ces patrouilles doivent être coordonnées avec les associations. La communication entre les travailleurs sociaux et la police est aussi fondamentale. Il est important de renforcer les formations communes. A Zürich, des patrouilles conjointes ont même été organisées, sur un modèle hollandais. La mise en place d’une formation commune aux institutions dans ce domaine est importante. Pourquoi ne pas essayer, à Genève, pour pacifier les quartiers ?

Les habitant(es) sont les expert(es) de leur quartier. Les habitant(es) des Pâquis ont fait un exercice que les collectivités publiques semblent bien loin de mener : développer une vision de la ville concertée et articulée afin d’obtenir des résultats concrets.

A l’hiver 2021, les autorités ont laissé entendre que tout allait très bien et que la police gérait la situation. Les député(s) de droite ont sèchement refusé la pétition des habitant-e-s des Pâquis. La conséquence est aujourd’hui sous nos yeux. Un manque de stratégie et de méthode pour faire ce que Zürich et Berne ont réussi : pacifier des quartier en adoptant une stratégie innovante face au deal de rue. Il n’est pas trop tard pour agir et changer de méthode.

 

[1] https://www.tdg.ch/pourquoi-le-deal-sest-enracine-devant-une-ecole-primaire-178337155289

[2]https://ge.ch/grandconseil/data/texte/P02116A.pdf

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