Georges Haldas est décédé voilà 10 ans, le 24 octobre 2010. Il repose au cimetière des rois. Une tombe simple, à l’image de l’homme qu’il était : modeste.
Une brève chronique sur la radio suisse romande ce matin m’a rappelé l’anniversaire de sa mort. Cela m’a conduit à me souvenir des jours où je l’ai croisé et de l’unique fois où j’étais allé chez lui. C’était au Mont-sur-Lausanne. Il m’avait ouvert sa porte. J’étais jeune étudiant. Je n’étais personne. C’est dire la modestie du bonhomme. Il s’était servi un verre de chianti. Je me souviens de ses lunettes à gros foyer, d’un vieux cendrier où il faisait tomber ses cendres, y frottait son cigare. Je me souviens de sa gentillesse, et du rappel à la persévérance qu’il m’avait communiqué : fais ce que tu veux faire mais fais le bien. Je n’ai jamais oublié cette rencontre. Le bonhomme, sa chaleur, sa générosité.
J’avais lu tous les livres de lui que j’avais pu trouver. Par ses chroniques, Georges m’avait éclairé, et par sa poésie, transmis une manière de voir le monde, de ressentir les choses, avec la volonté tenace de les nommer. Georges m’avait fait découvrir l’importance d’investir une langue et que celle-ci se façonnait, par l’exercice, au travers d’une ascèse : l’écriture, qui permettait de se situer, s’orienter dans le temps et l’espace. Georges m’avait ouvert à la possibilité d’avoir une langue et d’ouvrir la porte de l’enclos, en offrant la clé.
La langue permettait de (se) comprendre, (se) construire, avec les autres. Elle était également un territoire. – Habiter sa langue- : disposer d’une sorte de patrie portative.
La langue, grâce à lui, m’était devenue familière. Un territoire et un espace que je pouvais occuper et travailler. Bref : une appartenance. Mieux encore, Georges m’avait ouvert à la transcendance. Sa langue était prière, méditation. Il décrivait les autres, mais aussi l’Autre (avec un grand A) et se tenait au point d’intersection entre l’introspection et l’élévation. « Vis selon ce que tu pressens et crois. Avance dans la voie dont tu sais qu’elle ne peut être que la tienne. Le reste te sera donné de surcroît »
Georges est toujours resté pour moi un guide, une sorte de père spirituel. Il rappelait souvent que c’est au lieu du plus grand abaissement qu’est la plus grande élévation, que les plus grands bonheurs sont inséparables de la plus grande souffrance ; qu’il faut se faire tout petit pour grandir. Il mettait en garde contre l’emphase, le grandiloquent, le mensonge de la pose et du paraître. Il fixait le coeur de la croix comme un lieu de vérité.
Je me demande aujourd’hui ce que Georges écrirait sur notre société ; ce qu’il dirait de la Covid-19. Lui qui aimait tant les gens, les cafés, les stade de football, les lieux de réunion, les repas commun, où bruisse la vie. Comment en rendrait-il compte? Lui qui cherchait la source, l’état de poésie, où la trouverait-il aujourd’hui ?
J’y ai réfléchi. Et je ne peux voir Georges autrement qu’écrivant à une table de café, et voyant dans cet abîme de souffrance et de péril auquel nous sommes confronté-e-s, une épreuve à travers laquelle passer. Une invitation exigeante à être toujours au plus près de la source, de l’essentiel, et fidèle au silence, à l’amitié, à l’écriture.
Je ne peux voir Georges, hier comme aujourd’hui, qu’aimant la vie encore davantage, horrifié et blessé par les solitudes et les souffrances, par les réclusions et les replis, mais aussi par la connerie ambiante, l’agitation mesquine, les réseaux sociaux délétères et la montée des égoïsmes.
Je crois que Georges aurait vu, dans la Covid-19, une épreuve exigeant de nous de nous hisser à hauteur humaine, pour montrer notre solidarité, nos générosités, notre sollicitude les un-e-s envers les autres.
Je crois que Georges aurait mâchonné l’impuissance, le désespoir, la tristesse, et que comme toujours il en aurait retiré de la lumière. Comme on presse un fruit, sans se soucier des pépins et des amertumes: un suc de sagesse.
Peut-être aurait il répété : « justement, parce que tu as une propension à la panique, ne pas y céder » (Paroles nuptiales) ou : « Dans la forêt des doutes je cherche les fondements » (Les minutes heureuses)
Georges nous aurait invité à nous laisser passer au crible de la crise, et y trouver notre chemin pour davantage d’humanité.
Il est loin. Il est silencieux. Il reste ses écrits, un viatique.
Son testament, une mine d’or pour ces temps incertains.
Merci Georges.