Depuis les années 70, avec quelques variations, le taux de participation aux élections cantonales genevoises oscille autour de 40% pour les élections au Grand Conseil et de 45% pour le Conseil d’Etat. On était déjà passé sous les 50% au début des années soixante.[1] La voie la plus empruntée, aujourd’hui, dans notre démocratie, c’est donc celle de s’abstenir, subir et se taire. C’est en tout cas celle « choisie » – si l’on peut parler de choix, dans ce mécanisme d’auto-invalidation-, par la majorité des citoyen-ne-s ayant le droit de vote, soit grosso modo 50% de la population.
Au final, c’est donc moins de la moitié de la moitié qui s’exprime. C’est infime. Pourquoi je vote? Pour ne pas faire comme tout le monde. Je n’aime pas suivre la masse. Et la masse, aujourd’hui, laisse son expression s’effilocher. Pourtant, elle subit : primes d’assurance maladie trop hautes, montées des inégalités, pénurie de logement, mobilité en panne, etc. Quel animal accepterait de subir sans réagir?
Dans le cens caché, le politologue Daniel Gaxie montre qu’un des facteurs de l’abstention est le fait que certain.e.s ne se sentent pas compétent.e.s à voter. La durée d’éducation et le niveau socio-économique conduit au sentiment de compétence politique. Une majorité de la population aujourd’hui ne se sent pas habilitée à voter, par manque de compréhension, proximité avec les enjeux politiques. Ce cens caché dépend du niveau d’éducation et des inégalités. Comment changer cela? Il est important d’élargir la démocratie, en permettant à ceux qui n’ont pas le droit de vote de l’avoir plus facilement (j’y vis j’y vote!), en renforçant le sentiment de compétence (et d’appartenance) des citoyen.ne.s pour leur système politique.
L’enveloppe : dans l’urne, pas à la poubelle
Nombreux ceux qui ont le droit de vote et ne l’utilisent pas. Parce qu’ils sont fatigués, dégoutés, trouvent dans le fait de chiffonner l’enveloppe une affirmation de refus, etc. Combien de fois m’a-t-on dit que cette enveloppe de vote passait de la boîte aux lettres au tas de papier (purgatoire), pour au final disparaître à la poubelle. D’autres, a contrario, se damneraient pour voter, mais n’en ont pas le pouvoir.
Je vote parce que mon choix se trouve entre la poubelle et l’urne, et que si l’urne permet de recueillir ma volonté, mon expression, la poubelle ne recueille que mon nihilisme, ma fatigue ou ma lassitude. Je refuse de devenir un être de nihilisme de fatigue ou de lassitude. Et c’est toujours la parole, l’écriture et les choix conscients, même mineurs, qui m’en tiennent éloignés.
Voter par refus du nihilisme
Je vote parce que j’en ai le pouvoir. Parce que je sais et constate que cela change les choses, que ce n’est pas un exercice de style, mais un acte construisant des rapports de force, et des majorités qui auront une influence sur ma vie et celle de mes proches, leur quotidien.
Je vote, parce que je côtoie des gens qui, à partir du pouvoir qui leur a été confié, ont changé concrètement, et pour le meilleur, des pans entiers de notre société, en ont fait des choses belles. Alors que certains, a contrario, s’en sont servis pour la gloriole de leur ego. Ceux-là je ne voudrais pas les récompenser par mon abstention. Je ne voudrais pas que les incompétents, les poseurs ou les nuisibles se voient confortés dans le fait que l’on peut déchoir et gagner des élections en même temps.
Le vote est une arme radicale
Je vote, parce que j’en ai le droit, et que ce droit est une arme. Je vote, parce qu’un droit qui n’est pas utilisé se fossilise ou devient un objet de moquerie. Je vote parce que refuser de le faire, c’est faire le jeu de ceux qui pensent que l’Etat est un organe désuet face au libéralisme effréné et au capitalisme destructeur. Je vote parce que c’est une des armes que j’ai de contre-carrer celui de l’argent et les jeux d’influences. Je ne dis pas que c’est le seul. Mais que c’est l’un des moyens, efficace, de résister. Il y en d’autres : la rue, l’écrit, l’association, la fraternité. Je n’oppose aucun moyen. Je les cumule. Ils doivent tous être utilisés. Le vote, est une arme radicale et puissante. Pourquoi s’en priver?
Le vote est une arme de mobilisation
Dans la rue, on me dit parfois : j’ai voté comme vous, bravo, continuez ou : à quoi bon voter, tous les mêmes. Ce dernier argument de la similitude des engagements ou des défaillances, mettant tout le monde sur un même plan, m’attriste. C’est un des symptômes de l’éloignement de la chose commune et collective. C’est comme si on disait à un marin : vous ne vous ennuyez jamais en mer, ce doit être lassant de voir toujours tout ce bleu. Il ne faut avoir jamais navigué, n’être jamais entré dans le coeur des choses, pour ne pas percevoir les nuances, les changements, les mille et une variations de la mer suivant les vents, les courants, les circonstances.
Je vote, parce que le monde politique n’est pas différent de tous les autres groupes humains : les clubs, les familles, les associations. Dès qu’un groupe se réunit, dès qu’il se donne des règles, des objectifs avec des ressources limitées, des limites, et le fait avec d’autres ou pour d’autres, nécessairement, émergent des tensions, des rapport de pouvoir, de rivalité, allié à des élans enthousiastes et d’adhésion. Cela est le fait de tous les groupes humains. Regardez bien votre famille, comment se porte-t-elle. Pensez-vous que parce qu’elle n’est pas idéale vous en êtes délié? Comment vous sentiriez-vous si vous choisissiez de ne plus y participer ?
Je vote, pour que d’autres ne choisissent pas pour moi. Je vote, parce que je ne suis pas un individu tout puissant qui ne dépend de rien ni de personne et peut choisir de s’affranchir de ce qui le lie. Je vote, parce que c’est un des moyens, patient, tenace, de refuser d’accepter les forces telles qu’elles se donnent aujourd’hui.
Je vote, pour renverser les sinistres et les tristes, parce que c’est un pouvoir que donne notre collectivité, et qu’il la constitue en retour.
Aujourd’hui, je vote.
[1] https://www.ge.ch/statistique/graphiques/affichage.asp?filtreGraph=17_02&dom=1