Au-delà du voile

  • 25. juillet 2017
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En voyage en Iran, quand je demande aux femmes ce qu’elles pensent du voile dont le port est obligatoire, la réponse oscille entre : on en est très fières, ou : ce n’est pas très important, ce qui compte pour nous c’est l’égalité des droits, de pouvoir nous marier avec qui l’on veut, avoir un bon travail.

Globalement, elles comprennent que ce thème questionne en Europe, et demandent pourquoi. Elles trouvent que c’est un point mineur. Pourquoi certains les perçoivent comme asservies ou soumises parce qu’elles portent un bout de tissu à géométrie variable, plutôt utile pour séduire, suivant sa longueur et sa position sur la tête, dévoilant mèches ou cheveux décolorés, voire une jolie tresse à l’arrière de la tête? L’essentiel serait d’avoir des droits politiques et un gouvernement qui les respecte. L’essentiel n’est pas le voile.

D’autres ne parlent pas. Elles n’ont pas d’opinion sur ce sujet. Mais ce silence et cette retenue laissent penser aussi qu’elles ne se sentent pas tout à fait libre ou en confiance pour exprimer leur point de vue.

Les plus enhardies pourraient répondre du tac au tac : mais qui êtes-vous pour nous donner des leçons ? Les femmes, en occident, sont-elles si libérées, alors qu’elles dépensent des centaines de dollars pour s’habiller, mettre des vernis sur les ongles, les enlever à l’acétone, ajoutant de la graisse de chat sur les lèvres, s’ébouillantant à la vapeur pour s’ouvrir les pores, s’arracher des poils à la cire pour coller à la mode et être toujours moins payée pour des boulots moins considérés ?

En occident, les femmes seraient émancipées ? Et parce qu’en Iran, les femmes mettent un carré de tissus sur la tête comme elles le veulent, se riant ici et là des gardiennes de la foi et des mégères de l’ordre, elles seraient cataloguées comme soumises ? Dans les rues de Téhéran ou d’Isphahan, le voile se porte sur un large spectre par la championne de Taekwondo tatouée aux cheveux blonds décolorés, passant par l’étudiante en design urbain aux cheveux ondulés, à la surveillante des mœurs dont l’œil unique dépasse de son tchador noué comme un garrot à son cou.

Le maquillage est ici porté avec allégresse. La chirurgie esthétique bat des records ; nez refaits et chirurgies intimes dans les chambres des docteurs. Il n’y a pas lieu d’idéaliser. Les mécanismes de domination seraient plutôt cumulatifs. Mais il serait intéressant de voir les statistiques si l’on veut vraiment comparer et savoir de quoi l’on parle si l’on cherche à évaluer l’égalité entre hommes et femmes.

En Europe, certaines s’épuisent à courir seules dans des fitness sur des tapis, se serrent à bloc la ceinture à l’approche de l’été. Est-ce par plaisir du sport et pour s’affirmer dans un corps émancipé, ou pour correspondre pile-poil à des critères de beauté, souvent cadenassés par un ordre masculin et mercantile dominant ? Redoubler d’ardeur et de sueur pour être soi-même quand on s’approche en tous points du zénith des canons des magazines de mode, que ce climax esthétique durera tout au plus quelques années avant la décrépitude de l’âge et l’angoisse qui l’accompagne… quelle sinistre forme d’émancipation.

Bien sûr, en Iran, comme ailleurs, ce que signifie être une femme, son devenir, est une balance délicate de pouvoirs entre ce que la société exige et ce que chaque femme désire, ce que la société autorise ou condamne. Comme homme, il est toujours délicat de se positionner sur ce sujet. Mais quoi : demeurer silencieux serait préférable ?

Le voile, pour revenir à notre sujet, relève aussi de tout autre chose. Il demeure l’expression d’une foi, d’une singularité, et d’une appartenance. Plutôt que de juger et condamner, il serait positif de croiser les points de vue, d’ouvrir la discussion, et de s’intéresser vraiment à ce que les femmes qui le portent ou le refusent en disent. Ce n’est bien sûr pas du tout la même chose de porter un voile en Europe ou en Iran, ni d’être une femme ou un homme se positionnant sur ce sujet.

Quoi qu’il en soit, il serait bon de sortir des discours dogmatiques binaires opposant domination à affirmation de soi. Le dernier mot, sur ce sujet, revient à celles qui le portent ou ont fait le choix de s’en passer, et de respecter leur choix, dans le degré de liberté qu’elles affirment. Pour le reste, une certaine retenue dans le jugement serait bienvenu.

Il y a plusieurs manières d’être voilée. Il y a des voiles d’ignorance, de honte, de soumission et d’arrogance. Certains sont visibles, d’autres non. Il y a aussi des voiles qui protègent, émancipent et libèrent, des voiles imposés et des voiles qu’on s’impose.

Pour comprendre, le dialogue et l’échange sont incontournables, afin de saisir, si l’on veut parler de domination, les ressorts qui la sous-tendent, la manière dont elle s’exerce, et les stratégies développées pour y résister, et qui eux sont universels.

Pour conclure, avant de prétendre libérer l’autre, il est utile d’avoir déjà mis un pied hors de ses propres schèmes de domination. Le féminisme réalise cet effort de compréhension et d’effort sur soi. Les courants qui court-circuitent cette démarche me semblent porteurs d’un fanatisme et d’une présomption égale à ce qu’ils projettent sur un morceau de tissu qui, au final, dévoile bien plus l’identité des intolérant-e-s et ignorant-e-s, qu’il ne dissimule celle de quiconque.

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