Calvin vieux punk

  • 11. mai 2020
  • air du temps
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Calvin barbouillé. La blague potache ne devrait pas nous émouvoir plus que de raison. C’est un ‘classique’ de soumettre ses idoles à une douche colorée et même une forme de reconnaissance de les taguer. Dans le plus pur style pop art, Andy Warhol aurait apprécié. Jackson Pollock aurait ri des zozos s’exerçant à l’action painting. Marcel Duchamp aurait sûrement été ému de ce ready made, certes convenu, du parc des Bastions. Mais trève d’anachronisme.

Passer l’occiput des réformateurs à l’acrylique ne laisse pas indifférent. C’est heureux. Qui pense encore que Genève n’est plus comme avant a raison, car Genève c’est plutôt comme avant avant. Back to Calvin again!

Le but de cette action picturale était de faire réagir, mais pour quoi au juste ? 

Nous voilà pris entre deux feux. On se retrouve avec d’un côté ceux qui trouvent qu’un peu de couleur sauvage égaie ce vieux mur des réformateurs et de l’autre, pour faire court, ceux qui voudraient envoyer en Corée du Nord, en camp de redressement, ces ‘jeunes’ (forcément) chenapans qui ont salopé le symbole suprême et envers qui une cure de ‘bolsonarisme’ ou de coups de trique ferait le plus grand bien.

Entre les tenants du révisionnisme historique et les adeptes d’une histoire figée au formol, nous voilà bien. Entre ceux qui agissent mais ne laissent pas de commentaire (même pas une petite revendication, dites?) et ceux qui commentent mais ne retiennent pas la leçon (cette petite coulure rouge sur Calvin, sans aller jusqu’au test de Rorschach, elle ne vous évoque rien?), c’est la même béance.

On mettra de côté les injures (qu’on les vire, qu’on les pende) et les insultes homophobes, autrement plus grave qu’un jet de peinture et sans lesquelles on en serait resté au jeu d’enfant. Ce prurit fleurissant sur les réseaux sociaux, pullulant jusqu’aux pages de députés de droite mériterait aussi ses plaintes pénales.

Qui pourra nous tirer de ce marigot par le haut ? Ce vieux punk de Calvin, évidemment. 

De grâce, n’électrifions pas le mur des réformateurs, n’y collons pas des caméras de surveillance comme certains le préconisent, mais saisissons l’occasion de cette joyeuse incontinence colorée pour ce qu’elle est: une occasion en or de relire Calvin dans le texte et interroger son héritage.

Il existe, à ce sujet, un très bel article d’Olivier Abel[1], dont la lecture laisse penser que ni les barbouilleurs ni leurs contempteurs n’ont jamais lu une ligne du théologien et juriste de Noyons, ou s’ils l’ont fait, c’est fort mal et que l’etalage coloré ou sa condamnation sont davantage prétexte à digression qu’une véritable adresse à Calvin himself.

Avec sa couleur sur la tête, Calvin a tout du punk, de  la rengaine ‘punk never dies’ à la dégaine. Calvin demeure à l’ordre du jour. Calvin politique, Calvin en lutte contre les dilutions et dissolutions, nous offrant une base de réflexion sur l’autorité, l’individualisme, et ce qui fait communauté, piquant les yeux plus fort qu’un bidon de térébenthine.

Dommage, vraiment, que ceux qui ont fait le coup n’aient pas laissé un mot de revendication ou d’explication. Après tout, pour le barbouillage du Grand Théâtre, cela avait été le cas. Avec une note en bas de page, on pourrait saisir l’essence profonde de ce ready made. Si peinturer se veut un acte politique, la finalité devrait en être une invitation au débat, prétexte au dialogue.

Oui, j’imagine Calvin punk se marrant en recevant son onction d’acrylique devant tant d’enfantillages et se demandant sous la bénédiction pigmentée ce qui se passe dans sa ville, celle qu’il a mise sur la carte, ville refuge accueillant les huguenots pourchassés, épicentre d’une réforme mondiale. Calvin punk se fendant la malle sous sa golden shower. Calvin se marrant que sa ville se réduise à polémiquer sur un éclat de peinture sur ses épaules alors que le monde tangue.

Quel serait le regard de Calvin punk sur Genève 2019 d’ailleurs? 

Après tout, ayant refusé toute tombe personnelle et toute forme d’hommage à sa mort ou de sanctification, on peut être assuré qu’il est peu à son aise exhibé sur ce grand mur de pierre. Un peu comme le Christ d’ailleurs que des générations de chrétiens se sont résignés un peu vite à voir suspendu à un gibet comme un lapin énuqué.

A bien y réfléchir, peut être bien que ce sont des théologiens inspirés qui ont offerts à Calvin ses vraies couleurs arc-en-ciel un soir de juillet.

Punk never dies. Calvin non plus.

 

[1] https://www.cairn.info/revue-etudes-2009-5-page-639.htm

 

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