Dans la nuit de dimanche à lundi passé, un collectif féministe a inscrit la question : « où sont les femmes*? » sur le mur des Réformateurs et sur la statue du général Dufour, légitimant leur action par le ras-le-bol d’une histoire racontée uniquement par et pour les hommes, dénonçant l’invisibilisation des femmes de l’espace public, sur les statues et le nom des rues, et contestant leur sous-représentation dans les lieux de pouvoir et publics, sous l’excuse du contexte historique, et de la glorification masculine.[1].
Il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer que leur action allait faire grincer des dents. Seraient-ce alors Marc Bonnant ou Jean Romain, Eric Stauffer ou Peter Rothenbühler, les tauliers d’une masculinité dominante, qui allaient s’offusquer d’une telle atteinte à la bien-séance et à l’histoire de notre Cité ?
Surprise, la réplique est venue d’ailleurs. A l’action coup de poing, provocatrice et contestatrice du collectif féministe, a répondu un billet du jeune journaliste Alexis Favre dans le Temps[2]. Selon lui, ces femmes se trompaient de tags et d’époque. Elles se trompaient également d’interlocuteurs en allant chambrer Théodore de Bèze et Calvin.
Alexis Favre, écrit que : « L’égalité mérite peut-être mieux qu’un anachronisme un peu benêt, griffonné dans la nuit à la peinture violette ». Ce faisant, il réagit pourtant exactement de la manière dont ces femmes dénoncent le patriarcat d’aujourd’hui : en propriétaire des lieux réagissant de manière pavlovienne et en bourgeois sûr de son droit au premier tag violet. Ne serait-ce pas lui qui serait anachronique? Le journaliste d’infrarouge a foncé tête la première sur le premier fichu agité devant lui. Même les taureaux semblent parfois plus subtils dans leur charge que lorsque le beau gosse de la télé pique la mouche.[3]
Alexis Favre se trompe à mon avis doublement en pensant que ces femmes s’adressent à Théodore de Bèze et à Calvin. Non, c’est bien à nous qu’elles s’adressent, à leur contemporain.e.s. Et il se trompe encore quand il pense que l’histoire est révolue et qu’elle est écrite une fois pour toute. L’histoire est évidemment ce qu’on en fait et comment on la raconte. Si l’on suivait Alexis Favre dans sa lecture, les statues de Staline orneraient encore la Russie et le mausolée de Franco ne serait pas contesté en Espagne. Au nom de « l’histoire c’est l’histoire et l’on n’y touche pas », on baignerait dans le formol (c’est encore malheureusement trop le cas).
Certes, le passé est révolu, mais nos lectures de celui-ci sont politiques, et se font au présent. Il est donc salutaire de renommer des rues, modifier des mausolées, déboulonner des statues… et taguer les murs. Cela s’est toujours fait. C’est la preuve d’un esprit rebelle vivifiant et contestataire. Alexis Favre pense-t-il que les graffitis sur le mur de Berlin étaient des salissures et la fresque de Banksy sur le mur de la honte qui sépare Israël de la Palestine des taches de couleur à nettoyer?
C’est une belle intuition d’aller colorer ce mur des réformateurs/trices pour faire d’un lieu de mémoire un lieu progressiste pour notre époque. En cela, c’est presque encore un hommage et une forme de reconnaissance pour ce lieu de parvenir à le rendre vivant pour notre époque en désacralisant avec un brin de transgression cette sacro-sainte légende patriarcale. Finalement le mur des réformateurs sert encore à quelque chose d’autres qu’aux touristes à venir y prendre des photos. Il est utile de s’y adosser pour changer le présent.
Celles qui ont tagué ce mur sont les réformatrices d’aujourd’hui. Plutôt que de dénoncer le « vandalisme » en portant plainte, ou s’offusquer dans des billets d’humeur, une belle idée serait de sculpter dans la pierre des figures de femme et de les ‘ajouter à la galerie de nos réformateurs.
Notre époque a effectivement bien besoin d’honorer ses réformatrices. Pourquoi celles qui ont tagué ce mur n’auraient-elles pas leur place sur celui-ci? Et tant pis si cela fait grincer des dents les tenants d’un patriarcat d’un autre âge.
Un dernier mot, en forme de voeu, en cette journée du 8 mars: plutôt que de s’offusquer de graffitis ou de slogans sur les murs et de symboles écornés, indignons-nous plutôt des inégalités quotidiennes, de la violence sexuelle, de genre, de classe, de race, qui n’est pas du tout révolue et à classer au rayon histoire, mais bien présente et opérante au quotidien.
Enfin, que chacun.e s’engage dans cette journée de luttes pour les droits des femmes comme elle/il veut : en mixité choisie, sans homme cisgenre, entre mecs, entre jeunes, entre aîné.e.s, peu importe les assemblages pour développer les actions qu’il/elle souhaite, en les faisant bien entendu converger dans la mesure du possible.
Tant que le poids de l’histoire est secoué et les inégalités du présent déboulonnées, peu importe le genre. Peu importe qui tient le pinceau, la plume, qui agite la tenaille, qui pose un graffiti sur le mur.
[1] https://renverse.co/La-ville-la-nuit-l-espace-public-et-les-murs-gris-1930
[2] https://www.letemps.ch/opinions/femmes-mur
[3] https://www.illustre.ch/magazine/portrait-dalexis-favre-un-journaliste-beau-gosse-torture