En 2011 paraît le livre posthume de Nelly Arcan (née Isabelle Fortier) Burqa de chair. L’auteure s’est pendue peu de temps avant la sortie de celui-ci. L’auteure québecoise de : Putain (2001), Folle (2004), A ciel ouvert (2007), Paradis clef en main (2009) (posthume lui aussi), en finit avec la vie à trente-quatre ans dans son appartement montréalais (septembre 2009), après plusieurs tentatives qu’elle raconte sans fard (Nelly avait chuté de sa pendaison, était tombée en bas de l’élastique, qui n’avait pas supporté le poids de son corps et se secouait comme un damné). En 2011, Nelly ne se loupe pas et met un point final à une existence intense et douloureuse.[1]
Burqa de chair est préfacé par Nancy Houston. Elle met en exergue la dimension philosophique d’Arcan, son talent d’écrivaine, et, dans l’accueil de la souffrance, une grandeur qui touche à la mystique. L’écriture percutante d’Arcan dénonce le traitement imposé à son corps et parle « des images comme des cages, dans un monde où des femmes, de plus en plus nues, de plus en plus photographiées, qui se recouvraient de mensonges, devaient se donner des moyens de plus en plus fantastiques de temps et d’argent, des moyens de douleurs, moyens techniques, médicaux, pour se masquer, substituer à leur corps un uniforme voulu infaillible, imperméable ».
La Burqa de chaire occidentale
Ce qu’écrit Arcan : les femmes occidentales se recouvrent d’une burqa de chair. Acharnement esthétique, opérations, hantise du vieillissement. Sa voix féministe dénonce l’emprise de la domination masculine sur les corps des femmes et la comédie sociale, qui exige à chacun-e de tenir son rôle, se voiler la face, se modeler les seins, pour parvenir à continuer à aller de l’avant sans perdre pieds.Elle l’a vécu, à fond, dans son rapport aux hommes, au sexe, aux medias.
Arcan fait retour sur son enfance, « c’était le bon temps de la beauté non faite de canons, la beauté non imprégnée du sexe des hommes, celui de la facétie, de l’autodérision où l’on se trouve à son aise devant les traits de son visage qui deviendront un jour ingrats ; c’était le temps où ça fait plaisir de s’enlaidir, pour rire ; c’était le temps d’avant la dramatisation du visage où tout est à remodeler, le temps d’avant le temps de l’aimantation, du plus grand sérieux de la capture des hommes. »
Car la vérité de la rencontre avec sa personne, hors canons, hors étalons de beauté, est périlleuse, et l’affirmation de soi risquée, voire mortelle.
Arcan face au pouvoir masculin
Nostalgie du monde de l’enfance, visitation de son rapport à ses parents et irruption de la sexualité, Arcan fait l’inventaire des problèmes de poids, de l’anorexie, de la peau trop graisseuse, puis du désir. Elle revient sur l’humiliation subie lors d’un talk-show en 2007. Putain, autofiction, s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, a été nominé pour les prix Médicis et Fémina, elle est quelqu’un, une écrivaine à succès… mais non, elle n’est personne. Devant 2 millions de spectateurs, dans sa belle robe décolletée, elle encaisse les railleries de l’animateur qui la rabroue et l’accule au rang de prostituée. L’homme exerce à plein sa domination masculine, la connerie du dévoilement télévisuel. Elle écrira plus tard : « La haine contenue dans ces questions lui entama le visage, qui s’ouvrit comme un livre où son âme s’était donnée à lire, péché télévisuel entre tous. Etre lue en dehors du jeu, en dehors du théâtre, en dehors du cinéma, revient à être humiliée, à laisser échapper de soi les articulations de la décontenance derrière l’opacité, l’aristocratie du masque social. Elle perdit la face tandis que son décolleté remontait à la surface. »
Nelly Arcan avait raison. Il n’y a pas besoin de tissus pour être sous burqas. Les corsets sont bien serrés, qu’ils soient visibles ou invisible. Et il semble bien « pratique » de désigner les burqas des autres pour passer les siennes sous silences ; de céder à l’hypocrisie, au harcèlement de rue, aux inégalités salariales, aux violences conjugales, à la violence institutionnelle la place que l’on dénie à un bout de tissu censé incarner à lui tout seul l’entier d’une domination.
Pour Noël : une nouvelle paire de seins ou un menton qui déchire ?
Durant la période des Fêtes de noël, les chirurgiens plastiques opèrent trois fois plus que le reste de l’année. « Désormais, la chirurgie plastique concurrence le sac Gucci ou les chaussures Manolo sous le sapin. Les redressements de poitrine, les abdominoplasties, les liftings et les lipposucions sont ainsi particulièrement prisées.[2] Alors quoi, le fait de déposer un voile sur sa tête serait le fait de la domination masculine… tandis que celui de se refaire les seins, le nez et les fesses, de se mettre des blocs de silicone dans le corps, celle d’une émancipation joyeuse?
Si nous décidions, ici et maintenant, de faire la chasse aux voiles, ne faudrait-il pas les soulever tous, et identifier ce qui les relie entre eux, plutôt que de faire croire que c’est sous le petit bout de tissu et nulle part ailleurs que se cache la violence et la domination?
En finir avec tous les pouvoirs masculins dominants
Quand est-ce que, homme, femmes, gros, petites, poilues, pourront s’habiller ou se déshabiller comme ils et elles l’entendent, se voiler ou ne pas se voiler comme elles le désirent, non pas selon des critères politiques, industriels et financiers, tordus d’une majorité masculine visant à asseoir plus fortement domination et profit ?
Arcan avait raison : la burqa de chair est liée à l’impossible défi d’être soi-même dans un monde d’apparence.
Nous devons en finir avec les pouvoirs masculins dominants.
Ni burqa de chair ni burqa de tissu ou burqa de pensée, mais liberté d’être!
Alors tous les voiles tomberont d’eux-mêmes… et chacun-e sera libre de porter ou non le sien: de silicone, de flanelle, comme il l’entend et l’a décidé.
[2] http://www.24heures.ch/suisse/Pour-Noel-les-Alemaniques-s…