Covid-19 : Genève condamnée à être cancre de Suisse?

  • 30. septembre 2020
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La situation de Genève inquiète Berne[1]. Genève est la triste leader du nombre de contaminations au Covid-19, devançant Vaud et Zürich. Notre canton est trois fois plus touché par l’épidémie que le reste du pays. L’OFSP rappelle que la majorité des contaminations ont lieu dans les familles ou sur le lieu de travail. L’échec des autorités à juguler les cas de contamination montre clairement les limites d’un discours stigmatisant certaines minorités (les jeunes, les frontaliers), menaçant (amendes, punitions, sanctions), ou passif (la faute à la malchance selon Monsieur Poggia). A ce jour, la stratégie pour contenir les contaminations échoue. Pourquoi ?

 

Avoir fermé les boîtes de nuit ne semble pas avoir eu d’impact significatif sur les taux de contamination. Monsieur Poggia se prend les pieds dans les chiffres, en déclarant que si Genève a des taux de contamination aussi hauts, c’est parce que le Canton teste beaucoup. Comme le rappelle Samia Hurst-Majno, médecin, professeure de bioéthique à l’université de Genève et membre de la task force Covid-19 de la Confédération, « si l’on teste plus et qu’on détecte plus, et que la proportion de cas positifs augmente, alors c’est que l’épidémie progresse plus vite que notre capacité de tester. Les cas identifiés auraient augmenté de toute manière. »

La médecin cantonal a beau préconiser des mesures plus strictes, la capacité à être entendu par la population s’est effritée au fur et à mesure des mois. On pourrait s’attendre à une remise en cause profonde des politiques et stratégies publiques menées … mais non. Pas de visible remise en question au niveau des autorité, ni de leur gestion, ni de leur communication.

On pourrait penser que la situation de Genève est liée à son caractère singulier… mais Genève est loin devant Bâle-Ville qui est aussi une ville frontalière; Zürich qui est plus peuplée, avec également un aéroport international, s’en tire bien mieux en terme de contamination/habitant. Si la Ville de Genève est bien la ville la plus dense de Suisse, Bâle-Ville est, de loin, le canton dans lequel la densité de population est la plus élevée : plus de 5 000 habitants au km². Alors pourquoi cela va-t-il si mal à Genève ?

Une partie de la population ne semble plus alliée dans la lutte contre la maladie. Elle fait ce qu’on exige d’elle, minimum. Mettre un masque après l’avoir passé de derrière le coude à dessous le menton, parce qu’il faut bien le mettre, service minimum. Quand à en être convaincu de l’utilité, malheureusement, cela semble avoir décliné. Il faudrait donc aller plus loin que de désigner à la vindicte tel ou tel groupe, si l’on veut de vraies solution plutôt qu’une stérile culpabilisation sanitaire. Réfléchissons ensemble à de nouvelles pistes.

Quel est le niveau socio-économique des personnes touchées? Il y a-t-il un lien entre précarité sociale et contaminations?   

Dans un article pertinent [3] Olivier Servais, professeur d’anthropologie à l’UCLouvain, et François Gemenne, chercheur qualifié du FNRS à l’Université de Liège s’interrogent : « Depuis le début de la crise pandémique, cette logique sanitariste a été amplifiée : on a privilégié un rapport au corps physique individuel comme corps vulnérable, au détriment de l’entretien d’un corps social activateur de liens. » L’ouvrage  » Covid-19, le regard des sciences sociales » dirigé par Fiorenza Gamba, Marco Nardone, Toni Ricciardi et Sandro Cattacin. [4] décrypte comment les individus, les organisations et les communautés font face, souffrent et réagissent au Covid-19. Il nous montre aussi le chemin que doit prendre le politique s’il veut que ses mesures soient comprises et acceptées plutôt que promulguées sans effets concrets.

Genève étant la capitale de l’austérité et des inégalités, elle est aussi celle ou un grand nombre de personnes ne peuvent travailler à domicile, pour qui le télétravail est une chimère (le secteur du care, les emplois précaires, devant se déplacer physiquement) et sont naturellement plus exposées. Une étude française met en évidence un excès de mortalité particulièrement important dans les communes les plus modestes. En cause, le surpeuplement des logements et la nature des emplois occupés. [5]

Alors que le Grand Conseil a voté un projet de loi de 15 millions pour dédommager les travailleurs et travailleuses précaires qui ont perdu leur revenu durant la phase aigue du Covid-19, l’extrême droite (MCG, UDC) et le ministre de la santé Poggia en tête, se sont activés pour ne pas voter la clause d’urgence de ce projet de loi et lancer un référendum pour le torpiller. Cette conduite irresponsable fait courir un risque sanitaire à celles et ceux qui n’ont plus d’argent pour vivre et à tous les autres par ricochet. Il serait bon que ce referendum de la honte n’aboutisse pas et qu’une véritable réflexion soit entamée sur les moyens de l’Hospice général, des services de protection des mineurs, de l’adulte, services en souffrance, pour lesquels la droite et l’extrême droite refusent d’allouer des moyens supplémentaires. Car voilà le véritable risque sanitaire : la précarité. Le Covid-19 nous a démontré que les populations les plus frappées étaient les plus précaires.

La crise du Covid-19 est avant tout une crise sociale

Faire du Covid-19 une question sanitaire uniquement avec une volonté d’appliquer le risque zéro nous vous à l’échec. Se cantonner au court terme sans prendre acte que nous sommes engagé-e-s dans une cohabitation avec le virus à long terme, nous empêche de déployer des stratégies efficaces.

Quand une mère n’a rien à manger et que ses enfants ont faim, acheter un masque sera difficilement sa priorité, n’en déplaise aux autorités. Quand un jeune de 16 ans est à la rue et que la permanence du SPMI ouvre uniquement le jeudi entre 16h et 18h, ne pas dormir n’importe où avec n’importe qui est et restera compliqué. Quand un homme est sans domicile fixe et revenu, qu’il ramasse des mégots pour se faire une clope, la partager avec trois collègues, la mesure de distanciation sociale que la médecin cantonale a gentiment rappelé au 19:30 demeurera une chimère. Quand certains se partagent une bière pour six, alors que d’autres ont une piscine pour eux, quand certains n’ont pas de job, pas de vacances, pas de logement, les appels à la prudence sans relais de terrain semblent aussi pertinent qu’un prêche asséné béatement à un athée.

Il semble important de corréler les nouveaux cas avec leur domicile et de préciser, à Genève, quel est le lien entre précarité sociale et contamination. Nous devons réfléchir aux facteurs qui sont connus, et grâce à des outils comme le CATI-GE (Centre d’analyse des inégalités territoriales) aller plus loin dans la compréhension du phénomène. Prendre de véritables et fortes mesures pour que la précarité sociale soit combattue permettra de lutter contre les nouvelles contaminations à moyen et long terme, et de travailler sur les causes d’exposition plutôt que les effets de celles-ci.

Le politique doit ouvrir des perspectives en termes positifs, sinon le combat sera perdu d’avance.

 

[1] https://www.24heures.ch/la-situation-de-geneve-inquiete-berne-199927088277

[2]https://www.rts.ch/info/regions/geneve/11527112-covid19-si-geneve-etait-un-pays-il-serait-considere-comme-a-risque.html?fbclid=IwAR3YNI1yBdk72BayZXV6Hl61mUpUqXaAkKUWTLuxYk5nsrNMCREeCNW73YU

[3]https://plus.lesoir.be/318833/article/2020-08-15/crise-de-la-covid-19-la-tyrannie-du-risque-zero

[4]  https://www.seismoverlag.ch/fr/daten/covid-19/

[5]  https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/20/le-covid-19-frappe-plus-durement-les-pauvres_6046774_3244.html

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