Tu n’emporteras pas ton i-phone au paradis

  • 12. avril 2018
  • air du temps
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Il a mis ses pieds nus dans ses chaussures vernies. Il n’aime pas la reconnaissance faciale, préfère les poignées de main. Il aime l’étranger, les enfants joyeux et le vol des oiseaux devant les barres d’immeuble.

Il ne comprend pas pourquoi quand il dit migrant, certains sortent leur revolver. Surtout que tous ont été accueillis ici comme les autres : à poil sur cette terre, avec un cordon noué au ventre d’une autre. Tout ce qu’ils ont, ils l’ont reçu. Ils sont encore mieux lotis que tant d’autres. Alors dire ici c’est chez nous et bye bye les amis… même il y a mille ans on ne se serait pas permis.

Il se demande s’ils comprennent où ils seront tous dans cinquante ans, quinze ou deux ans, voire même demain… la cendre n’a ni cocarde ni passeport. Ton I-phone tu ne l’emporteras pas au paradis, ni ton application facebook dans la tombe, pour te tenir compagnie.

Il est arrivé en Grèce par la mer, a marché sur l’Acropole, à Exarcheia, mais son lieu d’origine, c’est une petite colline. Il est ici incognito. Sa porte est toujours grande ouverte. Il vient de lancer une pétition pour que la ville soit piétonne. Il dit : dans 20 ans on se moquera de nous pour avoir supporté toutes ces bagnoles. À la place des routes on mettra du logement. Pourquoi perdre encore du temps, on en a déjà cédé tant.

Il dit: le problème de l’homme c’est se croire immortel et puissant, de ne croire en rien. Et quand il réalise qu’il est du vent, d’oublier son engagement, même son nom. C’est le même principe que l’eau : au delà d’une certaine température elle bout, puis c’est l’évaporation. Mais vas-y pour faire comprendre ça à un bloc de glace. C’est une toute autre histoire qui commence quand la température monte…

Ce qui compte, ce qui est important, c’est ce qui est petit, tout petit, ce qui ne tient qu’a un fil, il dit. Et c’est de continuer à marcher avec une âme simple, malgré tout ce qui rampe.

Il dit que l’on ne voit pas l’entier du tableau, que l’on ne saisit pas bien les choses. Et que si personne ne voit le fouet, tous sont fouettés. Dans la douleur, on s’en prend au premier venu. Mais le premier venu c’est toi aussi. Frappé pareil. Alors, qui tient le fouet ?

On voit les conséquences mais pas la source. Lui, c’est la source qui l’intéresse. Et ce qui la nourrit : la source de la source.

Il a lu tout Lao Tseu, tout Machiavel et Angot. Il n’aime pas qu’on l’appelle sur son portable, ni qu’on le vouvoie par défaut. Il n’a pas de compte Facebook, pas de carte Migros. Il connait encore des numéros de téléphones par coeur. Pas que le 112 ou 144 je veux dire, mais des lignes directes, avec de vrais amis au bout.

Il veut occuper la ville le 17 mars. Il y a une semaine d’actions contre le racisme et le festival du film et forum international sur les Droits Humains, en parallèle. Il n’a pas le don d’ubiquité. La révolution est une question de chaleur et de temps. Il sait que le grand retournement est proche. Il a clairement l’image d’une crêpe en tête. Une belle crêpe, ronde, cuite à point, qu’un léger coup de poignet suffira à détacher de sa base. Alors tout se renversera.

Il a un tout petit peu d’eau dans son verre. Il a une manche retroussée. Il est le bouton et l’attache. Il raconte ses histoires debout. Sacrée hérédité. Debout. Il lève un doigt ou deux. Il est le majeur d’une minorité. Debout les damnés du système.

Il aime les ânes et les boeufs, n’a pas suffisamment d’ego pour se penser différent, ou de fièvre pour se croire unique. Il ne trouve pas enviable le sort de Rihanna ou Cristiano Ronaldo. Pourquoi s’attacher à l’image, à une marque de fabrique, et se passer la corde au cou après n’avoir rien mangé durant trois jours ? Etre dans les bouchons pour aller au salon de l’auto : cherchez l’erreur.

Il prend soin de sa forêt. Il aime désherber et semer. Faire son foin et sarcler. Pour le trouver, il faut aller dans les coins, varier les angles.

Il fait ses prières le matin au marché, le soir devant les abattoirs. La nuit, il est là où se trouve le gibier. Il dit : on brûle des tonnes d’animaux, des gens dorment sous les ponts, ceux qui n’ont rien sont chassés. Réveillez-vous les gens. Les barbares du 6e siècle étaient plus élégants. On n’a jamais fait pire, en terme d’humanité, depuis les microprocesseurs. Il voit les bagarres, sous la table, pour les chips, les miettes, des existences sous-traitées, et des gens assis sur de hautes chaises qui parlent comme Siri.

Sa mère pense qu’il va mal finir. Il a de sacrés antécédents.

Mais sa mère, est-elle vraiment dans le coup encore?

 

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