Le signe d’impuissance d’une autorité, c’est d’interdire sans régler les comportements et se barricader derrière la sanction sans réussir à régler les enjeux du vivre ensemble. Interdire et punir, solution de facilité, peu efficace, coûteuse et qui fonctionne mal, déresponsabilise les citoyen-ne-s plutôt que de les impliquer dans un rapport positif au vivre ensemble.
Deux décisions récentes, prises en Ville de Genève par le responsable de la gestion de l’espace public, le magistrat Guillaume Barazzone, ont fait beaucoup réagir. L’interdiction, pour les vélos, de circuler dans les parcs, ainsi que l’interdiction pour les citoyen-ne-s d’y griller leurs saucisses[2]. Malheur total à ceux qui roulent en vélo avec des saucisses dans leur sac, les pandores pourront doublement sanctionner ces dangereux « cycloterroristes grillophiles »…
Interdire ne résout rien
Ces interdictions ne vont pas dans le bon sens. Elles marquent un durcissement fébrile. Plutôt que d’arbitrer intelligemment les enjeux de gestion de l’espace public, on bannit. Certes, il y a des tensions entre ceux qui veulent rouler en vélo, et ceux qui ne les voient pas venir, entre ceux qui veulent une ville animée, et d’autres qui en craignent les excès, entre ceux qui ont envie de griller un morceau de viande en plein air, et ceux que la fumée incommode (tout en ingérant en silence des tonnes de particules fines renvoyées par les bagnoles); entre ceux qui veulent dormir, et ceux qui veulent faire la fête, etc. C’est la base de l’espace public que d’être un espace disputé, négocié. C’est l’essence de la ville aussi.
Accentuer, par des interdictions, les tensions, renforcer les fronts les plus durs, est un mauvais calcul. Surtout, c’est méconnaître les genevois, attachés à leur liberté, et à ne pas se laisser intimider par l’Etat. Franchement, faire appel à la police, pour des saucisses et des boyaux? Où va-t-on ?
Vers un clientélisme de la norme et l’arbitraire
Réguler les enjeux du vivre ensemble devrait être résolu par des politiques de dialogue et de prévention, et l’aménagement d’espaces qui conviennent aux nouveaux usages de la ville. Les interdictions créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Elles ouvrent à une dimension ubuesque et arbitraire.
Le magistrat Barazzone rappelle au matin l’interdiction des vélos dans les parcs, mais au soir, il affirme, par son porte-parole, que : « Il ne s’agira pas de faire la chasse à tous les cyclistes mais à ceux qui roulent à tombeau ouvert et mettent en danger les piétons, surtout avec la multiplication des vélos électriques »[1]
Mais alors, de deux choses l’une, soit on met des panneaux interdisant l’accès aux parcs aux vélos, soit on les autorise. Mais prétendre faire appliquer une loi d’interdiction tout en rappelant une certaine tolérance ouvre la porte à l’arbitraire. Honnêtement, quel usager de parc, pourra s’y retrouver? Et quel cycliste sait aujourd’hui s’il peut pédaler dans un parc ou non, au vu des déclaration contradictoires de Monsieur Barazzone qui souffle le chaud et le froid, sur les grillades comme dans le dos des cyclistes.
On quitte là le domaine de l’application de la loi pour entrer dans celui du flou, de l’arbitraire, voire de l’intimidation. Ce n’est plus le rapport et le dialogue entre les gens qui règlent leurs conduites, mais le recours constant à la police qui, avec toute sa subjectivité, des règles mal posées, devra cadrer les conduites.
S’en remettre à la police pour tout: un mauvais calcul
Le calcul du magistrat semble être le suivant: faisons peur aux cyclistes, dissuadons-les, menaçons-les, espérant ensuite qu’ils renoncent à circuler. C’est, petite digression, la même politique qui est d’ailleurs suivie vis-à-vis des précaires, qui sont déplacés d’un coin à l’autre de la Ville, intimidés et amendés parfois simplement parce qu’ils proposent à quelqu’un de lui porter son sac de commissions. Ce geste d’entraide étant, pour certains policiers zélés, considéré comme une approche afin de commettre un vol et suffisant pour soustraire les piécettes que la personne a sur elle, l’emmener pour quelques heures au poste sans autre motif valable. L’interdiction de la mendicité pour tous a donné une marge arbitraire pour en persécuter sévèrement quelques uns.
On ne peut qu’espérer que les genevois ne se laisseront pas intimider par l’arbitraire et continueront d’aller en vélo, se rassembler, manger et respirer librement dans l’espace public, qui appartient à tous, et donc à personne. Et que plutôt que de ne plus rien faire du tout, par crainte de faire quoi que ce soit, ils continuent à affirmer leur liberté, leur volonté de vivre ensemble, dans le respect de l’autre.
Quant au magistrat Barazzone, plutôt que d’ennuyer les gens avec des directives floues et rigides visant à restreindre l’usage de l’espace public, qu’il s’autorise à autoriser, plutôt que d’interdire à tout va. Pour sûr, notre ville, et l’air que l’on y respire, y gagnera!
[1] http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/velos-interdits-p…
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27/06/2016
Ouf, la Suisse est éliminée. Le mythe est sauf.
Ouf, le mythe national est sauf, la Suisse a été éliminé de l’euro de football. C’est en revenant d’outre Sarine, assis en face d’un couple suisse-allemand, que j’ai réalisé que les mythes helvétiques sont éternels. Et si la Suisse a une équipe de football, c’est avant tout… pour qu’elle perde.
Mais revenons au match. L’Intercity des CFF, ponctuel comme à son habitude, nous entraîne vers Brigue. Mon voisin, chips Zweifel sur les genoux, son amie, bière Feldschlösschen à la main, partagent généreusement les images du match avec des recrues en permission. Lichtsteiner, en bon capitaine, n’allume pas la lumière, en traversant le tunnel du Lötschberg. Mon voisin ouvre le Blick, feuillette la composition d’équipe, jouant au sélectionneur, juste pour tromper le temps.
Est-ce que l’entier du train suit ce match contre la Pologne ? Oui. L’engouement pour la Nati est total, même si personne, au fond, n’en doute: nous allons perdre, c’est sûr, et c’est très bien comme cela. C’est juste une belle occasion de ronger son Kägi Fret et avaler un Rivella.
Le suspens est dans les pannes du réseau
Des cris ponctuent des actions qui, sans l’interruption ponctuelle du réseau (que fait Swisscom?), n’auraient pas laissé place au moindre suspens. Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, pour rendre le football plus attractif, songer à des interruptions d’une seconde dans la diffusion des matchs. C’est diablement efficace, le spectacle y gagnerait; en tout cas le jeu de l’équipe nationale serait plus haletant.
Et voilà, juste avant la mi-temps, les polonais marquent, suite à une montée bien trop courageuse, hardie, autrement dire fort peu helvétique d’un de nos défenseurs, ce qui calme tout le monde et, dans le train, fait sourire le contrôleur, adepte de la schadenfreude, assurément.
Défendre on sait, quant à attaquer…
Arrivé à Brigue, c’est toujours la défaite qui se profile, et cela fait plaisir à ceux qui aiment faire plaisir et trouvent qu’en Suisse, on a déjà bien de la chance, alors autant en faire gagner d’autres. De toute façon, on ne serait pas allé beaucoup plus loin. Les passagers délaissent peu à peu leurs écrans, pas disposés à renoncer totalement à leur série préférée pour un match de football mal emmanché.
Pourtant, le voyage n’est pas fini! Il reste 45 minutes pour se refaire. On monte dans un train à crémaillère. Si l’on réfléchit bien, en Suisse, on est crocheurs, on aime les situations contraires (quitte à les provoquer), pour ensuite ne plus rien lâcher. Déjà, contre la Roumanie, on avait égalisé (sans aller jusqu’à gagner, cela n’aurait pas été fair-play). C’est seulement au pied de la montagne et contre des éléments contraires que l’on se démène. Avant d’être au bord du précipice, pas de raison de brusquer la balade.
Shaqiri ou le ciseau du télécabine
Passé le roulis du départ, la montée en télécabine donne lieu à un doux chaloupement, balancement qui nous rend contemplatif et léger, jusqu’à ce que survienne ce geste clairement métaphysique et tranchant de Shaqiri : un ciseau! qui égalise d’une manière peu helvétique, -les udécéistes et autres racistes réprouvent ce geste peu orthodoxe; il ressemble pourtant à une figure de la patrouille suisse- Ce grain de folie et de talent, bien trop punk pour être alpin.
Le téléphérique tressaute, vacille: un cri, et bien sûr, l’écho… jusqu’au fond de la vallée.
Hébétude. Une rupture?
Après tout, si nos maillots se déchirent, tout est possible, même gagner.
La séance de prolongation : monotone comme une traversée d’alpage.
Les pénaltys tiennent plus de la corrida que du combat de reines
Durant la séance de pénaltys, comme en altitude, l’oxygène vient à manquer.
On économise son souffle, commande une ovo chaude, mais on le sent déjà, la Nati sera fidèle à son mythe. Un joueur -Winkelried des pelouses – se sacrifiera nécessairement pour envoyer son tir au pied du Cervin, et assurer que la Nati, dans son entier, puisse, avec les honneurs, revenir à Zürich via le premier vol Swissair.
Car en Suisse, on aime l’empoignade réglo, la lutte à la culotte ou les combats de reines, mais les tirs au but, cet exercice solitaire et tranchant, tient bien trop de la corrida et du drame pour nous convenir.
Les vaches secouent leurs cloches, les nuages passent sur les montagnes.
Voilà, c’est fini, la Suisse a perdu (sans avoir démérité, bien sûr).
Soulagement.
La Suisse est éliminée, le mythe est sauf.
On peut maintenant refaire le match et se dire qu’il manquait peu, que l’on aurait pu, qu’il y a des progrès, et que peut-être la prochaine fois, avec un brin de roublardise, de chance, ou maturité…
Car si l’on n’aime pas gagner, c’est clair, on est pas des loosers quand même!
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19/06/2016
Euroloft 2016 ?
On connaît le conseil des médecins de consommer 5 fruits et légumes par jour, mais que penser du régime de l’eurofoot, 3 matchs après-midi-soirée-nuit, consommables tous les jours et sans possible modération? Leur présence sur tous les écrans, dans les journaux, avec les rappels aux balcons via des drapeaux de toutes les couleurs, et jusqu’aux petits pains d’un supermarché imprimés de losanges mimant le ballon avec un slogan « nouvelle règle du football, il est permis de mordre », tout cela rend ardu le fait de se soustraire à ce régime. Pour cet eurofoot 2016, le nombre de matchs et la durée du tournoi ont été rallongés. C’est encore plus de matchs, de diffusions télévisées, de pubs pour déos, bières et chips! [1]
Le risque d’obésité guette. Qui pourrait possiblement suivre ce régime sans risquer l’embonpoint, à tout le moins la saturation? Même les pelouses des stades ne supportent plus ce rythme effréné, encore moins les supporters, qui finissent par trouver le rythme éprouvant, pour leurs nerfs ou leurs conjoint-e-s[2] ; on déplore 2 morts, arrêt cardiaque et chutes, sans compter les victimes des bastonnades, et pourtant, ça continue, trois matchs par jours, sans compter les rediffusions, les résumés, les ralentis, les analyses, les best-off… etc, etc.
Mais surtout, comme le foot ne semble plus suffire au foot, n’assure plus en soi suffisamment de spectacle, c’est désormais en-dehors du champ que le spectacle se poursuit. Longs rubans de supporters dans les rues ou fans qui chantent un hymne à la gloire de la police française[3], tout est bon pour que le match, dont le coup d’envoi a été donné le 10 juin, ne marque aucun temps d’arrêt jusqu’au 10 juillet. Et que le spectacle soit continu!
To foot or not to ball
Les caméras sont partout. Les joueurs scrutés des pieds à la tête, les arbitres[4], les entraîneurs… un tel qui avait sorti une crotte de son nez à une coupe du monde a cette fois été filmé se grattant des parties intimes[5]; un joueur a lancé une polémique en faisant un bras d’honneur, mais s’en est défendu en annonçant qu’il avait fait sa sarabande habituelle[6]; un autre a défrayé la chronique en utilisant tweeter pour commenter sa non-sélection[7], entraînant à sa suite une avalanche de commentaires.
Bref, le foot est devenu un prétexte à polémiques ou commentaires sans fin. Comme si le ballon était devenu secondaire. A la blague potache de ceux qui disent : pourquoi est-ce que 22 gaillards courent après un seul ballon, on pourrait leur en donner plusieurs pour les satisfaire. On a presque envie de répondre… pourquoi leur donner encore un ballon, une caméra suffit à les combler.
L’essentiel est hors-champ?
En forçant un peu le trait, on pourrait dire : ça ne se joue plus sur le terrain. Loana dans sa piscine peut donc aller définitivement se rhabiller, il y a plus vendeur que le loft story (Big brother), qui se jouait aussi à onze pourtant, il y a le footloft ou euroloft, avec ses stars, ses millionnaires, filmés sous toutes les coutures, mettant leur main devant la bouche pour empêcher le décryptage de leurs échanges. « Epié » est le mot qu’employait un journaliste en parlant des joueurs, dont tous les gestes sont soumis à l’oeil panoptique, omniscient, des drones, caméras, appareils photos, faisant passer les arbitres pour des surveillants préhistoriques, de doux rêveurs romantiques, qui agitent encore des drapeaux et portent un sifflet à leur bouche, geste chargé de nostalgie, comme le faisaient les chefs de gare d’antan.
Bien sûr, le : « soyez-vous même », s’applique au sport comme à la téléréalité, et il sous-entend à l’adresse des joueurs: soyez de bons comédiens, à tout le moins crédibles : roulades, fanfaronnades ou provocations télévisuelles, ce n’est plus seulement du football qu’il est attendu de vous, c’est un spectacle total. Alors : footloft ou euroloft, un sport universel qui se joue à 22 joueurs, avec 1 ballons et 600 caméras, et dont le but est de booster une image en marquant des buts devant des placards pour energy of azerbaijan ou Mac Donald’s ?
Que regarde-t-on encore quand on regarde un match ?
Est-ce encore le match de football qui est le centre, ou celui-ci est-il devenu un pré-texte et les spectateurs les voyeurs d’un spectacle burlesque qui se dispute entre le banc, le terrain, les gradins, là où des abrutis finis se mettent parfois en évidence, et où les femmes des joueurs sont exhibées dans une parodie sexiste comme des poupées, sorte de surenchère people pour occuper l’écran.
Ce qui demeure au milieu de cette orgie cathodique?
Le football. Ce ballon qui roule et des passes qui se donnent, des appels et des mouvements, technique et tactique. L’amour du ballon, du cuir, poussé par des jambes, rebondissant de têtes en têtes. Des enfants émerveillés, des adultes retrouvant une part d’enfance, la passion folle et intacte devant la magie du sport qui est une mise en scène, mais qui met aussi en scène la société dans laquelle il se développe.
Euroloft 2016, quand il n’y a plus rien à voir ou commenter, il demeure la radio, pour suivre les matchs, avec une voix seulement pour traduire l’émotion et rêver le reste.
Alors: football exutoire, miroir, catharsis, dérive, excès, violence, union, fusion? Un peu de tout cela à la fois certainement, dans une expérience qui nous fait vivre quelque chose de fort, individuellement et collectivement.
Et au final, la superstar, il n’y en a qu’une : ce ballon insaisissable qui n’est à personne et après lequel tout le monde court.
[1] http://www.sofoot.com/euro-2016-24-pays-pour-quoi-faire-1…
[2]https://www.youtube.com/watch?v=ZrcX10HYMww
[3] http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-supporters-…
[4] http://www.lematin.ch/euro2016/international/arbitres-sta…
[5]http://www.huffingtonpost.fr/2016/06/13/joachim-low-video…
[7]http://www.lemonde.fr/football/article/2016/06/02/cantona…
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06/06/2016
Si j’étais de droite…
Les conseillers municipaux de droite ne se sont pas présentés à l’annonce des résultats ce dimanche 5 juin à l’hôtel de Ville. Hormis l’extrême droite, deux PLR et le nouveau président du PDC Ville de Genève, bien isolés, tous les autres étaient absents du rendez-vous démocratique. Il semble en effet plus facile de couper 8 millions dans le budget de la Ville en appuyant sur un bouton un soir d’hiver, que de venir assumer les conséquences de ses actes devant le peuple.
Un désaveu très clair de la politique du coupe-coupe
Les élus de droite ont-ils eu peur de voir leur politique désavouée par plus de 60% du corps électoral en Ville de Genève? Ou avaient-ils encore en tête le désaveu frontal que la chambre constitutionnelle leur avait porté quelques jours avant le scrutin sur leur recours administratif considéré nul et non avenu ? Cet abstentionnisme des élus de droite pousse à réfléchir. Il fait écho à une campagne où la droite s’est effilochée et réfugiée dans une posture victimaire et plaintive, incapable d’assumer politiquement ses coupes.
Le résultat des urnes allait-il faire réfléchir les élus de droite? Il semble, malheureusement, à écouter ceux qui y ont réagi, que non. Au soir d’un désaveu électoral massif, Simon Brandt, PLR signe sur son blog un nouvel acte d’accusation contre les autorités, relayé en communiqué de presse par les quatre partis de l’Entente, où il promet de nouvelles coupes.[1]
Une droite autiste et obsessionnelle
Face à la décision très claire des habitants de la Ville de Genève de refuser de taillader un budget bénéficiaire. Face à un choix démocratique qui transcende les camps politiques, s’appuyant sur des comptes 2015 dotés de 40 millions de bénéfices, rappelant qu’une partie de la prospérité de la Ville est construite sur la culture et le social, la droite répond par l’autisme et l’obsession en annonçant la poursuite des coupes dans la prospérité de la Ville [2].
La droite dysphorique réaffirme sa volonté de nuire, son sentiment infantile de ne pas être entendue par le Conseil administratif et la Gauche. Or, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Le peuple s’est exprimé clairement ce dimanche et a fait entendre sa voix: des coupes, il n’en veut pas! Est-ce si dur à entendre? Plutôt que des coupes, on a envie de proposer à la droite un bon nettoyage d’esgourdes.
Si j’étais de droite…
Si j’étais de droite, ce lundi, je me demanderais pourquoi 60% du corps électoral m’a clairement signifié son désaccord. Si j’étais de droite, je m’interrogerais pour savoir en quoi ma volonté de coupes forcées est encore légitime. Je ne mettrais pas en cause ma « méthode » mais mes manies. Si j’étais de droite, pourquoi trahirais-je ce qui a bâti la prospérité de la Suisse: sa valorisation du consensus, du dialogue, et le respect des majorités comme des minorités, dans la défaite comme dans la victoire ?
Si j’étais de droite, et de droite, disons modérée, je me demanderais pourquoi renier mon héritage politique, humaniste et social. Je remettrais en question mon plan quinquennal de coupes, et en l’interrogeant, je ferais preuve d’évolution politique, me séparant au passage de quelques extrémistes peu inspirés. Si j’étais de droite, pourquoi rejouerais-je au budget 2017, ce qui a échoué au budget 2016?
Si j’étais de droite, je ne mépriserais pas la démocratie suisse en raillant les référendums comme certains l’ont osé dans mon camp, mais la respecterais, et m’inclinerais devant elle. Si les élus passent, la démocratie demeure; et il revient aux élus d’être au service de celle-ci, pas l’inverse… je ne chercherais pas à forcer ma politique à 43 bonhommes contre l’avis du peuple[3].
Si j’étais de droite, enfin, j’irais au théâtre, au cinéma, ouvrirais des livres, remerciant ceux qui les créent de ne pas être rancunier ou aigri, car offrant sans compter ce qui rend l’Homme éclairé.
[2] http://plr-villedegeneve.ch/2016/06/ville-de-geneve-a-nou…
[3] La droite dysphorique, disposant de 43 sièges sur 80 depuis les élections municipales du printemps 2015, s’est mise en tête que cette faible majorité lui donne toute légitimité pour imposer ses vues, sans tenir compte de l’avis populaire.
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30/05/2016
La droite municipal craint le jugement du peuple, elle mobilise ses avocats
La droite municipale a donc lancé un recours pour invalider la votation populaire du 5 juin en Ville de Genève sur les coupes dans le social et la culture.[1] Pour la droite, les explications fournies dans la brochure par l’exécutif donnent l’impression que la majorité du conseil municipal est irresponsable d’avoir voté ces économies budgétaires, qu’il ne connaît rien aux finances, et va faire du mal aux jeunes, aux aînés, aux femmes battues.[2]
C’est donc parce qu’elle a le sentiment d’être mal comprise que la droite fait recours devant les tribunaux pour invalider un scrutin populaire. Le côté cocasse de ce recours est accentué lorsque l’on entend la cheffe de groupe PLR Natacha Buffet-Desfayes, à la télévision locale Léman Bleu [3], justifier son recours par la crainte d’être dépeint comme des sadiques. La droite prend très, très personnellement ce qu’elle interprète comme « une liste de griefs qui leur sont adressés… avec le sentiment d’être traîné dans la boue ». Mais pourquoi donc la droite déserte-t-elle le champ du politique, de l’argumentation, et du débat ouvert, pour se réfugier dans une posture judiciaire victimaire ?
Victimisation et personnalisation
Le journaliste écarquille les yeux et demande concrètement ce qui ne va pas dans la brochure présentant les votations du 5 juin. Il n’aura pas de réponse claire de la part de la cheffe de la droite, si ce n’est une succession de phrases à forte teneur émotionnelle et subjective : « on nous dit que l’on a mis la Ville à sang, nous sommes traînés dans la boue, on nous dit que tout le monde est affaibli, amputé, on n’a pas été entendu, on se sent insulté dans la brochure… nous ne voulons pas passer pour des méchants, nous voulons dire que parce qu’ils ne sont pas d’accord ils nous traitent de cette manière et il est mis dans la brochure que nous sommes des sadiques… » La cheffe de groupe finit dans un souffle: « enfin je vous dis là mon ressenti » Le mot est lâché, c’est donc, au final, de son sentiment que la droite parle et à partir de celui-ci qu’elle se sent autorisée à faire recours et encombrer les tribunaux. On a définitivement quitté le terrain du politique, pour naviguer dans l’espace infantile et régressif du: « je ne me sens pas compris, tu es très très méchant, je te coupe la paix… et ton budget avec ».
La droite a peur de son image
On a beau lire et relire la brochure des votations, on n’y retrouve aucun des qualificatifs offusqués employés par la droite. Sa blessure narcissique doit venir du fait que l’on déduise qu’ils sont les acteurs des coupes injustifiées pour 8 millions dans les finances publiques, avec des conséquences importantes pour le fonctionnement de la Ville de Genève et ses habitant-e-s:
- Réduction de 2.5% sur les mandats extérieurs et les achats de la Ville de Genève (Gérance immobilière, Service des sports, service des écoles, nettoyage des préaux).
- Réduction de 2% sur les subventions accordées par la Ville de Genève à l’exception du sport, du Grand Théâtre et de la petite enfance.
- Réduction de 10% sur l’ensemble des Fonds généraux culturels.
- Réduction du budget du Fonds municipal de lutte contre le chômage de plus de 600’000.-
- Diminution de 50% des subventions prévues pour le Fonds de soutien à l’innovation G’Innove.
- Suppression de l’incubateur social Essaim et réallocation de sa subvention à la Fondetec.
Mais, de deux choses l’une : soit ces coupes de 8 millions sont anecdotiques, auquel cas, on peut se demander pourquoi, au final, la droite les a faites; soit elles permettent véritablement de trancher dans les dépenses publiques, et de faire des « économies »… on ne comprend pas alors pourquoi la droite s’offusque que leur impact soit relevé.
Serait-ce cette phrase, parmi d’autres, qui offusque la droite ? « La Ville de Genève jouit d’une excellente santé financière. Cela est rappelé par différentes études, qui saluent les performances de gestion de la commune. Depuis 2007, la dette municipale a baissé de 17,9% (soit de 330 millions). La moyenne d’autofinancement des investissements sur 10 ans atteint les 144%. Et les comptes 2015 affichent un boni de 39.5 millions. » Il s’agit pourtant de faits avérés.
Un recours narcissique
La droite a donc fait recours à la chambre constitutionnelle pour invalider une votation populaire, parce qu’elle se sent mal comprise! N’assumant pas d’avoir coupé pour 8 millions de prestations dans le budget de la Ville, elle envoie ses avocats. Comment ne pas avoir l’impression, au moment de passer devant le peuple, que la droite cherche à brouiller les cartes, menaçant d’une annulation de scrutin une votation qu’elle a pourtant elle-même provoquée… comme si elle n’avait pas confiance ni dans ses propres arguments, ni dans la souveraineté populaire.
La droite face à sa peur du désaveu populaire
En amont, la droite n’avait pas voulu examiner le budget de la Ville avant de le couper d’une manière linéaire et à l’aveugle, supprimant des prestations importantes pour la population. En aval, elle jette l’éponge, refuse de faire campagne, déclenchant une bataille juridique que, selon toute vraisemblance, elle perdra.
Ces choix sont regrettables, et donnent au final l’impression que c’est avant tout son image et ses postures que la droite défend, ayant peur du débat de fond, n’assumant pas devant le peuple ses coupes, voire pire: intimidant ce dernier, lui laissant entendre qu’au final, ce n’est pas lui qui décide mais les avocats et les tribunaux.
Face à cette tentative d’intimidation, une seule réponse possible : aux urnes le 5 juin pour voter avec enthousiasme deux fois NON aux coupes et aux manoeuvres dilatoires d’une droite qui cherche à confisquer la liberté du vote populaire pour le réserver à ses avocats!
[1]http://www.20min.ch/ro/news/geneve/story/Votation-contre-…
[2] http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/entente-veut-invalider-scrutin-5juin/story/14367373
[3]http://www.lemanbleu.ch/Scripts/Modules/CustomView/Lis…
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23/05/2016
Au nom de qui, au nom de quoi
Celui qui combat des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. (Friedrich Nietzsche, par-delà le bien et le mal)
Au nom de qui au nom de quoi invoque toujours, par définition, une puissance autre que la sienne pour intervenir et défendre ses intérêts. Au nom de qui, au nom de quoi, prend Dieu par la main, tire Allah par le collet, fait parler comme un ventriloque la sacro-sainte puissance de l’Etat, la cause, la démocratie, l’état d’urgence, un œil sur la presse et l’audimat.
Au nom de qui, au nom de quoi est fort, très fort, quand il invoque la sécurité et joue sur la peur ; difficile alors de lui opposer quoi que ce soit. Pourtant, la vague qu’il lève, la hantise dont il se sert, il la suinte. Sa violence est un boomerang qui le menace derrière la tête. Pourquoi alors se tenir à ses côtés pour scruter l’ennemi invisible et ânonner comme sidérés : crainte et soumission ? Alors que la liberté et la capacité de créer du nouveau nous mobilise tout autrement ?
Au nom de qui au nom de quoi agrandit ses prisons, aligne ses algorithmes ou pelotons, textes sacrés, détourne la religion, caricature ses adversaires et ajoute une remorque au bouc émissaire. Ce n’est jamais lui qui pose problème, pas lui l’intolérant, la source de violence. A croire que celle-ci tombe du ciel, qu’elle descend de nulle part, se perpétue uniquement par force d’inertie ou de pesanteur, insaisissable épouvante tapie dans l’ombre, sans cause ni raison.
Servilité de l’autoritaire
Au nom de qui au nom de quoi cherche une légitimité comme un vieillard sa canne. Mais dis, quand sortira-t-on du dyptique bourreau ou victime? Martyr, martyrisé, ou sauveur ?
Au nom de qui au nom de quoi va en Iran rencontrer des Mollahs, serrer la pince de princes Qataris, s’acoquine aux compères, corrompus en tous genre. Au nom de qui au nom de quoi ne prend guère la peine de se boucher le nez. Le cynisme est son déni de la violence, la realpolitik sa solution finale… et au diable les moyens.
Au nom de qui au nom de quoi auto alimente les conditions de la violence, défend le pouvoir par le pouvoir, contre ceux qu’il prétend servir. Au nom de qui au nom de quoi se cache derrière les oripeaux de la foi, les ors de la république… jusqu’à son reflet dans le miroir.
Au nom de qui au nom de quoi s’accommode de la violence, s’y fonde même. Disposé aux compromissions nécessaires pour faire tourner les opinions, son absolu est placé dans le rendement et sa perpétuation. Mais toi, dis, où places-tu ton absolu ? Et pour qui agis-tu, plutôt qu’au nom de quoi?
Bulletin de vote, gomina ou bâton
L’exercice de la violence, sans justice sociale, place le militaire, le policier ou le terroriste sur le même pied d’égalité. Cette tasse de café, ce litre de pétrole, ce quintal de coton, quelle sueur les rançonne ?
Quel visage montre Au nom de qui au nom de quoi quand il est ramené sur terre, au ras de celle-ci, en face à face ? Quelle contestation, quelle parole, modération lui oppose-t-on? Tout passage par la case prison, inutile et stérile, faisant ressortir des jeunes gars qui se feront exploser plus loin doit être abolie. Tout réveil dans les parcs de la ville à coups de pieds par la force publique, banni. Interroger, combattre toute violence ; toute inégalité, tout abus de droit, les dénoncer. Au nom de qui au nom de quoi a besoin de silences complices. Pourquoi les lui donner?
Au nom de qui au nom de quoi prive de liberté ceux qui avancent les mains vides. Nul ne doit entrer en prison parce qu’il n’a pas de papiers. Au nom de qui au nom de quoi se frotte les mains. Exacerber les tensions, radicaliser les fronts, c’est bon pour son prêche ou sa réélection. L’état d’exception ou la résignation, c’est son inspiration. Que répondre à la violence de l’autoritarisme quand il ne dit pas son nom ?
La parole est un énergie
Les hommes armés sont dans la rue. Certains les saluent, rassurés par leur présence. D’autres sont regardés du coin de l’œil, fouillés plus que de raison, et pourtant innocents, comme les autres.
Au nom de qui au nom de quoi aimerait nous faire croire qu’il parle en notre nom.
Ses clins d’œil complices sont, à mes yeux, et avant tout : un signe aggravé d’épilepsie.
Une décharge électrique alimentant la créativité et la contestation.
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09/05/2016
Le rodéo des motards: quelles responsabilités ?
« J’ai vu un coureur se faire réanimer aujourd’hui doit-on interdire le marathon ? Déplacera-t-on aussi les courses cyclistes et la Critical mass ».[1] Le Conseiller d’Etat Luc Barthassat, après avoir banalisé le grave accident qui a blessé 6 personnes dont une gravement samedi durant un rodéo de moto compare une fois de plus l’incomparable. Le magistrat fait le parallèle entre une course populaire : le marathon, admirablement encadré par des centaines de bénévoles, avec des routes fermées, des postes de samaritains à des emplacements définis, des secours mobilisés pour l’occasion, et un rodéo sauvage de 2000 motards samedi dans la ville sans sécurité, ayant dépassé le contrôle des organisateurs.
Avez-vous déjà vu un marathonien en blesser 6 autres?
Quand vous courez un marathon, vous assumez que votre corps peut lâcher. Vous engagez votre responsabilité, et uniquement la vôtre. L’excellence de l’organisation, si elle ne garantit jamais le risque zéro, permet de répondre aux défaillances. On ne voit pas bien comment un marathonien pourrait en blesser un autre. Il en est tout autre quand un motard pousse son bolide 2 à 3 fois la vitesse autorisée sur les quais bondés un samedi après-midi ! La comparaison du Conseiller d’Etat est stupide. Est-ce parce qu’il était lui-même dans le cortège qu’il cherche à banaliser les responsabilités ? Sa réponse est aussi une insulte au professionnalisme de ceux qui organisent des courses pédestres et cyclistes et qui doivent faire face à la lourde tâche de planifier et sécuriser des événements.
Deux poids deux mesures?
Comme se fait-il que certains soient astreints aux coûteuses et nécessaires mesures pour planifier leur événement populaire, alors que d’autres déboulent avec 2000 motos en pleine ville, avec à leur tête leur chef de bande ? Ce rodéo de motard aurait dû être empêché de démarrer. Au marathon, vous savez combien de personnes vous avez au départ. Au réunion des motards, non. C’est plus difficile à évaluer. 1400 personnes aiment l’événement sur facebook, 2000 motards sont à l’arrivée. Il se passe des événements étranges dans cette République qui interrogent le principe d’égalité de traitement.
Ce rodéo de motard aurait dû être empêché de démarrer.
Est-ce parce qu’un Conseiller d’Etat était sur sa moto que cette manifestation a été autorisée sans encadrement suffisant de police ni pose de barrières de sécurité ? Cette équipée sauvage a mis la vie de gens en danger, des jeunes enfants qui couraient le samedi après-midi sur les quais, des piétons qui traversaient sur les passages piétons au petit bonheur la chance au milieu de la horde. Monsieur Barthassat a-t-il promis d’assumer seul la gestion de cet événement auprès de ses pairs du Conseil d’Etat ? Une enquête de police approfondie sur les événements doit rapidement avoir lieu pour tirer tout cela au clair. Seule une gestion responsable de tels événements sur le domaine public permettront d’éviter de tels drames. De telles négligences impliquant la vie d’être humains ne doivent plus se reproduire. Le bilan aurait pu être encore plus tragique ce week-end.
Un témoignage de motard
« Ayant participé à la bénédiction, j’avais envie de témoigner de mes impressions. Tout d’abord j’ai été étonné de voir que la gestion du cortège avait été attribuée à un groupe facebook de motards. Ils sont très sympas d’avoir voulu prêter main forte aux policiers pour gérer la parade mais ils n’ont absolument aucune expérience dans la gestion d’événements. On a simplement distribué des dossards jaunes fluorescents aux membres lambdas du groupe facebook qui avaient décidé de répondre présents à l’invitation digitalisée sous forme d’événements facebook, sans sélection aucune. Ensuite, sur place, pendant la messe, les véhicules étaient garés n’importe où, prenaient une place pas possible, jusqu’aux trottoirs, empêchant les passants de circuler. Mais le plus gros problème a commencé avec l’allumage des 2000 véhicules…. Je vous laisse imaginer le boucan cacophonique, quand les poignées ont commencé à jouer dans le vide, juste pour faire vrombir les machines et leur pot d’échappement. Et puis l’odeur, provoquée par ces mêmes jeux totalement inutiles de poignée de gaz et celles des pneus brûlés à l’arrêt sur l’asphalte, uniquement pour épater la galerie. Quitter l’église des Eaux-vives était une libération. Enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que le cortège prenne la route. Certains roulaient à plus de 80 sur des routes habituellement limitées à 50km/h (sous le regard bienveillant des policiers présents, tandis qu’à d’autres passages, ça bouchonnait tellement qu’on avait de la peine à dépasser les 10km/h, faute à une mauvaise sélection du parcours. Les radars avaient tous été désactivés pour l’occasion, certains motards en ont bien sûr profité pour oser l’impensable en temps normal…..un wheeling ne se fait pas par accident, un excès de vitesse ne se fait pas par accident… je continue quand même à me demander comment, à une bénédiction de motards, c’est sous couvert de la légalité que l’on arrive à (se) mettre en danger. »
[1] http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/accident-cologny-…
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08/05/2016
Sortie de route de Barthassat : « 6 blessés dont un grave… malgré cela la journée fut belle »
Franchement, fallait pas être malin pour rassembler en plein cœur de Genève, où la circulation était déjà compliquée pour cause de marathon, une masse de motards pour leur bénédiction à l’église des eaux-vives. Quel charme il y a-t-il à venir jouer du gros cube et défoncer les oreilles des passants en montrant qui a la plus grosse? Je l’ignore. On aurait au moins pu s’attendre à ce que ce rassemblement soit correctement encadré et des consignes de sécurité strictes données.
On aurait aussi pu imaginer une bénédiction des motards en proximité d’un circuit de course, à tout le moins d’une route fermée pour l’occasion, mais non, les joyeux drilles, montés sur leurs bécanes, ont trouvé beaucoup plus charmant de se rassembler en plein centre-ville, un samedi après-midi de printemps, puis d’envahir les quais en faisant exploser les décibels, et traversant la ville en tous sens.
La vie n’est pas un film américain
Certes, il ne fallait pas être très malin pour venir frimer au guidon de sa moto entre baby-plage et le jardin anglais, en escouade et avec des drapeaux pirates à tête de mort, jouant les gros bras en se croyant sur les longues routes désertes américaines. Mais il fallait être sacrément allumé pour essayer de faire un wheeling, le long des quais et embarquer dans sa chute un piéton et d’autres motards. Le drame a eu lieu au milieu de l’après-midi. Bilan: 6 blessés dont un grave.[1] Le prêtre qui avait dit quelques heures avant : « Dieu aime la moto, car c’est un plaisir partagé, une communion, c’est quelque chose qui vous lie et vous unit » a dû se mordre la lèvre en fin de journée. Il n’y a pas grand amour à se faire faucher par un motard tout à la joie de bomber le torse sa belle cylindrée qu’il ne maîtrise pas.[2]
Barthassat à la masse
Ce n’est qu’à Genève que l’on peut voir un ministre des transports, Luc Barthassat, se pavaner au volant d’une moto avec sa tête de mort sur le cœur et commenter en fin de journée très légèrement : « malgré l’accident sur les quais, la journée fut belle de rencontres et d’amitiés« , ce qui est choquant. Il aurait été souhaitable que le magistrat retire ses gants et ses œillères, prenne la mesure du drame, exprime une pensée pour les blessés et leurs familles, et si possible suspende sa virée à moto, plutôt que de continuer à faire des selfies à tête de mort.
Le mot « accident » à bon dos. Il faudrait dire plutôt : suite à des négligences coupables, des gens sont aujourd’hui en petits morceaux dans un hôpital, alors que d’autres finissent d’écluser leurs bières.
Une ville n’est pas un lieu pour faire des rodéos de motard.
Avoir cette conception de la ville, c’est avoir une époque de retard.
Le Conseil d’Etat va-t-il interdire ces rassemblements dangereux?
Quelle est la responsabilité du Conseil d’Etat considérant la légèreté avec laquelle la tenue de cet évènement a été autorisée ? Comment le Conseiller d’état responsable, Luc Barthassat, va-t-il s’expliquer devant ses collègues du Conseil d’Etat sur cette funèbre virée de bécanes, avec ou sans sa tête de mort sur le poitrail ?
Les rassemblements de motard doivent se tenir hors des villes, sur des routes sécurisées et surveillées. Même si, dans l’ensemble, les motards sont des gens responsables, l’excitation liée à ce genre de rassemblement, est une invitation à la catastrophe.
Les organisateurs, lors des courses vélo, protègent le public et les coureurs lorsqu’ils entrent dans des villes. Lors de l’arrivée du Tour de Romandie dimanche passé, les balustrades étaient posées. Comment peut-on lâcher une horde de deux roues mécanisées en pleine ville sans protections ni avertissements à la population?
Stop aux rodéos mortels des motards
Motards, plutôt que d’arborer des têtes de morts, des cuirs et des clous, mettez des fleurs sur vos motos, et allez rouler sur des circuits.
Les enfants, les familles, les cyclistes et les piétons qui ont risqué leur vie aujourd’hui en croisant votre sinistre parade vous en remercient.
Quand à Luc Barthassat, les mots me manquent pour désigner la légèreté avec laquelle un ministre des transports joue avec la vie des gens. A force de vouloir mettre des motos partout, sur des voies de bus, dans des églises, elles finissent aussi par partir dans le décor. Ce qui s’est passé ce samedi quand 2000 motards ont roulé en bloc sur les quais n’est pas un accident. C’est de la bêtise crasse. Certains en ont payé le prix fort.
[1]http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Un-accident-au-qu…
[2]http://www.tdg.ch/geneve/benediction-motards-attire-foule…
08:49 Publié dans Genève, Humeur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bénédiction des motards, extrême-onction, nuisances, insécurité, barthassat, danger. | | Facebook
02/05/2016
Les éclusiers de la porte étroite
Comme de nombreux genevois, je ne suis pas né ici, n’ai pas fait mes classes à Genève. Je suis arrivé dans cette ville en cours de route, ai été touché par sa capacité à accueillir la différence, par sa dimension cosmopolite.
A un âge qui n’était plus celui de l’adolescence, je suis venu travailler à Genève, ai été marqué par la possibilité de m’y sentir bien, en un mot, comme chez moi (en fait, bien mieux). Non pas que j’avais grandi très loin, oh non, à une distance de soixante kilomètres, mais parfois ceux-ci sont plus difficiles à franchir que des milliers, sachant que les rivalités sont aussi cocasses que tenaces, et les barrières bien posées dans les têtes.
Ubi bene, ibi patria dit le proverbe latin : là où je suis bien, là est ma patrie. Genève a toujours été une ville de refuge, elle en tire sa grandeur, sa force et sa beauté.
Comprendre Genève
Bien sûr, quand on n’est pas du cru, il manque des morceaux pour comprendre le récit local. Quand certains parlent des années des squats où de quelques scandales ayant émaillé la vie politique d’alors, du 25 rue du Stand en passant par les rapports complexes entre l’Etat et les communes; de grands projets ayant modelé ou défiguré Genève, on se rend compte du décalage.
Il y a certaines inimités (ou intimités) aussi que l’on n’explique pas et que mêmes les principaux protagonistes semblent avoir oubliées. Que s’est-il donc passé avant? Quelles Genferei a-t-on loupées? La mémoire vivante est parfois défaillante. Les récits sont contradictoires et l’histoire se réécrit sans cesse. Quelque chose s’est déroulé à Genève, durant les années passées, qui modèle le présent et auquel les nouvelles générations ou les nouveaux arrivants n’ont accès que par sourires entendus ou regards en coin. Il manquait un livre pour lever le voile. Albert Rodrik et Olga Baranova s’y sont attelés.
Mémoire vive
Les éclusiers de la porte étroite[1] d’Albert Rodrik et Olga Baranova est un livre généreux qui retourne les cartes. Tout d’abord, parce que tous deux ont ce parcours de migrants, qui leur permet d’avoir un regard distancé sur la réalité locale, mais aussi parce que, camarades socialistes, leur compréhension n’est ni complaisante ni liée à des liens ataviques. Ils sont libres ces deux! Ce recueil éclaire la réalité genevoise, suisse, avec perspicacité, sans pour autant être un livre d’histoire. On y découvre avec plaisir aussi l’excellent texte d’Eloisa Gonzalez Toro, fille de réfugiés chiliens, qui s’exprime sur la nouvelle constitution pour Genève. Pas de langue de bois ici. Les écritures sont tranchées, le parti pris affirmé.
Des parcours rythmés par l’engagement
Olga Baranova suivait il y a dix ans les cours d’une classe d’insertion scolaire à Genève. Elle est devenue suissesse juste avant son élection aux municipales de 2011. Aujourd’hui, elle termine ses études en management public, travaille à Berne au sein du parti socialiste en poursuivant son engagement politique à Genève.
Albert Rodrik, est arrivé à Genève en 1955, en provenance d’Istanbul, pour étudier le droit à l’université. Jeune fils d’une famille de commerçants juifs turcs passé chez les frères chrétiens, il ne connaît personne quand il débarque au bout du lac. « Pourquoi Genève? Paris n’était pas envisageable, car je me serais dévergondé, et Bruxelles était mauvaise pour mes bronches! Alors je me suis retrouvé à Genève et j’y suis resté » Syndicaliste, un temps comédien et employé de banque, adhérant au PS en 1975, l’homme a travaillé comme haut fonctionnaire durant 15 ans pour des magistrats de diverses obédiences. Appelé le sage au sein du parti, fin connaisseur de la politique locale, il est un guide, une référence, une mémoire vive.
Ce livre est en fait un carrefour, de générations, de récits, de regards. Albert est un sage, Olga une combattante, et Genève méritait bien cet hommage de deux migrants devenus des références.
Nous ne croyons pas au grand soir mais à tous les petits matins
Je ne suis pas convaincu que, pour les Suisses, la perception d’être un peuple ou des peuples parmi d’autres de cette planète, solidaires qu’ils le veuillent ou non, soit bien ancrée dans leur tête. Albert a raison. Nous avons besoin de ce petit livre qui permet de comprendre un parcours, des communes, un canton, et un peu de cette complexité helvétique dont on est fier sans toujours la saisir.
Car rien n’est acquis, ni à l’abri, que l’on soit né d’ici ou d’ailleurs. Et c’est l’engagement dans le présent qui oriente les pas, change la donne, pas le pedigree, ni la naissance. Comme des éclusiers de la porte étroite, démocrates, réformistes, nous ne croyons pas au grand soir mais à tous ces petits matins où les espaces de liberté sont sans cesse élargis en dépit de l’économie de marché.
J’ai pour ma part trouvé dans ce livre des raisons d’espérer et de mieux comprendre notre Genève où l’engagement quotidien pour une société plus juste se poursuit.
[1] Albert Rodrik, Olga Baranova, les éclusiers de la porte étroite, Editions Slatkine, Genève, 2016.
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17/04/2016
La poésie est une langue de résistance
On m’a posé une question : la poésie a-t-elle à voir avec le sacré ?[1]
Pour ma part, je vois plutôt la poésie du côté de la résistance que du sacré, de la transgression plutôt que de la vénération. Le sacré serait un espace trop précautionneux, presque ouaté, dans un présent trouble et tendu. La révérence et la sainteté ne me semblent pas aptes à répondre à ce qui nous secoue. Elles ne comblent pas la nécessité d’une parole qui se déploie libre au milieu du chahut, du chaos -pas pour les résoudre et les régler, non-, pour y faire entendre un son autre que les cliquetis monomaniaque des claviers et vaincre l’autisme des casques audio.
La poésie n’est pas l’opium du peuple mais son éphédrine.
Il faut relire les carnets clandestins du philologue Victor Klemperer: « LTI (lingua tertii imperii), la langue du IIIe Reich » qui s’ouvre par ces mots de Franz Rosenzweig: « la langue est plus que le sang ». Ce livre écrit entre 1933 et 1945, publié tardivement en Allemagne en 1995 seulement, analyse les manipulation de la langue par les nazis, comment l’emprise et la destruction ont commencé dans celle-ci.
Mais si l’emprise et la destruction commencent là, c’est bien de là aussi que peut prendre forme la résistance la plus forte.
La poésie est un acte de résistance
Que la poésie soit une respiration, un soulagement ou un poing levé, oui. Qu’elle puise son énergie au silencieux, au dissimulé, d’évidence. Que l’intime y ait sa part et la sensibilité la nourrisse: clairement. Elle est en cela un lieu de résistance à la vitesse, à la bêtise et à la vulgarité, au discours économique, et à sa force de frappe ; à l’abêtissement par matraquage médiatique ou conformiste. Pourquoi avons-nous faibli jusque dans la langue? La parole a été colonisée par les nababs du bankable. Avant d’être un lieu de vénération, la poésie est un haut-lieu de résistance. La domination du langage « d’implementation, de gouvernance, de sur-sécurisation » doit être subverti.
La langue qui échappe au discours de l’efficience
Cette résistance dans la langue fait-elle alors de l’écriture poétique un domaine relevant du sacré ? La conduit-elle au religieux ? Non. Voilà longtemps aussi que le sacré et le religieux, tels que nous les entendons, ont cédé dedans la colle de l’engluement. Pourtant, dans la poésie, quelque chose d’un ordre mystérieux et innomé trouve refuge. Qu’un silence s’installe entre deux voyelles, que claque le bris de quelques consonnes, c’est un miracle déjà. Et que dans ces assemblages de paille et de débris, ces nids et terriers, il y ait la vie, se disant avec des moyens pauvres et une nécessité vitale, c’est le signe indéniable d’une puissance, fortifiante.
Bienvenue la parole vivifiée
De la poésie découle une émotion sensible nous immergeant dans une langue neuve, et pourtant donnée et reconnaissable de toujours. Serait-ce qu’elle nous préexiste ? Bienvenue à l’écriture sensible, à l’écriture fragile. Que l’on ne se presse pas trop à lui refermer au museau le couvercle des catégories, des classifications, des chapelles, en l’appelant : écriture du sacré, écriture religieuse ou spirituelle, ou Dieu sait quoi encore. Ne l’organisons pas trop vite en salons ou festival, ne cherchons pas à la rentabiliser. Laissons-la gambader sur les pages, les murs, les écrans, dans les bouches et les corps. Laissons-la à son lent travail d’être et de devenir. Dit-on d’une herbe qu’elle est religieuse ou spirituelle ? Le dit-on d’un toit de tuile ou du bras d’une rivière, du vent et de la pierre ? Pourquoi ferions-nous alors entrer de force un poème qui est présent simplement, agencement de sons, de lettres et de souffles, dans les carcans de la convenance ou de formes identifiables? Pourquoi devrions-nous dire, toujours, comme des enfants : c’est toi qui l’a dit, alors c’est toi qui l’est ?
Ni carcans ni arcanes
La poésie se sauve sur les sentiers de traverse et évite les assemblées et maison que l’on prépare pour elle. Elle est surprise et effacement, sur le mode ce que Dubuffet énonçait pour l’Art brut. Il est beau de sentir que la graine poétique pousse dans des terres autres que celles des champs ratissés, abondamment traités, et qu’elle refuse de produire une plante standardisée bonne à l’ingestion de masse, dans des sillons gravés. Il est merveilleux de ressentir que la poésie croît dans des terres arides, ingrates, des terres libres ou dont plus personne ne veut, bradées pour deux francs six sous au marché, ou offertes à pleines brassées à qui veut bien les aménager par petits groupes.
Poésie: Sacrilège !
La poésie se nourrit de la différence, de la singularité, de l’intime, de l’unique et de l’éphémère. Elle est, en époque de standardisation, une transgression, une résistance, face au dogme dominant. Elle refuse la rentabilité, la capitalisation du vivant, la standardisation généralisée.
Les premiers hommes se sont nommés ainsi parce qu’ils fleurissaient leurs tombes, couvraient des grottes de pigments de couleurs.
C’est l’acte poétique qui fonde l’humanité, pas sa technologie.
Tout poème est une graine ou une liane.
[1] http://www.poesieromande.ch/wordpress/
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02/04/2016
A celui qui ne touche pas terre et commence à s’élever
A cela qui commence en avance.
A ce qui débute sans bruit.
Aux insomniaques qui se trompent de porte.
Aux rêveurs éveillés.
À celui qui gagne au loto et ne retire pas son lot. Au pompier qui cesse de fumer. Au médecin qui se soigne en silence. A la sage femme alerte.
Aux heures sup’ des syndicalistes. Au pasteur au désert du doute. A l’écologiste qui reprend son souffle. Aux lanceurs de graines.
A ceux qui se trompent de cheval. Au jet d’eau pour le geste. A la tendresse des glaciers. Au passage à l’acte sans personne. Aux accidents de personnes sans mal. Au résistant qui rompt le pain. Aux genevois heureux.
A la cause publique. Prix Nobel aux animaux de compagnie!A celui qui désire plus que son nom. Aux mendiants altruistes. Au retour des oiseaux migrateurs. Aux noces jubilatoires. A la fidélité de l’amant. A la précision de l’heure d’été.
Aux heureux compulsifs. A l’élastique qui tient. A la visite qui vient. A l’alliance renouée. A la redistribution des places. A la revanche des bêtes. Aux crues et aux gués. Au chevreuil et au chat, à la fermeture des abattoirs.
A ceux qui appellent dans la nuit. Aux machines fleuries.
A l’effort sur soi.
A la main qui se tend. A l’écho. A la langue qui se pend. A Camus à Lourmarin. Au lait cuit, au sel et au pain. Aux déjeuners des sportifs. Aux racines du cri. Au rameau, à la craie. Aux farines des fleurs, au fil des grands discours.
Au rire de Rilke. A la mort du libéralisme. A la persévérance de l’être.
Aux pompes à chaleur à la vie des nuages aux bricolages d’enfants.
A la fin des fonds.
A celui qui demeure à la hauteur de son abaissement.
A l’habitation large, à la mise en commun.
A celui qui n’est plus redevable, à cela qui n’a pas de fin, aux remises de dettes.
A la fin des attentes, au don sans retour, aux sources des racines.
Au désir sans fin.
Au retour des appels, au partage direct, à l’énergie de l’espoir.
Au non-jugement des sentiments.
A celui qui ne touche pas terre et commence à s’élever.
https://www.youtube.com/watch?v=x5DpM2narOU
https://www.youtube.com/watch?v=ibaoNRS1IZA
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09:23 Publié dans Air du temps, Genève, Humeur, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook
29/03/2016
Dans la jungle, sublime jungle
Agnès Vannouvong, Après l’amour, nous avait touché avec Gabrielle[1]. Elle nous entraîne Dans la jungle avec son troisième roman.
May a hérité d’une somme d’argent d’un ami mort, Stéphane, disparu en Thaïlande d’un accident de moto. Stéphane vivait vite, Stéphane vivait fort, sa disparition est un mystère, mais nullement une surprise.
May décide d’utiliser la somme de cet héritage pour se mettre en route et retrouver la trace de l’absent, chercher ses propres racines. Retour à sa terre d’origine entre Laos et Thaïlande, elle y emporte Sur la route de Kerouac mais aurait voulu avoir sous la main Voyage au bout de la nuit de Céline.
Elle oscille entre désir, hasard et fatalité, a laissé famille et enfants pour partir. Elle a remisé sa vie d’avant. Une vie domestiquée, passée à s’oublier, à servir les autres. Son mari est désormais un ex. Elle a cinquante ans et depuis la ménopause, la baisse d’oestrogènes fait de son corps un terrain sensible… elle sait qu’elle n’est plus jeune. Elle sent que sa vie devient de plus en plus intérieure. Elle se réveille. Elle a si souvent fait contre mauvaise fortune bon coeur. C’est une femme qui se libère.
Ce qui croît, entre la racine et les fruits
Ce roman sensuel tient de l’origine et de l’accomplissement en même temps. Il porte deuil et renaissance, intériorité et extériorité, désir et ennui. Qu’est-ce que May retrouve, ou quitte, à l’autre bout de la terre? Elle parcourt son passé comme une étrangère… comme une intime aussi. La jungle n’a rien d’hospitalier. Milieu hostile où l’on ne survit pas seul. Elle contient pourtant une trouble familiarité. C’est en elle que May, ankylosée, retrouve le mouvement, découvre le plaisir du risque, des chairs, le sortie de l’hiver. L’eau est partout. Liquide amniotique, symbole de renaissance. La vie a un parfum doux et sucré. Les bouddhas la surplombent. Un nouveau ciel.
Méandres des mémoires
May est accompagnée dans sa quête par Say, guide attentionné qui l’oriente, figure de réassurance. Elle est remplie de questions et de doutes. Il fait silence. Elle glisse, pleure. Il s’inquiète. Elle s’affranchit. Il pense la perdre, elle n’est pas étonnée de le revoir. Comme si la confiance et le désir étaient les deux faces d’un même animal se balançant sur une branche. Comme si l’attente avait toujours besoin d’un autre pour se déployer. Comme si seul le mouvement comptait, s’il n’y avait que le point de fuite qui était promesse d’une quelconque complétude, ou le temps d’une étreinte, quand tous les crapauds gueulent plus forts et que les oiseaux de nuits scellent les retrouvailles… avant la séparation.
Dans la jungle ne reproduit pas une image d’Epinal ou Rousseauiste de la nature. Tout ici est périlleux, voilé, mais comme apaisé. On n’est pas au coeur des ténèbres comme avec Conrad. Les liens et les mots permettent de consolider une présence fragile, presque douce, dans un écosystème complexe. Mais par contraste, la Ville est brutale, sans pitié, cruelle, explicite et… mortelle.
Ce n’est pas dans la jungle que l’on se perd, c’est en en sortant.
Un paysage à quatre saisons
Roman du plaisir d’aller, de contempler; roman d’une quête intérieure et d’un émerveillement mélancolique, où le temps est un allié, Dans la jungle porte dans sa langue la saveur de l’affranchissement et la liberté de la découverte. May porte le nom d’un mois printanier et traverse jungle, village, ville et île, comme on traverse quatre saisons pour se retrouver au même endroit, mais définitivement changé.
On sort de Dans la jungle (ou alors on ne fait qu’y entrer), un peu étourdi, sonné, comme on échoue sur une plage après avoir nagé trop longtemps et bu la tasse dans les vagues. Heureux, soulagé d’être encore en vie, conscient d’avoir échappé à une catastrophe de peu, de l’avoir contemplée à distance… déçu peut-être de n’être pas allé assez loin, vite, et impatient d’y retourner encore.
On contemple alors celui qui est allé au bout du voyage, ce mystérieux Stéphane, sans savoir ce qui lui a empêché de faire retour; sans connaître les non-dits qui lui ont permis de s’échapper, avec le sentiment que l’énigme demeure, que ce n’est pas la compréhension qui compte, mais le sens; que ce qui est dit est moins important que ce qui est tu, et ce qui est révélé moins fort que ce qui se cache…
comme dans la jungle.
Agnès Vannouvong, Dans la jungle, Editions Mercure de France, 2016, 113p.
Sortie le 1e avril.
[1] http://commecacestdit.blog.tdg.ch/tag/vannouvong
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28/03/2016
Qui roulera la pierre ?
Qui roulera la pierre, qui dégagera l’entrée, qui donnera de l’espace pour l’herbe sur la terre.
Qui ramènera le disparu, rassemblera les bandelettes, les bandages et le bois.
Qui allumera le feu ?
Qui fera décoller l’avion, ramènera le peloton.
Qui remplira le distributeur, nourrira les cochons?
Qui vendra son journal, qui gonflera ses ventes, dira non le premier?
Qui cassera la clé dans la serrure?
Que retiendra l’annonceur?
Qui trichera sur les mots, fera sauter le fusible, désignera le bouc émissaire?
Qui protégera le système?
Qui fera corps avec lui, en fera du compost?
Qui saura se chauffer? Qui fera sauter la chaudière?
Qui reconnaîtra le maître, qui jugera Judas, qui votera Pilate,
les imbéciles du Conseil d’Etat?
Qui criera : Expulsez-les ! Et libérez l’escroc?
Qui ira chercher l’homme à l’aube pour le séparer de sa femmes et de ses enfants?
Qui fera de l’homme un sans-domicile fixe?
Qui interdira la mendicité et persécutera les pauvres?
Qui fera de la police une idole asservie ?
Qui sentira le pouls de l’arbre, qui palpera la pierre, qui trouvera la source?
Qui éveillera la conscience, qui cèdera à la colère, que nourrira l’ego ?
Qui gagnera l’eurofoot, remplira le frigo ?
Qui roulera la pierre, qui autorisera les pleurs ?
Qui fera bondir les ventes? Qui toussera sans respirer? Qui polluera sans gêne?
Qui nourrira les diviseurs, ouvrira un crédit à 4 milliards pour bétonner de l’eau ?
Qui servira le pouvoir de l’argent?
Qui roulera en Harley, sponsorisé par le Qatar?
Qui détachera les ceintures d’insécurité?
Qui roulera la pierre qui bloque l’entrée?
Qui affirmera sa liberté sans nuire à personne ?
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10:15 Publié dans Air du temps, Humeur, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pâques, conseil d’état, mendicité, homme | | Facebook
27/03/2016
Si j’avais moins d’attentes je chercherais la vie
Si j’avais moins d’attentes je te regarderais dans les yeux, je parlerais aux lièvres. Je dormirais mieux. J’observerais moins ma montre.
Si j’avais moins d’attentes je ne lirais pas sur tes lèvres. Je rêverais plus pour gagner moins. Si j’avais moins d’attentes je perdrais moins de temps. Si j’avais moins d’attente, le temps ne serait rien. J’aurais jeté la pierre comme les autres.
Si j’avais moins d’attentes, je ne ferais rien pour plaire. Je traverserais le pont. Je dormirais dehors.
Je parlerais aux oiseaux, j‘écouterais le vent, je saurais faire silence.
Si j’avais moins d’attentes, je saurais que je suis nu. Si j’avais moins d’attentes, je laisserais tomber les crèmes, l’épilation et le roseau.
Si j’avais moins d’attente, je serais beaucoup plus clair.
Et barbu.
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25/03/2016
Le pape agenouillé montre l’exemple
Le pape François a lavé les pieds de douze migrants de confession hindoue, musulmane et chrétienne et d’une femme employée d’un centre d’hébergement, jeudi à Rome, provoquant l’ire des milieux conservateurs et les grincements de dents des tenants de la théorie de la soumission et des rapports de force, qui y voient une forme de reniement ou de capitulation du Saint-Père.
Ce geste de lavement des pieds est un symbole très fort.[1] Il fait mémoire de celui du Christ qui a lavé les pieds des apôtres la veille de sa passion. C’est une marque d’honneur, d’hospitalité, et d’humilité pour celui qui le fait comme pour celui qui le reçoit. C’est aussi une marque de lien. Ce geste fort invite à l’échange, à faire du serviteur un servi et du maître un obligé.
Saint patron d’une église qui s’est en général calquée sur les pouvoirs en place : monarchique avec la monarchie, républicaine sous la république, fasciste sous le fascisme et de tout temps patriarcale; le pape, au moment le plus fort de l’angoisse liée au terrorisme, et à la crainte de l’autre, fait un geste simple et courageux signifiant à l’étranger sa sainteté, en lui attribuant un rôle d’apôtre, porteur de confiance et de respect.
Ce geste revitalise ainsi la charge subversive et déstabilisante de la parole du va-nu-pied prophète crucifié il y a plus de 2000 ans pour avoir ébranlé les pouvoirs en place. Le pape redonne des couleurs à un christianisme engagé, courageux, pour autant qu’il ne se laisse pas figer dans les herbes soporifiques du pouvoir ou la glace de l’air ambiant. Il nous invite à la nuance et au discernement, à expérimenter par nous-même et à aller à la rencontre de l’autre. Au contact.
Que le Pape se soit mis à genoux n’est pas un abaissement. Que ces migrants, touchés, aient pleuré et l’aient embrassé en retour, est une leçon de vie. Réaliser ce geste fondamental du lavement des pieds, qui est celui de l’hospitalité et de l’accueil, une profonde marque d’humanité, source d’espoir.
Si la religion instrumentalisée peut être un facteur de division et de meurtre, elle est surtout un élan pour le lien social et la rencontre de l’autre au-delà des étiquettes sociales, des peurs et des replis angoissés.
Que les les aigris, les violents, qui voudraient élever partout les murs, les herses de la méfiance, la division et la guerre, pour placer dans un même panier le migrant et le terroriste, l’innocent et le tueur, partent donc à Raqqah, vivre avec ceux qui leur ressemblent dans la négation de la différence, et cessent de se réclamer d’une quelconque civilisation judéo-chrétienne dont ils fabulent une légende et bloquent même tout devenir en invoquant les croisades ou les purges comme seul horizon.
Je ne suis pas papiste, je ne suis pas catholique, je ne suis pas musulman, je ne suis pas athée, mais quand je vois un être humain se mettre à genoux devant un autre pour l’accueillir et en être accueilli, laissant de côté les guerres de chapelles, les clichés et les craintes, je trouve là une raison d’espérer dans un temps où une ribambelle d’hypocrites, d’incendiaires et de faux culs désignent avec malignité ou irresponsabilité des boucs émissaires afin de dissimuler leurs propres avidités, peurs, et incompétences.
Se soigner ensemble, vivre et survivre ensemble, avec des différences et de multiples appartenances, ou mourir divisés, le défi de notre temps.
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Heureux ceux qui
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16/03/2016
Aux douves du doute
A l’homme capturé à quatre heures du matin. A celui que l’on sépare des siens. A celui qui entend: tu n’as rien à voir avec nous. A nous qui ne sommes rien
A la femme qui pleure. A l’enfant qui l’attend. Au chien qui se terre
A la paille. A la craie
A celui que l’on pousse dans la rue. Aux principes fondateurs. Aux mots qui ne disent rien. Au pouvoir de nommer. A la fin du capitalisme. Au monde qui vient
A celui qui se perd. A celui qui se place
A la liberté de croire
Au poreux des frontières. Aux murs de verre. A la gaze sur tes jambes
Aux sorties sans retours
A l’hospitalité reine. Aux frissons dans les reins
Aux vies qui se sauvent. Au bastingage qui tangue. A la corde sans relâche. Aux coudées affranchies. Aux pensées sans histoires. Aux poissons paresseux. Aux pupilles dilatées. Aux ports de détente. Aux attaches qui tiennent. Au khat et au chanvre. A cela qui résiste. Aux points de passages.
Aux bras dans le dos. Aux gâchettes sous les doigts. Au bandeau sur la tête. A Leila Alaoui. Au sel sur la langue
A l’avion qui se pose. A celui qui s’en va. A la lampe d’Aladin. A la parole donnée. Au bouquet de jasmin. Aux poignées de riz
Au dumping lexical
Au dompteur
Au dompté
A celui qui a froid
Aux douves du doute.
A l’enfant qui se trompe de porte. A la femme qui entre. A l’inanité du rien. A celui qui retombe en amour. A l’enfance. A l’amour sans contenant. A l’apport sans limites. Au guetteur qui s’endort. A Hannah Arendt
A celui qui ne baisse pas les bras. Au transparent. A l’éthéré. Aux poèmes de Char. Aux chants de Taizé. A la fidélité des chiens. Aux films de Miyazaki
A la Pâques. Aux compteurs à zéro. Au pardon. Aux fragments.
A l’irruption du don. Aux rêves prémonitoires
Au sol meuble. A la sève sans nom. Au printemps. Aux palissades hautes. Aux murs des prisons. Aux graffitis ducon. Aux becs des pinsons
Aux trous dans les grillages. A Amanuel. A Ayop. A la foi
Aux partis sans leaders. Aux leaders sans armures
A Mirko Locatelli
Aux fragments et au tout
au langage du coeur
à l’arrêt
au retour du un
aux douves du doute.
Au visage vu comme la toute première fois.
Photographie : Eric Roset
Hommage à Mirko Locatelli par Yannis Youlountas : http://blogyy.net/2016/03/14/un-compagnon-de-lutte-nous-a…
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12/03/2016
L’intimidation, c’est simple comme un coup de fil
Vous n’avez probablement pas lu la chronique dans le Temps du journaliste Olivier Francey: Bibi fricotin au pays des Mollahs. Et pour cause. Retirée 2h après avoir été mise en ligne et supprimée du print, elle a été gommée, mais demeure toutefois accessible pour les spéléologues du web dans ses strates souterraines, ou ici. [1]
Avec finesse et un esprit mordant dont il a le secret, le journaliste analysait le 3 mars la visite du président de la confédération Johann Schneider-Ammann avec le magistrat Pierre Maudet et le Fribourgeois Beat Vonlanthen à Téhéran: capitale de l’Iran, royaume des riz aux mille saveurs et des paysages contrastés mais aussi chef-lieu des grandes manifestations anti-occidentales et des pendaisons à la chaîne.
Le journaliste dressait alors un portrait non-complaisant et critique du Magistrat Maudet. Il révélait son tête à tête avec l’ayatollah Ali Khamenei comme « un évènement un peu surréaliste lorsque l’on se rappelle que l’édile, quelques jours plus tôt, s’époumonait contre une employée de la Ville de Genève, voilée à son travail. »
#jesuisolivierfrancey ?
Olivier Francey, avec son style libre et jubilatoire, nous rappelait que c’est quand la presse fait usage de sa liberté de parole qu’elle joue vraiment son rôle démocratique de contre-pouvoir. Est-ce alors le style ciselé et percutant de cet article qui l’a condamné aux oubliettes? Ou alors sa trop grande liberté de ton, voire, oh crime de lèse majesté, d’avoir mis en exergue les contradictions et hypocrisies du magistrat Maudet, qui l’a conduit à disparaître en 2 petites heures?
Ceux qui se sont levés en lançant #JesuisCharlie et défendant la liberté de la presse seraient bien inspirés de ne pas réserver leur indignation aux atteintes qui se portent à des centaines ou milliers de kilomètres mais à celles qui se déroulent dans notre Genève réputée si libre et démocrate. Alors, à quand le hashtag #jesuisolivierfrancey ?
Le pouvoir de l’omerta
Il se dit que le journaliste Didier Tischler, ayant osé être critique envers le magistrat Maudet, pointe désormais au chômage de longue durée après s’être fait virer du Matin[2]. Comment nommer cela ? Le vrai pouvoir, c’est celui qui n’a même plus besoin de s’exercer pour que ses effets se fassent sentir. Faites des articles vitaminés sur comment Maudet fait de la course à pied, son activisme médiatique avec les djihadistes, mais un lien entre ses postures sur la laïcité et sa docilité devant un mollah qui pend des gens; ça, ça ne passe pas.
Le courage le pouvoir le rappel à l’ordre
Ce qui est certain, c’est qu’Olivier Francey a franchi une ligne rouge. Et il semble que dans notre régime, si on peut prétendre à la liberté de parole, il n’est pas certain que l’on puisse l’exercer librement et surtout sans conséquences. En s’exprimant avec mordant, ce journaliste a dépassé une limite. Laquelle? Et qui l’a rappelé à l’ordre?
Il serait intéressant qu’un journaliste de la place se donne la liberté de faire un petit article sur ce sujet.
[1] https://www.anony.ws/i/2016/03/12/LeTempsIran01.jpg
https://www.anony.ws/i/2016/03/12/LeTempsIran02.jpg
[2]http://didiertischler.blog.tdg.ch/index-12.html
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