39 corps dans un camion, et toi et toi et toi ?

  • 11. mai 2020
  • air du temps
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migrations,frontières,égoïsme,esclavagisme

39 corps dans un camion. 39 morts dans un frigo roulant. 39 êtres humains asphyxiés. 39 victimes de plus au décompte morbide, aux dizaine de milliers sur les routes de l’exil, dans les mers, les montagnes, au bord des routes, au fond des ravins, aux postes frontières. 39 victimes de la fermeture des frontières. 39 morts silencieux dans un camion scellé. 39 anonymes dont on cherche désormais les empreintes, les derniers messages WhatsApp, à retracer le périple, connaître les proches. 39 pauvres, en route vers un destin meilleur, dont on ne prend plus le pouls, dont on ne peut plus prendre soin, entassés froids à l’arrière d’un camion.

La criminalisation de la migration conduit celles et ceux qui veulent passer, qui doivent passer, à prendre toujours plus de risques, à être toujours plus cachés, entassés, dans des fonds de soute ou des fonds de cales, sous des essieux, flirtant avec les lignes à haute tension, de flottaison, risquant toujours plus leur peau, et se faisant toujours davantage exploiter par des passeurs, des exploiteurs humains.

Ils meurent. Et ils sont noyés. Et ils sont étouffés. Et elles sont gelées vives, brûlées nettes. Et ils chutent dans la montagne. Et ils sont broyés sous des trains. Et elles sont électrocutées. Et ils sont exploités. Et elles sont abusées. Et elles sont violées. Et elles sont rackettées. Et elles sont endettées. Et avec la bénédiction de nos autorités, elles se font baiser. Et devant le sourire en coin de ceux qui disent que les demandes d’asile diminuent et qu’il y a toujours moins de requérants: elles se font exploiter.

Une femme a envoyé un sms à sa famille pour dire qu’elle mourait dans un camion frigorifique, en Angleterre, en 2019. En 2019! Elle a envoyé un sms comme toi quand tu écris à ton amie pour lui dire que tu auras un peu de retard, ou quand tu donnes un rendez-vous à tes amis pour aller boire un verre; demandes à tes collègues si tu dois acheter des pommes et si oui de quelle couleur au supermarché. Elle a pris sont téléphone comme toi tu le fais pour consulter les résultats sportifs, acheter une nouvelle robe, te branler, réserver des billets pour un spectacle ou un restaurant. Elle a écrit à son frère pour lui dire le voyage ne s’est pas passé comme il fallait, mon projet va échouer. Je meurs. Je suis enfermée. Je suis en train de caner.  Maman, papa, je vous aime très fort. Je meurs, je ne peux plus respirer.

Son frère a lu les mots. Il a appelé. Peut-être qu’il n’a pas osé d’abord, de peur de la balancer. Quand il a remué ciel et terre il était déjà trop tard. Il a appelé lui aussi : pas pour acheter une robe, pas pour réserver un spectacle, mais pour essayer de sauver sa soeur qui étouffait avec d’autres êtres humains dans un camion frigorifique quelque part vers l’Angleterre

Elle disait: je vais crever. Je crève. Elle l’a écrit à sa famille pauvre dans un pays pauvre, à des milliers de kilomètres de là. Elle asphyxiait de pauvreté, de violence de classe. Elle asphyxiait d’impuissance, d’injustice et d’inégalité. Elle manquait de cet air, que toi, moi, nous respirons tranquilles à plein poumons, sans avoir jamais douté de cet air, qui est bon, à disposition pour nous, qui est fait pour nos poumons.

Souviens-toi, sur l’autoroute, quand tu dépasseras des camions, qu’il n’y a pas forcément que des melons ou des pastèques dedans, mais des corps recroquevillés, des êtres, des rêves en mouvement; qu’il se trouve, dans ces camions de fruits et légumes, ceux que personne ne veut voir; ceux que l’Europe refuse de laisser passer; ceux que la Suisse dégage en Italie et l’Italie au-delà, et se fout de refouler vers la haute mer.

Souviens-toi, sur l’autoroute, quand tu dépasseras des camions. Souviens-toi de celles qui envoient des sms à leurs frères, pendant que tu écoutes un air de musique le coude à la fenêtre, ou sirote ton soda coincé entre tes jambes, te prépare à rentrer chez toi tranquillement, préparant ta carte d’identité pour le poste frontière où tu ne seras même pas contrôlé. On ne contrôle jamais. On ne contrôle pas des gens comme toi, avec la gueule que tu as. On ne prête pas attention à des gens comme toi. Tu as la gueule de l’emploi, du droit. Tu as la tronche d’avoir des papier et avec ça, le droit de dépasser les camions plutôt que d’être enfermé dedans.

Pendant ce temps, d’autres, moins bien nés, sont condamnés à vivoter ou crever, à cause des lois que l’on a voté, ou su empêcher de voter, s’entassent à l’arrière d’un camion.

39 corps dans un camion.

Et toi et toi et toi ?

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