Ce qui se joue le 28 février, avec la votation sur la rénovation et l’extension du Musée d’art et d’histoire, est bien plus qu’un enjeu architectural. Il s’agit véritablement de la manière dont Genève se voit grandir et dépasser ses limites, se projette dans une autre dimension. Voulons-nous rester un village avec notre petit musée encyclopédique où les bourgeois de la cité ont légué leurs oeuvres, ou passer dans une dimension cosmopolite, dans la contemporanéité, en empoignant ces enjeux passionnant des partenariats privés-publics, de la médiation, d’un nouvel outil muséographique pour le public, afin de repenser notre histoire et notre futur?
La culture n’attend pas
Le 28 février, ce n’est pas juste un oui ou un non à la rénovation et à l’extension du MAH que le peuple prononcera, mais une réponse à la question de savoir si nous souhaitons rester dans la crainte du saccage ou de l’attente éternelle de l’éblouissement ou nous engager, d’une manière pragmatique, avec le meilleur projet possible, à actualiser un musée qui tombe en ruine.
Un musée n’est pas un lieu pour plaire, c’est un lieu pour provoquer, créer le débat. En ce sens, on est tenté de dire que le projet Nouvel dépasse déjà toutes les espérances. Quelles passions, quels échanges, que d’émotions et d’énergies entre les nostalgiques du conservatisme et ceux qui souhaitent voire l’architecture mise au service des oeuvres ; entre ceux pour qui un musée est un lieu mort, où les nouvelles formes de médiation et les soirée de type afterwork ayant secoué la vénérable institution n’ont pas leur place, et ceux qui placent le public au centre.
Débat sur les liens entre privé et public
Mais diable, pour une fois qu’un privé sort ses collections de ses caves ou de ses appartements particuliers, n’y a-t-il pas de quoi se réjouir? Le public aura accès à ce qui d’habitude dort aux ports francs ou dans des villas cossues et auquel il n’a jamais accès. Le musée, par l’ajout d’une collection privée, prendra une nouvelle dimension avec des oeuvres capables de dialoguer avec le fond genevois existant.
C’est donc aussi l’ouverture à l’autre que questionne ce projet, la capacité de se lier dans un partenariat qui n’est ni soumission ni absorption, mais tension, et dialogue. N’est-ce pas d’ailleurs pleinement là le sens d’un musée et de toute culture: réveiller, stimuler, exacerber les débats sur des enjeux de société? Ne pas laisser entendre que les choses soient figées une fois pour toutes, mais au contraire en évolution, dans la complexité du présent, en lien avec passé et avenir ?
Nostalgie quand tu nous tiens
Ce qui est certain, c’est qu’un non le 28 février signifierait repartir pour une même campagne, dans 10 ans, avec un projet plus cher, les mêmes oppositions, les mêmes j’aime-j’aime pas d’experts auto-proclamés, la perpétuelle sacralisation de la cour, de la butte, des arbres, de chaque clou et caillou sacralisé d’une cour en friche. Pouvons-nous nous payer ce luxe ?
A un moment donné, ne faut-il pas assumer le risque, le changement, et évoluer? Ou alors, et c’est peut-être secrètement ce que souhaitent les opposants, on fermera le musée, sa cour se remplira d’herbes folles pour nostalgiques, où les opposants de la première heure se souviendront des heures tendres et figées du temps d’avant, où ils venaient compter fleurette un doigt sur la touche play de leur walkmann chargé des premiers tubes des années 80 sur bande magnétique.
Genève pourra alors rester le village du bout du lac qu’ils ont toujours rêvé. Et comme de bons provinciaux, pour ceux qui en ont les moyens, ils monteront voir des expos à Paris, à défaut d’avoir pu s’imaginer les réaliser ici. Et tant pis pour ceux qui n’ont pas 500 balles à mettre pour visiter un musée parisien… ils auront toujours la nostalgie grise de la cour d’un Musée d’art et d’histoire en ruine pour se consoler.
Je ne crois pas que les genevois.es se reconnaîtront dans cette logique du refus, alors que leur oui vaut son pesant d’art et d’ouverture.