Le compte à rebours du 31 décembre

  • 11. mai 2020
  • air du temps
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C’est un cycle plus immuable que le lever du soleil. Chaque année il revient, chaque fois similaire. Tout change peut-être. Notre monde s’accélère, se dématérialise disent certains, se numérise certes, mais il demeure un pieu bien solide fiché jusqu’au fond des cerveaux des spectateurs fussent-ils écervelés : le triptyque charité-rétrospective-strass et paillettes de fin d’année.  A chaque journal télévisé, la fabrique du bornage social est puissante. Les phases médiatiques de fin d’année:  plus prévisibles que les cycles des marées.

Avant Noël : charité à gogo 

C’est parti pour le bombardement de reportages sur l’armée du salut et de charitables initiatives montrant des chats maltraités recueillis au refuge, mettant en scène un bon prêtre au pénitencier, une bonne soeur qui sert la soupe quelque part. A votre bon coeur messieurs dames. Vous prendrez bien un petit reportage sur le père Noël en Laponie ou un documentaire sur la prévention de l’alcool au volant ?

Après Noël : digestion

Petit Jésus est venu à vu, on a perdu. C’est fini tout cela, à croire que la misère n’existe plus. On tourne le disque : et c’est parti pour le règne des commémorations et rétrospectives à rallonge, des bêtisiers à foison, des immuables ritournelles : vous reprendrez bien un Don Camillo?

La messe de minuit n’a pas commencée que Patrick Sébastien remet déjà le couvert. Alors là, le mendiant peut crever en bas de l’immeuble, ça peut cogner chez les voisins, le temps est définitivement dévolu à la gaudriole.

La caméra entame un infini zoom sur les amygdales du présentateur vedette sous le coup d’un lapsus, un fou-rire impromptu, son oreille prise dans l’oreillette. Une abeille, un chimpanzé, un vache rebelle se pose sur son nez, lui effleure la mèche, le charge au moment de la prise d’antenne. Impayable. Décérébré. Mais courage, gardons le cap sur la nouvelle année. Malgré la houle : on va se poiler….

Feu d’artifice du 31

Parce que l’on a vraiment trop mangé et bu à Noël, parce que la dynamique de groupe familial a fracassé tout système cérébral normalement constitué, parce que c’est le bêtisier ou l’Alka-Seltzer, le gin to ou le jogging, parce que bye bye tristesse, ou ciao ciao morosité : faut focuser sur les écrans colorés, ça permettra d’oublier toute la grisaille du monde et la ville désertée.

Sitôt les 12 coups de minuit sonnés, on a droit au tour du monde des passages de l’an de toutes les capitales, aux mêmes coups de minuits, mêmes cris, comme s’il y avait quelque chose de rassurant dans le fait que l’humanité entière, des déserts aux glaces polaires (ou ce qu’il en reste), des villes aux campagnes se tape sur le ventre en écho, fêtant d’une manière stroboscopique le passage de l’an.

Bien sûr, on exhibe le pape qui nous la souhaite joyeuse urbi et orbi, en agitant son grelot, et Macron, Trump et tutti quanti, surfant entre deux vagues des publicités détox, programmes expresse de remise en forme, rabais de 50% sur les fitness, site d’échange de cadeaux, etc etc avec toujours un bonnet de Noël surfant quelque part sous les tropiques entre deux pubs de remise en forme. Jean-Jacques Goldman est toujours l’artiste préféré des français. Et Giscard d’Estaing n’est toujours pas mort. Il demeure quelque chose d’étrangement immuable dans ce monde voué selon certains à l’effondrement, plus certainement à mourir d’une accumulation de connerie accumulée.

Les paris sur les bonnes résolutions sont ouverts.

Malgré les titres voulant nous faire croire à une humanité dans la rue, révoltée, à une Suisse qui a bougé, dans le fond, rien n’a changé encore. Au-delà de l’écume, les rapports de force, les rapports de domination et d’exploitation, demeurent opérants, même si soigneusement et délicatement enjolivés sur l’air de « mon beau sapin »on aimerait se bercer d’illusions.

Nous sommes bien dans l’engrenage d’un compte à rebours toujours plus cruel, inégal, injuste, où la machine à exclure fonctionne à plein, où les murs ne sont pas numériques mais en bonne vieille brique, où le quotidien est à l’image des algorithmes qui nous régissent : fabriquant du même, de l’identique, du rire et de la risette pour masquer la grimace.

L’ultra-conformisme prend de l’ampleur. Les lois invisibles des algorithmes alliée à celles de la morale néo-libérale nous enrobent dans un miel collant et sans arôme.

Facebook sait quand je dors, quand je mange, et me suggère pour ami mon boulanger car je viens d’être géolocalisé proche de lui pour une deuxième fois en une semaine.

Ce système, comme un bon vieux pendule, est arrivé à son expansion maximale, et par sa force même, contribue à créer un contre-poids significatif, radical, conscientisé, résolu à ne plus gober les mêmes roucoulades de bêtisier. Même les plus ardents défenseurs libéraux, PLR et de droite bourgeoise qui l’ont défendu jusqu’au bout commencent à changer leur fusil d’épaule. Tant qu’à crever, autant dire : je vous l’avais bien dit à la dernière minute n’est-ce pas?

L’humain craquera avant le climat. et s’attachera résolument, avec quelques livres et un pied de biche, un peu de papier et de salive, à faire sauter les derniers boulons mal vissés le reliant à une épave en flamme. Un peu comme dans ces films d’aventure, où afin de ne pas être entraînés dans l’abîme par une locomotive devenue folle, de petites mains dans lesquelles ont a craché, libèrent les wagons dans lesquels l’humanité a pu s’installer.

La locomotive n’ira pas s’encastrer dans le vide, elle l’a déjà traversé.

Notre caravane ne se nomme pas désespoir, comme l’écrivait le poète Rumi. C’est véritablement vers un nouvel imaginaire, de nouveaux rythmes et par le détournement des sentiers battus que nous entrerons dans la nouvelle forêt au sens profond.

Le compte à rebours du 31 décembre commence dès la première émission charitable de décembre. Il n’a pas de véritable fin.

Savourons pleinement les dix dernières secondes de cette année avec une jouissance particulière.

Car voilà venir 2020, et la libération de toute aliénation.

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