Au feu des feux du premier août

  • 17. janvier 2017
  • air du temps
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A quoi nous appellent les feux du premier août ? Qu’est-ce qui s’allume là-haut sur la montagne? De quoi sont faits ces feux de joie, de quels bois se chauffent-ils, quelles significations ont-ils ? Si les Français ont leur Marseillaise et son fameux couplet : « aux armes citoyens, levez vos bataillons… qu’un sang impure abreuve vos sillons » faut-il donner valeur aux feux du premier août pour ce qu’ils étaient à l’origine, c’est-à-dire : à peu de choses près, la même chose que le chant de guerre de nos voisins français : un hymne appelant à la mobilisation pour se défendre des envahisseurs et les faire passer de vie à trépas ?

L’histoire nous enseigne cela : les paysans suisses utilisaient comme signaux les feux afin de s’avertir de l’approche d’ennemis et se mobiliser. Mais les feux de joie seraient également un reliquat de la fête celte de Lugnasad, consacré au Dieu Lug au début du mois d’août. On le voit, elle n’est pas tout à fait kasher cette fête du 1e août, mais plutôt un métissage entre un culte animiste, soutenu par le préambule déiste de la Constitution qui, faut-il encore le rappeler, débute ainsi : « Au nom de Dieu tout puissant »  et se voit renforcé par l’hymne national ; enfin, plutôt le Cantique suisse, véritable ode au divin dont on chante les strophes le 1e août : « les accents d’un cœur joyeux… Dieu nous bénira des cieux » dans un parfum enivrant de pétards chinois, de bière allemande et de saucisses polonaises, sous le drapeau national à croix blanche à fond rouge d’inspiration chrétienne. Tant pis alors si les laïcards s’en étouffent, les feux du premier août doivent nécessairement être lus comme le lieu d’un joyeux métissage, social, spirituel.

Le Cantique suisse (1841), la fête nationale (1891), la Constitution (1848, 1874, 1999)  proviennent tous du XIXe et du besoin, affirmé, de l’Etat fédéral de 1848, de consolider les liens confédéraux. Ce besoin d’alors portait, via l’appel à la solidarité et l’entraide du mythe des origines, à la nécessité volontariste d’unifier une Suisse plus fragmentée qu’il n’y paraissait.

Il faut bien constater que l’invention créative du branding mythologique de 1291 permet, dans son arbitraire et son originalité même, de réinventer sans cesse le sens de cette fête. Autrement dit, de la mettre au goût du jour et à la page qu’on souhaite lui donner. Grande plasticité de la fête nationale donc, grande souplesse des feux aussi. Il faudrait être un helvète bien belliqueux ou un enfant croyant encore au père Noël pour y voir, en 2016, un signal de rassemblement contre l’ennemi, dans une dimension velléitaire d’alpins acculés… Et pourtant, il y en a pour creuser cette lecture essentialiste, fondamentaliste, et nous ramener au mythe carcéral de la Suisse utopique de 1291 peuplée de barbus isolationnistes avec hache, dans le berceau d’un ‘judéo-christianisme’ instrumentalisé pour estourbir tout ce qui ne correspond pas au mythe des origines. Ce qui, entre parenthèse, aujourd’hui, voudrait dire : à peu près tout le monde… N’en déplaise aux rêveurs mythiques d’une Suisse fantasmée.

Cette lecture fondamentaliste est la marotte de celles et ceux qui, de cette fête, en font une lecture daechienne. Plutôt qu’une lecture ouvrant le sens à la multiplicité d’approches, à la finesse du sens et de l’interprétation, ils en bétonnent un sens univoque, inscrit pour toujours dans la pierre… enfin : le pacte.

Or, la force de cette journée est à réinventer. Elle réside dans le fait que chacun y puise ce qui fait sens pour lui, en lien avec un héritage, mais surtout dans une perpétuelle réinterprétation du présent, dans un rassemblement sans distinction de classe, de genre, ou d’appartenance. Le plus beau symbole de la fête du 1e août, étant finalement  le feu.

Quel sens donner aux feux du premier août ?

Un sens horizontal d’abord. Celui du rassemblement, de la multiplicité de toutes les personnes qui composent la Suisse, de chaque souffle qui réside sur ce bout de terre, quelle que soit sa langue, sa religion, son origine, son passeport, selon son désir d’appartenir à un ensemble national et de contribuer à un bien être général, chacun amenant son combustible à ce qui réchauffe l’ensemble.

Dans une dimension verticale et plus spirituelle, par ce que les flammes élèvent et que le feu purifie. Cette dimension transcendante permet symboliquement de brûler le sclérosé, le moisi, se libérer d’un passé dépassé, pour commencer une nouvelle année, en s’affranchissant de l’emprise du passé, se donnant la liberté d’inventer un présent qui sera un futur.

Les feux du premier août appartiennent à un long cycle de morts et de renaissances, de ce qu’il faut abandonner du passé pour pouvoir continuer d’avancer dans ce monde, mais aussi de ce qui réchauffe, ce qu’il faut préserver et vivifier pour durer dans le temps, soit : la force d’un collectif.

Les vieilles images d’Epinal, les mythes complaisants, s’ils nous bercent, nous empêchent aussi d’affronter le présent. Ainsi, bien plus que dans 1291 ou dans le 19e, ma confiance est placée dans la multitude qui entoure le brasier pour lui donner un sens vivifiant et tonique; dans ceux qui allument leur lampion au feu partagé.

Ma confiance est placée dans la joie de ce qui réchauffe et dans la force de ce qui brûle. Dans ces feux qui s’élèvent pour faire table rase du passé autant que pour rassembler et réunir.

Bien plus qu’à la madeleine de Proust, ma confiance va au feu qui la cuit et la métamorphose.

 

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