Fais-moi la bise ou je te déchois de ta nationalité

  • 03. janvier 2019
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La Ville de Lausanne a donc décidé de refuser la nationalité suisse à un couple pour « bigoterie ».[1] Il y aurait eu refus de serrage de mains, et pire encore, refus de parler avec des personnes de sexes opposés. Je mets ici le conditionnel, car cette version est celle du magistrat PLR Hildbrand, homme blanc droit dans ses bottes ayant mené cette affaire avec deux autres élu.e.s.

Nous n’avons pas la version du couple soumis à l’enquête. Aucun.e journaliste n’est allé leur demander pourquoi ils ont agit de telle ou telle manière. Il serait pourtant intéressant de les entendre. En attendant, l’Europe entière regarde vers la Suisse se demandant si la proximité avec la France commence à contaminer nos esprits et nous faire perdre le sens des valeurs ancestrales de notre pays: accueil, paix confessionnelle, liberté individuelle, respect des différences.[2][3]

Une commission des naturalisation de sinistre mémoire

Je dis cela, parce que vu, de Genève, où la commissions des naturalisations en Ville a laissé de sinistres souvenirs : des élu.e.s allaient chez les gens contrôler leur suissitude, et en profitaient pour faire, pour certain.e.s, des remarques grivoises, racistes, sexistes, avec parfois même des avances sexuelles; où le racisme ordinaire et intrusif pouvait se donner à plein dans des relations dissymétriques. Cette commission a été supprimé avec soulagement.

A n’importe quelle personne normalement constituée, voyant débarquer chez elle un.e de ces élu.e.s, j’aurai recommandé la prudence, le silence, la fuite, ou l’appel à la police, comme meilleures réponses à apporter au « questionnaire ». Mais quel.le candidat.e à la nationalité, connaîtra suffisamment ses droits ou sera assez sûr qu’ils seront respectés sans qu’il se voit sanctionné, pour appeler la police quand un.e élu.e débarque chez lui ? J’ai entendu les récits de stress et de panique de celles et ceux soumis à la question des commissions de naturalisation, pour savoir que tout simplement certain.e.s ne savent plus comment se comporter, ni traiter avec le pouvoir qu’ils ont en face d’eux.

Comme rappelait il y a dix ans la commissions fédérale contre le racisme : « Les procédures de naturalisation actuelles comportent le risque que les décisions soient influencées par des stéréotypes ou des idées xénophobes, voire racistes. Plus les organes de décision découlent de la démocratie directe, plus les décisions sont politiques et plus le risque d’arbitraire et de discrimination est grand. » Cela n’a pas changé. La cour des comptes a fait un audit de la commission des naturalisations en Ville de Genève et un rendu un rapport sans concessions : « Les faiblesses relevées notamment au niveau de l’impact de l’organisation communale, des délais et des durées de traitement, ou encore de l’inefficience des processus communaux mis en place en matière de traitement des dossiers de naturalisation entraînent des risques financiers, opérationnels et de contrôle. »[4]

 

Je demeure donc naturellement suspicieux quand trois élus font un rapport pour bigoterie en 2018, car cela rappelle plutôt les procès en sorcellerie du 15e siècle qu’une société moderne du 21e. 

 

Ce que l’on a a vu en Ville de Genève a conduit à la suppression de la commission des naturalisations. On ne peut que recommander à toute commune soucieuse du droit et de l’égalité d’en faire de même et d’éviter que des élus se rendent au domicile pour contraindre ou soumettre à la question des individus. Ils n’en ont toute simplement pas les compétences.  On ne s’improvise pas psychologue ou médecin, pourquoi s’improviserait-on faiseur de suisse ?

L’attribution de nationalité est aujourd’hui une roulette russe soumise à l’arbitraire plutôt qu’à des critères objectifs. Ce sont les pauvres et les migrant.e.s, et les croyant.e.s et plutôt musulmans qu’évangéliques, qui casquent. Les examinateurs reproduisant simplement des stéréotypes sociaux, un racisme moyen, et les obsessions du moment.

Les ploutocrates ayant fait fortune en bafouant les droits humains n’ont aucuns soucis à obtenir la nationalité suisse. A-t-on déjà vu un millionnaire se faire refuser le passeport rouge à croix blanche? Non. Car notre nationalité ne s’obtient pas, elle se paie. Et ceux qui ont le plus de moyens ont le plus de chance de l’avoir.

 

Le pouvoir de la question

Evidemment, lorsqu’un élu a le pouvoir de donner ou non une nationalité,  la pression est maximale, donc le stress, donc la peur. Ce stress explique certains comportements. Pourquoi le refus de serrer une main serait-il obligatoirement vu comme un refus de « valeurs suisses », et pas comme une marque de respect ou de pudeur par exemple ? On peut saluer de la tête. On peut mettre la main sur le coeur. On peut s’incliner. Il y a mille façons de saluer.

De la même manière que l’on s’offusque lorsque des demandes de naturalisations n’aboutissent pas parce que la personne soumise à la question ne sait pas nommer trois noms de fromage à pâte molle où le nom d’une obscure rivière des Grisons ou les couleurs d’un drapeau communal, n’est-ce pas tout aussi absurde de refuser la nationalité par manque d’appétence physique ? [5]

 

Désormais si le serrage de main est une composante obligatoire de notre société on comprends mieux pourquoi des mecs, quand une fille ne leur répond pas ou pire leur disent non, se sentent autorisé à leur péter la gueule. 

Car, finalement, c’est le même machisme qui s’exerce, celui de la contrainte et de l’obligation de répondre, au nom de la « culture », qui devient alors plutôt le cache sexe de la domination. La sanction punitive qui s’exerce quand il y a refus de s’y soumettre étant un signe d’abus de pouvoir. Je ne savais pas que l’obligation de toucher était une valeur suisse. Et le consentement, on en fait quoi ? C’est quoi l’étape suivante: si tu me fais pas la bise, je te déchois de ta nationalité ?

Pour revenir à Lausanne, et à ce blocage pour des raisons encore à éclaircir d’une accession à la nationalité d’un couple, et pour conclure : J’aimerai  que l’on parle de la vie de ce couple, savoir si ces gens, par leur comportement, leurs actions quotidiennes, leur travail ou leur regard sur le monde, l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants, s’ils en ont, sont des gens vivant en paix, contribuant à leur échelle à une société respectueuse des différences. Et un mot, s’ils n’emmerdent personne. Cela me semblerait être la meilleure preuve du respect de nos coutumes (certes, elles tendent à se perdre, vu la place grandissante que la connerie prend désormais chez nous).

Personnellement, que madame me fasse la bise ou non quand je la croiserai à la Migros, et que monsieur se pinte le vendredi soir comme un « suisse moyen » n’est ni nécessaire ni souhaitable.

Quand je les croiserai, c’est d’un clin d’oeil complice que je les saluerai avec plaisir, murmurant certes vive la Suisse, mais surtout vivent les gens qui n’emmerdent pas trop leurs voisins.

 

 

[1]https://www.letemps.ch/suisse/lausanne-refuse-naturali…

[2]https://www.la-croix.com/Religion/Islam/En-Suisse-refus-s…

[3]https://www.theguardian.com/world/2018/aug/18/muslim-coup…

[4]http://www.ekr.admin.ch/pdf/Einbuergerung_F_version_web69…

[5] https://www.letemps.ch/suisse/faiseurs-suisses-sevissent-…

 

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