Moins de prévention, plus de droits

  • 11. mai 2020
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Et ça recommence. Avec le printemps revient la enième campagne de prévention à l’adresse des cyclistes et des piéton.ne.s, pour leur communiquer les bonnes pratiques et les manières d’être bien visibles sur les routes et le long de celles-ci.[1]

Encore une fois on blâme les victimes, et déresponsabilise les conducteurs à téléphone portable, à l’attention évanescente, au pied vissé sur le champignon. Pensez-donc : si des cyclistes et des piéton.ne.s meurent, c’est de leur faute, ils oublient parfois de mettre leur gilet jaune, pas parce qu’ils avancent en milieu hostile et dangereux prétend le BPA (Bureau de prévention des accidents).

Prévention, piège à con

Le constat est alarmant. Entre 2013 et 2017 le nombre de cyclistes et piéton.ne.s blessé.e.s sur les routes suisses a augmenté de 15%. Le vélo est le seul secteur dans lequel le nombre de personnes tuées ou blessées lors d’accidents a augmenté depuis l’an 2000: plus de 27% ! Alors que celui des automobilistes blessés ou tués a diminué de 34%. De plus en plus de gens se tournent vers le vélo. Pourtant, la circulation est encore régie par et pour les automobilistes. Nous avons des décennies de retard en terme d’infrastructures.

Un docte membre du bpa nous rappelle que des éléments ont déjà été pris en compte au niveau des lois, avec l’adoption de via Secura et de mesures sur l’alcoolémie pour les conducteurs et qu’il faudrait maintenant prendre des mesures concernant la mobilité douce. Il veut nous faire croire que l’effort est symétrique, et que c’est au tour des usager.e.s de la mobilité douce de « faire leur part ».

Cette benoîte campagne nationale espère donc sensibiliser la population aux dangers mortels de la route pour les plus fragiles, nous faisant croire qu’il suffit de ne pas porter des habits sombres et avoir une petite loupiote à la main sur son casque ou à la main pour être « en sécurité ».

Nous avons droit à la sempiternelle vidéo d’un policier goguenard qui à l’aide de la réalité virtuelle à un citoyen de se retrouver virtuellement écrasé par un camion afin de « voir ce que cela fait ». Assurément, s’il avait porté deux bandelettes fluorescentes cela ne se serait pas passé ainsi. Cette bonhomie complice nous laisse sans voix alors que les pandores sont impassibles face à l’usage des téléphones portable au volant et passifs face au parking sauvage, sur les pistes cyclables par exemple.

2019 : changer de braquet

On avait déjà eu droit, en 2017, à une campagne irresponsable de la SUVA qui attaquait les cyclistes, les rendant coupables de leur propre insécurité.[2] Aujourd’hui, c’est encore et toujours la même rengaine qui est servie: ce serait aux usager.e.s les plus fragiles, les plus exposé.e.s de la route de faire attention, de se prémunir avec quelques mesurettes pour sauver leur peau.

Ce n’est pas en respectant les feux que vous ne vous ferez pas tuer, ni en marchant sur des passages piétons que vous éviterez d’être une crêpe (la probabilité est pratiquement identique de s’y faire shooter qu’en dehors[3]). Car si l’espace publique est à tout le monde, la route ne l’est pas, et les véhicules motorisés y règnent en maître depuis plus d’un siècle.

Les mesurettes et les discours de prévention nous prennent radicalement pour des cons. Pourquoi ? 

Parce que ce sont les conditions structurelles qu’il faut changer. Le code de la route censé « être le même pour toutes et tous » est un héritage historique à revisiter. Il n’est pas possible d’avoir les mêmes règles pour des usages aussi dissymétriques que la conduite d’un camion ou celle d’un vélo. Les conditions structurelles du partage de l’espace public doivent être changées.

Nos villes et nos campagnes sont balafrées et dénaturées par les décennies du tout à la route au profit d’un mode de transport. C’est cette architecture anti-écologique et sociale qui fait planer un danger mortel, au point où les jeunes générations prennent moins le vélo qu’avant[4], et que les enfants ne peuvent aller à leur école seul.e.s en sécurité.

En ville, le danger est partout, de jour comme de nuit. On ne risque pas sa peau parce que l’on oublie son catadioptre. On est en danger dès que l’on met une roue sur le bitume ou longe un trottoir. Le coût financier et social de notre manque d’évolution en terme de mobilité est énorme.

Les villes de demain seront plus vertes, plus sûres et sans bagnoles.

Hâtons le mouvement!

Comment faire de la bonne prévention pour diminuer le nombre de cyclistes et piéton.ne.s mutilé.e.s et assassiné.e.s sur nos routes?

En multipliant les pistes cyclables, en construisant des espaces protégés et distincts pour les divers usagers de la route,  en réduisant les vitesses, en adaptant le code de la route pour protéger efficacement toutes et tous les usager.e.s, enfin en réduisant, puis éliminant les voitures des villes, puis les routes.

Comment faire de la bonne prévention pour diminuer le nombre de cyclistes et piéton.ne.s mutilé.e.s et assassiné.e.s sur nos routes? En prenant de vraies mesures structurelles pour limiter l’emprise des véhicules motorisé.e.s au coeur de nos villes.

Sans ce changement fondamental, la prévention ne sera qu’un piège à con, ou une manière sinistre de se moquer des victimes. Un peu comme certains disent aux femmes qui se font violer qu’elles n’avaient qu’à pas mettre une jupe, on lance post mortem aux cyclistes écrasée,s, qu’ils n’avaient qu’à mettre leur gilet jaune.

Le 23 septembre dernier, le peuple Suisse a voté OUI à l’inscription du vélo dans la Constitution, donnant mandat aux autorités de revaloriser le trafic cycliste. Le vélo est désormais inscrit dans la Constitution et les pistes cyclables encouragées au même titre que les chemins pédestres. Il serait donc bon qu’il en soit pris acte du changement et qu’il y ait désormais moins de prévention mais plus de droits pour les usagères et usagers de la mobilités douce.

En attendant, nous continuerons donc de mettre casques, gants, gilets, lumières, et de serrer les dents, comme si nous allions en expédition ou à la guerre, de craindre pour nos enfants et nos aîné.e.s, alors que nous souhaitons simplement utiliser l’espace public, et que nous y avons droit.

 

[1] https://www.rts.ch/play/tv/lactu-en-video/video/pietons-en-danger?id=10303224

[2]https://www.letemps.ch/opinions/cyclistes-campagne-irresponsable-suva

[3]https://www.mobilitepietonne.ch/fileadmin/redaktion/publikationen_f/FB_2014_04_Fussgaengerunfaelle_f.pdf

[4]https://www.rts.ch/info/suisse/9638243-enfants-et-adolescents-apprennent-de-moins-en-moins-a-faire-du-velo.html

 

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