Voiture à ras du sol

  • 08. août 2018
  • air du temps
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On entend souvent parler du grand chassé-croisé estival. Les protagonistes sont identifiés : juillettistes et aoûtiens. C’est vrai que cela fait du bruit quand ils se croisent. Sur des kilomètres, longs bouchons, colonnes de véhicules au ralenti, on en mesure la taille, les temps d’attente au tunnel du Gothard, aux péages. On lui donne des couleurs : rouges ou oranges, des noms d’oiseaux ou de bison, etc. Tout un folklore. Ce n’est pas de ce chassé-croisé que je souhaite parler, mais d’un autre qui est moins médiatique, plus discret.

 

L’été en fin de soirée…

Quelque chose attire parfois le regard. Une sorte de ballet autour de véhicules. Des personnes fument, d’autres empoignent une « dernière » valise – pas sûr qu’il n’y en aie pas encore une ou deux-, entament un casse-croûte sommaire, sur un coin de capot ou de trottoir. Voiture chargée de bagages, au ras du sol.

Ce théâtre de rue s’ouvre sitôt prononcées les vacances scolaires. Alors que pour certains la page de leur journée se clôt, pour d’autres un grand chapitre s’ouvre. S’allument les grands phares. C’est de ce chassé croisé là que je veux parler. Celui qui se passe entre ceux qui n’ont plus que quelques mètres à faire pour se mettre sous les plumes, alors que d’autres se préparent à une grande odyssée. Ce chassé-croisé qui durera tout l’été, dans l’anonymat des villes, des vies qui se croisent.

 

Sur le départ

Ils contrôlent une dernière fois le niveau d’eau, d’huile. Ils vérifient qu’ils n’ont oublié ni triangle de panne, ni la petite couverture, pour quand il fera froid, pour la déposer dans l’herbe pour y pique-niquer tranquille sur l’aire d’autoroute.

Ils  font tourner le moteur. Ils font durer ce moment. Plaisir des ultimes préparatifs. Clôture du chargement. Ce qui est dans l’air avant le départ est bon, peut-être même meilleur, que le voyage lui-même.

Ce qui flotte dans l’air ? Le parfum du retour au pays. Impossible de savoir lequel. Toutes les valises se ressemblent. Les voyageurs aussi. Ils vont partir très longtemps. Et loin, cela se sent. Ils vont revoir des proches. Amener des cadeaux, en ramener aussi. Ils ne prennent pas un avion barbare et bon marché, qui vous catapulte d’un lieu à l’autre en quelques heures, vous laissant échoué et groggy. Non, ils prennent leur voiture, tous leurs bagages, un peu de leur maison d’ici pour la déplacer là-bas.

 

Tetris minutieux

Chaque espace du véhicule est le fruit d’un savant assemblage. Les places sont attribuées à chacun.e, parfois chèrement négociées. Personne ne veut se retrouver sur le siège central.

Ils savent qui conduira, pour combien de temps, qui le relaiera ensuite. Parfois, le conducteur refuse de transmettre le volant. Il en fait une affaire personnelle; ou alors prétend que cela a toujours été fait comme ça, le capitaine c’est lui. Il ne viendrait à l’idée de personne de lui disputer cette responsabilité : un privilège.

Il fera des siestes, biberonnera son red bull. Héros de la route, Ulysse des péages, il avalera les kilomètres : 1000 ou 2000, peut-être même plus. Les autres passagers seront réduits à l’intendance, condamnés à tour de rôle à refuser le sommeil comme des sentinelles. La nuque raide, l’oeil dans le vague, solidaires.

A ce chauffeur, on lui a préparé à manger : des sandwichs, faciles à emporter, enrobés dans du papier d’aluminium. Ses boissons préférée : thé vert ou thermos de café sucré, pour lutter contre le sommeil. Ce sommeil qui finira par emporter tout l’équipage juste avant le petit jour. Sauf lui, évidemment, gardant le cap, malgré la houle et les roulis du bitume.

 

cycles de sommeil inversés 

C’est le grand départ. L’épopée. Tout le monde, au-delà de minuit, est en alerte, excité. Les enfants n’ont pas dormi les nuits précédentes. Ils ont littéralement piqué du nez à la piscine durant la journée.

C’est le dernier moment pour les derniers contrôles. Passeports, ok, pression des pneus, ok, carte grise rangée dans la boîte à gants, ok. Tout semble en ordre. Dernière bouffée de la dernière clope s’écrase du talon sur le trottoir. Et hop. Claquements de portes. Embrayage. Bye bye Genève, bye bye la Suisse. See you a la fin de l’été.

Parfois, quand on frotte deux cailloux l’un contre l’autre, une petite étincelle en jaillit. Parfois, il en est pareil du croisement de deux existences, il en jaillit alors un parfum, une image. On voit surgir des voitures au ras du sol les toits de villes du sud. On perçoit le parfum des cyprès, l’entêtante résine du mazout des stations essence ou de ports illuminés jour et nuit, le goudron fondu, la poussière sur les fruits trop mûrs.

Pendant que d’autres roulent, mes yeux se croisent.

Je m’endors. Ou plutôt : je rêve et je voyage avec eux.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=MbjIWSTYFWs

 

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