Le Grand Théâtre va dans un champ de mines en chaussons

  • 17. janvier 2017
  • air du temps
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Le ministre de la culture israélienne Miri Regev a appelé ce dimanche la municipalité de Haifa à annuler le concert d’un rappeur israélien d’origine arabe Tamer Nafar.[1] La municipalité, sous pression, a déplacé le concert du rappeur à une heure tardive. L’annulation du concert est désormais envisagée. Au début du mois, cette même ministre de la culture était sortie d’une salle au moment de la lecture d’un texte du palestinien Mahmoud Darwich[2], l’un des plus grands poètes du XXe siècle, pour marquer sa négation de la voix du poète décédé. Petit rappel encore, en mai 2012, Miri Reguev avait participé à une manifestation anti-immigration appelant les immigrés soudanais un « cancer dans notre corps », avant de s’excuser… auprès des personnes atteinte de cancer pour ses propos! Les artistes et les institutions qui ne respectent pas la culture d’état sont visés par des coupes franches, stigmatisés.[3]

 

Il y a désormais, en israël, une « bonne culture », la culture officielle, politiquement servile ou à tout le moins peu dérangeante, et une autre, à bannir, censurer, qui est chaque jour plus étouffée dans un climat délétère.

Le ballet à la baguette

Ces événements éclairent avec acuité l’urgence du débat lancé par BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) Suisse concernant la tournée du ballet du Grand Théâtre Genève (GTG) et du ballet Béjart Lausanne à Tel Aviv.

Que demande BDS au Grand Théâtre Genève par sa lettre ouverte adressée fin septembre à l’institution culturelle[4]? De ne pas danser avec un régime d’Apartheid; que le Grand Théâtre Genève renonce à se produire à Tel Aviv dans l’opéra national (israel opera) financé par l’Etat israélien pour redorer son blason et renforcer sa légitimité internationale.

Le mouvement militant souhaite aussi attirer l’attention des autorités genevoises sur l’incongruité de voir deux ambassadrices culturelles de la Suisse se compromettre auprès d’un régime d’occupation. La colonisation israélienne se poursuit, les droits de l’homme y sont constamment violés et les résolutions de l’ONU toujours pas respectés, alors que l’égalité complète pour les citoyens arabo-palestiniens reste encore une chimère.

Dans ces conditions, comment aller danser à l’opéra de Tel Aviv la bouche en coeur, quand 20km plus au sud des gens sont bouclés dans ce qui est aujourd’hui la plus grande prison à ciel ouvert du monde. Cela est choquant.

Cette démarche aventureuse de la part du Grand Théâtre Genève mérite des explications. Il me semble important de lire la lettre de BDS[5] et d’appuyer leur démarche.

 

Le Grand Théâtre de Genève pourrait-il répondre?

On peut trouver la démarche de BDS trop radicale. On peut penser que le boycott ne soit pas la meilleure manière de faire avancer une cause. On peut aussi nier l’exemple de l’Afrique du Sud et son régime raciste qui a vacillé lorsque la communauté des états et l’opinion publique l’ont confronté à sa nature non-démocratique. On peut faire fi du fait que le mouvement BDS émerge de 171 associations et organisation non gouvernementales palestiniennes, qu’il est internationalement soutenu. On peut fermer les yeux, ou regarder ailleurs, ou se dire que l’on irait pas en Corée du Nord, mais qu’en Israël oui, pourquoi pas, il n’empêche, la question mérite d’être posée : faut-il aller donner un surplus de légitimité à un état qui se moque de la liberté d’expression, censure les voix qui contestent son hégémonie, et viole le droit international ?

Sous la culture le cynisme ?

A cette question, un chef d’état répondra certainement d’une manière différente qu’un directeur d’opéra.  Las, le directeur du Grand Théâtre de Genève, Tobias Richter, lui, répond dans le Courrier[6] avec pragmatisme et un brin de cynisme qu’il « s’agit d’une collaboration artistique et que le Ballet du Grand Théâtre de Genève a répondu à une invitation de l’Opéra de Tel Aviv avec lequel nous entretenons des relations très amicales. » A ce jour, le ballet genevois ne semble pas avoir l’intention d’annuler ses dates (du 19 au 22 décembre) avec son très amical partenaire. Pourrait-il toutefois prendre soin de répondre directement à BDS qui l’a interpellé ? Ce serait la moindre des choses pour une entité qui prétend servir le dialogue et la culture.

L’argument de dire qu’il faut que la culture soit un pont, un lien, et qu’elle doit aller partout est un argument à retenir. Mais il devient naïf ou cynique, si derrière ce mot « culture » se loge une ignorance ou un refus d’assumer dans quel contexte on va se produire, quel pouvoir est servi, et quel sera la récupération dont sa présence se verra affubler.

La culture rapprocherait les peuples ? Encore faudrait-il qu’elle puisse s’adresser à tous!

Le Ballet Béjart de Lausanne est allé en octobre en israël. Cela n’a empêché en rien la censure du rappeur arabe Tamer Nafar. Si vraiment le Grand Théâtre Genève veut défendre le dialogue et la paix par la culture et la liberté d’expression, pourquoi ne s’engage-t-il pas à aller jouer aussi à Ramallah, ou ne fait-il venir une troupe palestinienne à Genève? Les interdictions de sortie des artistes du territoire palestinien empêchent ces derniers de s’exprimer sur la scène internationale d’une manière récurrente et avec une brutalité implacable ? [7],[8]  Un commentaire là-dessus de la part du Grand Théâtre Genève serait bienvenu.

Tant que le Ballet du Grand Théâtre de Genève -situé de manière temporaire sur la place des Nations, quel symbole !-  n’aura pas répondu à ces questions et proposé en marge de ses spectacles une action, un discours, qui permettent d’honorer la conception de la culture qu’il prétend défendre ainsi que le rayonnement de Genève, nous oserons lui proposer de rester à la maison plutôt que d’aller avec cynisme danser pour d’autres sur un petit air d’apartheid.

Parce qu’un rayonnement qui vise, avec l’aide d’argent public, à faire le jeu d’états ne respectant pas la liberté d’expression, les résolutions de l’ONU et les droits de l’homme, nous n’en voulons pas. Je pense pour ma part que cela dessert Genève sur la scène internationale.

Il y va d’un certain respect de la neutralité suisse, mais aussi d’éviter que les peuples arabes, pour qui le mot Genève évoque d’abord les Conventions de Genève, le CICR et la neutralité, n’en viennent à croire, à cause des tournées hasardeuses du ballet du Grand Théâtre, que celles-ci sont aussi flexibles et serviles que les torsions de jambes des danseurs et danseuses du ballet du Grand Théâtre de Genève.

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[1]http://www.haaretz.com/israel-news/1.747782

[2]https://fr.wikipedia.org/wiki/Mahmoud_Darwich

[3]http://www.theatlantic.com/international/archive/2016/10/…

[4]http://bds-info.ch/files/Upload_FR/Dokumente/Kampagnen%20…

[5]http://bds-info.ch/files/Upload_FR/Dokumente/Kampagnen%20…

[6]http://www.lecourrier.ch/143240/les_ballets_de_geneve_et_…

[7]http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/les-artistes-d…

[8]http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/07/18/khaled-j…

 

 

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