Ouf, la Suisse est éliminée. Le mythe est sauf

  • 19. juillet 2016
  • air du temps
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Ouf, le mythe national est sauf, la Suisse a été éliminé de l’euro de football. C’est en revenant d’outre Sarine, assis en face d’un couple suisse-allemand, que j’ai réalisé que les mythes helvétiques sont éternels. Et si la Suisse a une équipe de football, c’est avant tout… pour qu’elle perde.

Mais revenons au match. L’Intercity des CFF, ponctuel comme à son habitude, nous entraîne vers Brigue. Mon voisin, chips Zweifel sur les genoux, son amie, bière Feldschlösschen à la main, partagent généreusement les images du match avec des recrues en permission. Lichtsteiner, en bon capitaine, n’allume pas la lumière, en traversant le tunnel du Lötschberg. Mon voisin ouvre le Blick, feuillette la composition d’équipe, jouant au sélectionneur, juste pour tromper le temps.

Est-ce que l’entier du train suit ce match contre la Pologne ? Oui. L’engouement pour la Nati est total, même si personne, au fond, n’en doute: nous allons perdre, c’est sûr, et c’est très bien comme cela. C’est juste une belle occasion de ronger son Kägi Fret et avaler un Rivella.

Le suspens est dans les pannes du réseau

Des cris ponctuent des actions qui, sans l’interruption ponctuelle du réseau (que fait Swisscom?), n’auraient pas laissé place au moindre suspens. Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, pour rendre le football plus attractif, songer à des interruptions d’une seconde dans la diffusion des matchs. C’est diablement efficace, le spectacle y gagnerait; en tout cas le jeu de l’équipe nationale serait plus haletant.

Et voilà, juste avant la mi-temps, les polonais marquent, suite à une montée bien trop courageuse, hardie, autrement dire fort peu helvétique d’un de nos défenseurs, ce qui calme tout le monde et, dans le train, fait sourire le contrôleur, adepte de la schadenfreude, assurément.

Défendre on sait, quant à attaquer…

Arrivé à Brigue, c’est toujours la défaite qui se profile, et cela fait plaisir à ceux qui aiment faire plaisir et trouvent qu’en Suisse, on a déjà bien de la chance, alors autant en faire gagner d’autres. De toute façon, on ne serait pas allé beaucoup plus loin. Les passagers délaissent peu à peu leurs écrans, pas disposés à renoncer totalement à leur série préférée pour un match de football mal emmanché.

Pourtant, le voyage n’est pas fini! Il reste 45 minutes pour se refaire. On monte dans un train à crémaillère. Si l’on réfléchit bien, en Suisse, on est crocheurs, on aime les situations contraires (quitte à les provoquer), pour ensuite ne plus rien lâcher. Déjà, contre la Roumanie, on avait égalisé (sans aller jusqu’à gagner, cela n’aurait pas été fair-play). C’est seulement au pied de la montagne et contre des éléments contraires que l’on se démène. Avant d’être au bord du précipice, pas de raison de brusquer la balade.

 

Shaqiri ou le ciseau du télécabine

Passé le roulis du départ, la montée en télécabine donne lieu à un doux chaloupement, balancement qui nous rend contemplatif et léger, jusqu’à ce que survienne ce geste clairement métaphysique et tranchant de Shaqiri : un ciseau! qui égalise d’une manière peu helvétique, -les udécéistes et autres racistes réprouvent ce geste peu orthodoxe; il ressemble pourtant à une figure de la patrouille suisse- Ce grain de folie et de talent, bien trop punk pour être alpin.

Le téléphérique tressaute, vacille: un cri, et bien sûr, l’écho… jusqu’au fond de la vallée.

Hébétude. Une rupture?

Après tout, si nos maillots se déchirent, tout est possible, même gagner.

La séance de prolongation : monotone comme une traversée d’alpage.

 

Les pénaltys tiennent plus de la corrida que du combat de reines

Durant la séance de pénaltys, comme en altitude, l’oxygène vient à manquer.

On économise son souffle, commande une ovo chaude, mais on le sent déjà, la Nati sera fidèle à son mythe. Un joueur -Winkelried des pelouses – se sacrifiera nécessairement pour envoyer son tir au pied du Cervin, et assurer que la Nati, dans son entier, puisse, avec les honneurs, revenir à Zürich via le premier vol Swissair.

Car en Suisse, on aime l’empoignade réglo, la lutte à la culotte ou les combats de reines, mais les tirs au but, cet exercice solitaire et tranchant, tient bien trop de la corrida et du drame pour nous convenir.

Les vaches secouent leurs cloches, les nuages passent sur les montagnes.

Voilà, c’est fini, la Suisse a perdu (sans avoir démérité, bien sûr).

Soulagement.

La Suisse est éliminée, le mythe est sauf.

On peut maintenant refaire le match et se dire qu’il manquait peu, que l’on aurait pu, qu’il y a des progrès, et que peut-être la prochaine fois, avec un brin de roublardise, de chance, ou maturité…

Car si l’on n’aime pas gagner, c’est clair, on est pas des loosers quand même!

 

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