Avant, les journalistes protégeaient leur sources, maintenant ils protègent leurs fesses.
C’est à prime abord ce que l’on peut penser en découvrant la dernière rubrique du Temps signée Emilie Sombes, pseudonyme pour une chroniqueuse masquée, le 24 janvier.
Voilà que Le Temps, hier quotidien Suisse de référence, est devenu gazette des rumeurs en inaugurant une « chronique masquée genevoise » qui lui permet de répandre ragots et rumeurs sur la vie politique,[1] sans avoir de compte à rendre à personne, puisque le journaliste devient un fantôme. Mais est-ce seulement un journaliste? Peut-être cet anonyme est-il même un politique, un excité ayant des comptes à régler. Payé pour rédiger cela ? Mystère. Est-ce une manière différente de faire du journalisme? Bienvenue alors dans la nouvelle ère du journalisme spectral.
Une drôle d’éthique journalistique
Le procédé met mal à l’aise. Le climat est lourd de suspicions. On observe d’un air critique le Temps avancer masqué. Difficile de comprendre ce qui conduirait des journalistes à publier dissimulés des articles sur la politique locale. Des pressions, des menaces s’exerceraient sur les journalistes? On se souvient que par « magie » un article d’Olivier Francey sur Pierre Maudet avait rapidement disparu des écrans, sans jamais arriver dans l’édition papier.[2] Mais pourquoi alors ne pas informer sur ces dérives? Parler pouvoir, argent, défendre l’indépendance de la presse. Ou alors, le nouveau journalisme spectral est uniquement un outil publicitaire, une recherche du buzz par des articles osant tout car ne rendant plus compte à personne? Drôle de conception du débat démocratique et du travail d’information. Et jeu risqué surtout. Car ce qui donne sa qualité à la presse, c’est la transparence, les codes de déontologie qu’elle se donne. S’anonymiser, c’est pour elle se ramener au niveau des forums de trolls sur facebook.
Les cagoules dans les salles de rédaction
Il y a une dimension politique aussi. Car après tout, n’importe quelle personne ouvrant un blog dans un journal est tenu de rendre compte de son identité. Le courrier de lecteur de la moindre gazette exige des citoyen-ne-s qui y écrivent de s’identifier. Le site d’information alternative et anticapitaliste Renversé s’est vu priver d’hébergement internet en Suisse, car il refusait d’identifier les personnes qui animaient le site.
Il est bien interdit de se cagouler lors de manifestations, pourquoi le valoriser dans les salles de rédaction ? En fin de journée le Temps frappait encore avec un autre article, sur le PLR cette fois.[4] On devrait attendre désormais un communiqué de presse du Temps pour être sûr qu’il revendique l’article?
Fragilisation du rôle des journalistes
Deux jours après l’annonce de la fermeture de l’Hebdo, la profession n’avait pas besoin de ce nouveau coup tordu. Elle pâtit de la décision du Temps de la faire écrire sous pseudo. Son travail en devient plus difficile. Comment être dans la confiance avec un journaliste, dialoguer avec lui sans savoir si ce que l’on partage en off sera balancé ensuite dans un article anonyme? Comment, pour un journaliste, se faire une opinion, aller chercher de l’info, si sa profession devient synonyme de ragots et délations. La qualité d’information en souffrira. Au final, on risque d’avoir un journalisme fait par des mouchards ou des lâches.
Il y a des pays où des journalistes risquent leur vie en écrivant. Il en est un autre désormais, le nôtre, où certains journalistes risquent la perte de leur identité professionnelle en écrivant des textes anonymes qui ne les exposent à rien d’autre qu’à la suspicion et à l’oubli.
Le rédacteur en chef du Temps, Stéphane Benoit-Godet devrait rapidement tomber la cagoule, et s’expliquer sur le choix de ses étranges procédés au risque de décrédibiliser toute une profession.
[1]https://www.letemps.ch/opinions/2017/01/24/primaire-ps-genevois-pari-risque-caroleanne-kast
[2]http://commecacestdit.blog.tdg.ch/archive/2016/03/12/pier…
[3]http://www.lecourrier.ch/141155/le_site_renverse_renait_e…
[4]https://www.letemps.ch/opinions/2017/01/23/logiciel-obsol…
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