Ukraine: les journalistes, Tiktok et la mort

  • 26. juin 2022
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Guerre en Ukraine. Un certain nombre de commentateurs font l’éloge de Tiktok et autres réseaux sociaux qui nous montreraient la guerre « en live ».  Il est vrai que le réseau social est passé à la vitesse de l’éclair des recettes de cuisine et des chansonnettes déhanchées aux bombes qui pleuvent sur Kiev et Marioupol.[1]
Mais de la même manière que ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont fait les printemps arabes, il est clair que s’en remettre à ceux-ci pour couvrir et comprendre la guerre serait périlleux.
On a même pu lire ici et là qu’à l’heure « où les journalistes et les photographes professionnels étaient contraints de se taire et de fuir les zones de conflit, l’information passerait uniquement via les réseaux sociaux: Twitch, Tiktok, Instagram & co. »
Il est totalement faux de dire que les journalistes quittent l’Ukraine. C’est le contraire qui se passe. Cela rend fort peu justice à ceux qui y demeurent ou s’y rendent, prennent des risques immenses pour nous informer, voire meurent en faisant leur travail. Les journaliste ne fuient pas l’Ukraine ni ne se taisent. Quand on ne les entend plus, c’est qu’ils ont été réduits au silence en faisant leur travail.[2]
Dans la chronique Ukraine : « On ne s’improvise pas reporter de guerre », rappelle Christophe Deloire de RSF, diffusée le 14 mars 2022 sur France Inter. Christophe Deloire explique notamment : « Partir en Ukraine, ce n’est pas du tourisme », rappelle-t-il. « C’est une zone de guerre, extrêmement dangereuse. Comme elle est à proximité – 15 heures de route en voiture – ça amène certains à partir. Certains deviendront de grands photographes, de grands reporters. Néanmoins, il y a effectivement une vague de départs de jeunes gens qui ne sont sans doute pas assez préparés, car on ne s’improvise pas reporter de guerre […]. Il y aurait « plus de 1000 journalistes étrangers, peut-être 2000 » en Ukraine actuellement pour couvrir l’invasion du pays par l’armée russe.»
Les réseaux de type tiktok ou Instagram ne transmettent que faiblement de l’information. Ils véhiculent de l’émotion, avec peu d’analyse, souvent sans aucune vérification, pour un public de jeunes âgés de 15 à 25 ans qui privilégient les réseaux sociaux pour s’informer au quotidien, notamment sur cette guerre. La dimension esthétisante et glamour de la guerre y est parfois poussée à un paroxysme difficilement supportable.
Il faut rendre hommage aux journalistes, aux « fixeurs » ukrainiens. L’article émanant de La revue des médias intitulé Profession « fixeur » : ces Ukrainiens qui aident les journalistes à raconter la guerre, paru le 14 mars 2022 sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), nous apprend qu’il existe des « fixeurs » qui constituent un rouage primordial des reportages à l’étranger. Leur nombre est impossible à comptabiliser : « Sans eux, la guerre ne pourrait être décrite, documentée. « Eux », ce sont les fixeurs, celles et ceux qui guident les journalistes étrangers à travers leur propre pays, devenu champ de bataille. Qui sont-ils, quel est leur rôle exact, en quoi est-il essentiel ? Des reporters français, présents en Ukraine depuis le début du conflit, racontent. […] « Le fixeur fait un travail de journaliste ». Loup Bureau émet un avis similaire : « C’est lui qui contacte les gens, met en place la séquence que l’on va tourner. Quand on veut filmer une scène près du front, par exemple, il va contacter l’attachée de presse de la brigade, puis négocier avec le chef de brigade. Il fait quasiment un travail de journaliste. » D’autres interviennent moins dans la partie éditoriale. »
Tiktok ne dit pas grand chose de la guerre ni n’informe. Noyés sous les images choc, parfois détournées ou fausses, rien ne remplace une information de qualité. Elle existe, au péril de la vie de ceux qui la produisent.
Il serait bon de le rappeler et de leur rendre hommage, de les lire et de les entendre.
Seule manière de comprendre ce qui se passe, au-delà du choc des images et des frissons d’horreur que suscite l’agression russe. Seule manière, alors qu’on les assassine, d’être à la hauteur de leur travail et de leur sacrifice.

 

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