Lettre d’amour à un.e candidat.e

  • 11. mai 2020
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Cher.e candidat.e

Les élections sont au système démocratique ce que la déclaration est à l’amour. Un passage obligé et chargé d’émotions. Un moment clé, où la connexion intime est confirmée, ou une gênante fin de non-recevoir murmurée.

Quand tu t’es porté.e candidat.e, tu n’aurais jamais imaginé combien cet amour pouvait être exigeant. Passage obligé, les plateaux télé ou radio, les émissions de plus ou moins bonne qualité, où tu dois parfois te faire violence pour répondre aux questions. Ces dernières vont du quizz indigeste (date de naissance d’un illustre inconnu du 18e aux dernières lois votées à Berne) à des développements qui n’ont rien à envier à de véritables thèses de doctorat. Toi, tu dois être prêt.e à tout. Tu dois répondre de tout.

Insidieusement, tu t’es transformé en toutou savant.e, en encyclopédie sur patte. On attend de toi au minimum une forme de science infuse; on ne te pardonnera pas de manquer de sympathie et de sourire ou de charisme. Et cela 24 sur 24, à l’aube comme au bout de la nuit.

Tu connais par coeur maintenant le sadisme galant de ceux qui veulent te prendre en défaut, te glissent avec délectation des peaux de banane sous tes pas. Heureusement, il y a les autres, celles et ceux pour qui tu te bouges et qui ont besoin de changement, attendent de vraies réponses pour leur vie quotidienne, ont des besoins criants et cherchent des partenaires fiables pour y répondre : toi.

Tu devrais tout savoir. Et si tu ne sais pas, nous faire croire que tu sais? C’est vrai, on n’aime pas rester sans réponse et si possible immédiate, dans notre société. Mais surtout, on te désire sincère. C’est la base de l’amour non? La séduction n’a qu’un temps, et est souvent un leurre.

Les invitations, innombrables, pleuvent. Elles vont d’une fête de quartier aux cercles les plus restreints d’entrepreneurs ou d’artistes. Dans ton sac maintenant, toujours deux jeux de vêtements, au minimum. Ainsi, en une journée, tu peux traverser plusieurs mondes. Toujours, tu dois correspondre aux codes des milieux que tu traverses. Gare au faux-pas. Quand il pleut, te déplacer d’un lieu à l’autre tout en restant impeccable. Quand il fait chaud, ne plus transpirer sous les aisselles. Tu n’aurais pas imaginé que notre société était composé de tant de différences. Si l’élu.e est du peuple, il doit montrer des talents d’homme ou de femmes orchestre que peu possèdent.

Cher.e. candidat.e, tu enchaînes depuis des semaines un parcours éreintant où la séparation entre vie privée et publique s’effiloche. Tu multiplies les stands, les porte-à- porte, les appels téléphoniques. Tu te vois affiché sur de multiples supports, de la carte postale au format mondial. Tu jongles avec ton boulot et ton image. Tu assures le minimum en famille. Tu culpabilises. Tu fais au mieux. Tu te plantes. Tu recommences. Encore.

Tu en as marre de voir ta tronche sur les affiches? C’est trop tard. Tu as l’impression que c’est un autre que toi qui parle? C’est normal. Continue. Peut-être bien que c’est parce que tu commences à parler au nom des autres. Tu changes. Tu évolues. Ne regrette rien.

Tu es invité par les communautés les plus diverses. Tu dois avoir ton mot à dire sur la situation dans la corne de l’Afrique et maîtriser l’histoire de l’Arménie, être incollable sur le chômage comme sur les bilatérales et le futur énergétique de la Suisse. Tu as la responsabilité de construire plus de logement et ne plus couper d’arbres. Tu dois garantir une vie nocturne joyeuse, mais jamais empêcher les gens de dormir. On attend de toi d’être le maître du monde et son contraire; mieux que le chef de l’ONU, mais aussi le garant de la propreté dans la rue, du ramassage de chaque mégot. Véritable couteau suisse, serviteur de la vox populi, sans en devenir l’esclave, on attend de toi d’être omniscient.e, doté.e du don d’ubiquité, ou alors de disparaître immédiatement.

Cher candidat.e, je ne te parlerai même pas des réseaux sociaux, où tu engloutis tes dernières heures de sommeil pour répondre à des interpellations parfois pertinentes, mais souvent vicieuses et anonymes qui te chargent sur ta vie privée, ton lieu de résidence, ta couleur de cheveux ou politique, t’assimilant aux pires horreurs que ton groupe aurait prétendument fait, bien que cela aie été commis avant même que tu sois né.e.

Tu navigues entre authenticité et diffamation, faits et légende comme un.e capitaine de navire dans la tempête, avec la boussole de tes convictions et ce que l’on appelle le flair politique comme seuls guides: soit la capacité à se faire respecter à défaut d’aimer en empoignant de vrais sujets sans devenir un vendeur de tapis au rabais.

Cher.e candidat.e, je t’admire, parce que tu tiens le coup. Je te vois même t’épanouir au fur et à mesure de cette campagne. Comme si les rencontres, les échanges, les coups reçus te donnaient davantage d’énergie. Comme si le manque de sommeil, les rivalités, l’exposition permanente, l’adrénaline de ces derniers jours, te galvanisaient. Les bulletins de vote arrivent aux domiciles de tes juges, électeurs/trices. Ils te tiennent à leur merci, sous leur stylo.

Tu me fais penser à ces chevaux qui, après, un long périple, lorsqu’ils s’approchent de l’écurie, donnent tout, parce que, à un moment donnée, ce sera (enfin) fini. Tu me fais aussi penser à ces bêtes libres, qui auront la nostalgie de l’écurie, une fois le licou passé. Retenu ou non.

Ce sera bientôt la fin d’une belle aventure, ou le début d’une histoire d’amour.

Je n’ose pas imaginer ce que sera ta vie le 21 octobre.

Peut être que toi non plus d’ailleurs.

Quand on fait une déclaration d’amour, on ne pense pas à l’échec, n’est-ce pas?

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