J’ai fait mon école de recrue. Je mange du Toblerone, j’aime skier, et je ne fais pas que du schuss, je sais même godiller. Oui, j’ai appris l’allemand comme première langue nationale à l’école. Je suis fan de la Nati, je peux citer Dürrenmatt, Frisch et Hodler et connais Morgarten, l’histoire de la mère Royaume. Oui, j’ai écouté Henri Dès gamin, etc., Et puis quoi? Quand cessera-t-on de diviser le monde en deux : les natifs et les autres? Séparer ceux qui seraient nés au bled et les autres, comme s’il y avait un critère d’autorité qui enlève à celui qui n’a pas été biberonné à l’ovomaltine depuis tout petit tout regard constructif et positif pour notre société.
L’évolution des taux de natalité de la population suisse – on s’est bien éloigné du taux des années 60, où il y avait encore 2,5 enfants par femme, ou du début du siècle (3.8 enfants par femme)- conduisent à rendre notre société dépendante des migrations pour se renouveler. Aujourd’hui, le taux de natalité seul n’assure plus le remplacement de la population. Et tant mieux. Que l’on soit né ici ou ailleurs, ce qui importe, c’est ce à quoi l’on adhère et ce pour quoi l’on s’engage. Il n’y a pas de rentes de situation. Les mouvements migratoires sont essentiels et une chance pour la Suisse, une ressource vitale pour notre pays. Ils impliquent un brassage des références et des populations. Et c’est tant mieux.
Oui le monde change, c’est inéluctable et cela implique de s’adapter. Le fait d’appartenir à telle ou telle nationalité ou telle ou telle religion ne fait pas d’un autre humain, européen souvent – puisque c’est d’Europe que l’on migre majoritairement en Suisse-, des aliens. Cette classification administrative des humains en catégorie détruit ce qui est et à toujours été la richesse de la Suisse : sa souplesse et sa capacité de mettre ensemble des gens pour travailler à un but commun, et tirer le meilleur de chacun-e.
L’enjeu est donc de savoir comment accompagner les changements et en saisir les opportunités plutôt que de faire de tel détail, de tel ou tel chiffre, un condensé essentiel, pour faire passer des examens de suissitude absurde à telle ou telle personne soupçonnée de ne pas être suffisamment « suisse »… sans bien savoir ce que cela au final représente.
Etre Suisse c’est aussi endosser le fait d’habiter le dernier pays d’Europe qui permet de baffer ses enfants, avoir l’un des taux de violence domestique les plus élevé d’Europe, et des parlementaires fédéraux conservateurs confondant droit de vote et droit de cuissage. Il faut donc assumer que « la suissitude » est aussi, à elle seule, sans besoin de personne, productrice de violences, et d’abus. Selon ce joli tag sur un mur de la ville « étrangers ne nous laissez pas seuls », c’est de l’autre, de l’extérieur, de la confrontation des idées et de l’évolution de notre pays qu’une société plus équitable naîtra et que l’on sortira de la tentation de l’entre-soi fermenté.
Comment paierons nous les retraites, quels seront les nouveaux emplois du futur? Quel sera enfin le système de soin qui ne nourrira pas les assureurs au dépens des assurés? Comment taxerons-nous les grandes fortunes pour renforcer la redistribution des richesses, lutterons contre le poison de l’optimisation fiscale? Et lutterons-nous contre le banditisme en col blanc des rois de l’évasion fiscale, conserverons des logements accessibles, pour se projeter dans une société ou l’économie des ressources est vitale?
Voilà des enjeux sur lesquels travailler ensemble plutôt que de surfer sur les angoisses de la peur de l’étranger. S’occuper de la couleur de peau de son voisin, de sa religion, n’est pas important, ni ne permettra de renforcer la Suisse solide et solidaire que nous voulons.
Alors oui j’aime le hockey sur glace, le biberli et la petite Arvine, et ne renâcle pas devant une raclette, et alors ? Ce n’est pas cela qui paiera nos retraites.
Ne me dis pas d’où tu viens, mais plutôt comment tu souhaites t’engager pour le bien commun.
Car c’est cela, avant tout, qui m’intéresse.