Une fois pas mois, le dernier vendredi, des cyclistes se réunissent pour rouler dans la ville. Cela s’appelle une Critical mass. Mais cela se passe aussi fréquemment le samedi, ou le dimanche matin, et cela s’appelle… un peloton cycliste. Rien ne les distingue, et il ne viendrait à l’idée de personne de devoir faire une demande d’autorisation pour aller rouler avec son club cycliste ou à l’appel de son association de quartier pour une balade à vélo. Une autre différence notable également est la mobilisation massive de la police qui cible une seule réunion de cycliste, celle du vendredi, engageant des dizaines de policiers dans une stratégie de la tension contre-productive.
Depuis le mois de mai 2020 particulièrement, la Critical Mass est semble-t-il l’objet d’un harcèlement systématique de la part de la police genevoise massivement mobilisée qui, selon les retours du terrain, interpelle lors de chaque édition des dizaines de personnes manifestement choisies au hasard et leur inflige des amendes de l’ordre de 750 francs pour « entrave au trafic ». Qui veut la peau de la Critical mass titrait le journal Le courrier en août.[1] Oui, qui veut la peau de cette déambulation cycliste ?
Chaque dernier vendredi du mois vers 18 h 00 a lieu un rassemblement de cyclistes, de patineurs et de skateurs. Ces « coïncidences organisées » réunissent sous l’appellation Critical Mass des personnes partageant une préoccupation commune : rendre aux rues de la ville leur rôle de lieu d’échanges et de rencontre en montrant au public qu’il existe des modes de déplacement alternatifs au trafic motorisé privé, peu gourmands en espace et en énergie, non polluants et ludiques, dans un esprit pacifique et une atmosphère conviviale.
Rappelons que ces rassemblements mensuels existent depuis plus de 22 ans dans plus de 300 villes dans le monde. À Genève, ils se déroulaient depuis plusieurs années sans entrave de la part des forces de l’ordre. Mais à partir de mai 2020, tout a changé. La répression inédite que la Critical Mass subit s’inscrit dans une politique de restriction générale des libertés publiques de la part de la police. On peut citer les amendes infligées aux personnes qui ont répondu à l’appel du 4 mai[2], et par groupes de cinq, délimité autour d’elles des espaces de quatre mètres carrés pour alerter sur la gravité des changements climatiques durant la période de semi-confinement, la dispersion par la force du rassemblement prévu dans le même but par Extinction Rébellion devant l’aéroport lors de sa réouverture, le 15 juin, l’empêchement de la tenue de l’édition de mai de la Critical Mass… et la liste n’est pas exhaustive. On se rappelle également de la création du délit de solidarité à Genève lorsque la Caravane de la Solidarité, durant une distribution alimentaire en plein Covid-19, a été interrompue par la police, la fourgonnette et les cabas alimentaires saisis[3]. Mais au final, le ministère public a décidé de ne pas entrer en matière contre la Caravane de la solidarité, validant cette distribution alimentaire « sauvage ». Au final la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga, les président-e-s du Conseil des Etats et du Conseil Nationale rendront hommage à cette action. Comment expliquer alors que continuent de tomber des 750.- d’amende sur la tête de cyclistes et de personnes qui revendiquent l’espace public, défendent l’expression démocratique alors que le Ministère public lui même leur donne raison, n’entrant pas en matière concernant un usage de l’espace public qui n’avait pas été annoncé et pour lequel la police était intervenu vigoureusement.
Ce deux poids deux mesures est dérangeant et renforce l’impression d’une stratégie de l’intimidation visant à casser par l’amende et sa menace des expressions démocratiques, festives, sans organisateur dédié, fruits d’une passion. Les prises à parti anti-jeunes du magistrat Poggia semblent aussi laisser poindre une volonté d’intimider la jeunesse.
Pour compléter, cette stratégie policière contre des mouvements démocratiques a un coût exhorbitant. Le 28 mai dernier, pour quatre petites heures de Critical mass, ce sont « 579 heures de travail pour la police qui ont été engagé. Comme le relève le journaliste Marc Bretton: « on reste sans voix. Cette mobilisation ne serait-elle pas un peu démesurée pour quelques centaines de cyclistes? Ce temps ne pourrait-il pas être consacré à des missions plus urgentes? » En effet, il faut s’interroger sur le sens des missions prioritaires données par le magistrat à la police.
Si la police veut jouer à chasse cycliste à tout le moins qu’elle prenne des vélos et propose ce jeu sur vélodrome durant ses jours de congé, les finances publiques ne s’en porteront que mieux.
Un sursaut de la part de la société civile pour s’opposer à cette stratégie de la tension s’impose par exemple via une participation joyeuse et pacifique à la prochaine édition de la Critical Mass. Celle-ci aura lieu, comme d’habitude, le dernier vendredi de septembre, soit le 25, à 18 h au Pont des Bergues.
Pour rappel, les bonnes pratiques ayant cours dans une Critical mass qui se passent de bouches à oreilles lors de celles-ci :
– Montrons-nous responsables en toute situation. Ne répondons pas aux provocations des automobilistes et motocyclistes qui tentent de forcer le passage.
– En toute circonstance, restons courtois. Prenons le temps d’expliquer aux gens que nous revendiquons un espace public débarrassé du monopole qu’y exerce le trafic motorisé privé.
– Roulons compacts. Nous éviterons ainsi des incidents. Sachons terminer ensemble et au même moment une Critical Mass.
– Enfin, mais cela va de soi, facilitons au maximum le passage aux véhicules d’urgence ainsi qu’aux transports publics.
Il va de soi également que celles et ceux qui défendent une ville apaisée, débarrassé des risques liés au trafic motorisé et de sa pollution, devraient être protégés par la police, et non pourchassés.