Croyante et catholique pratiquante mais distante de tous dogmes romains, hermaphrodite et travailleuse du sexe, Claudette Plumey, bouleverse les catégories et touche par sa capacité à forte à assumer qui elle est. Dans La trace, dits et récits d’une hermaphrodite, elle se raconte. Retour sur sa naissance d’abord. Claudette est née au Maroc, à Meknès, avec deux sexes, à une époque et en un lieu où il ne se pratiquait heureusement pas d’opération forcée et de traitements hormonaux sur les enfants nés avec des organes sexuels indéterminés.
Marquées par les souvenirs des bombardements des forces alliées en 1942, la petite Claudette grandit alors dans une ambivalence de genre et avec des expériences sexuelles marquantes. « J’ai commencé à avoir mes premiers orgasmes avec une petite fille qui devait avoir douze ans. Elle s’appelait Mireille et je l’ai toujours dans mon coeur, car c’est avec elle que j’ai ressenti mes premiers émois. »
Vers douze ans, doutes sur son identité: suis-je une fille ou un garçon ? La réponse de sa mère est claire : « tu peux être fille, tu peux être garçon, c’est toi qui choisiras en grandissant ». Et l’étonnement. Là où tous sont de l’un ou l’autre sexe, elle est des deux et préserve sa capacité de passer de l’un à l’autre. Le mot jonglage revient sans cesse au cours de ce livre qui mêle souvenirs et temporalités et dont le désir de se montrer dans une vérité nue est touchant.
Jongler et lutter
Et en effet, Claudette depuis toute petite jongle, entre les genres et les amours. Son magnétisme l’a, à ses yeux, destinée aux jeux de l’amour, du désir et de la séduction. Elle découvre tôt les richesses sexuelles de son corps. Liée par amour à une femme, avec un désir de se prouver à elle même qu’elle est bien une femme et peut travailler dans un bordel – car il n’y a pas d’hommes qui y travaillent- Elle fait le pas à Tanger, et commence, à 15 ans, à travailler au Sphinx, entre maison de passe select et maison d’abattage où « c’était cinq à dix clients toutes les heures. J’en ai eu jusqu’à cent cinquante en un jour. Ils se tenaient en file indienne d’une centaine de mètres devant la maison, dans le couloir, les escaliers, des Marocains, des Africains, des ouvriers. »
Claudette raconte sa vie, dans la trace, sans rien cacher, glorifier ou justifier, quitte à choquer, à faire faire des hauts le coeur aux moralistes, aux prétendues féministes en assumant pleinement qui elle est, ce qu’elle a fait et désire, et les luttes qui continuent à la faire avancer. Aujourd’hui, près d’un enfant sur 2000 naît hermaphrodite.[1] Les mentalités ont-elles vraiment évoluées?
Les hauts les bas d’une existence engagée
Elle raconte d’un même mouvement les passes contre des liasses de dollars d’un pays inconnu, les chambres d’hôtel à 6 euros, la médiatisation extrême ou l’anonymat, les réceptions chez les ambassadeurs et son séjour en prison conséquence de sa lutte pour la création du canton du Jura. Elle accueille les récompenses reçues, les coups durs, et toujours les amours, qu’ils soient d’une nuit, d’une semaine ou d’une vie, traits marquants d’une existence menée tambour battant.
Le travail et le sport -Claudette pratique le vélo de compétition- sont de formidables moteur de vie. Claudette rédige, dans La trace, une sorte de testament, où elle annonce, malgré les 4 cancers contre lesquels elle lutte, ses 5 opérations, un défi supplémentaire : « je vais avoir quatre-vingt ans et je vais m’attaquer au record mondial cycliste de l’heure sur piste dans la catégorie des quatre-vingts à quatre-vingt-quatre ans ».
Claudette prépare un reportage sur ce record cycliste avec la participation de sa cancérologue et l’autorisation de l’hôpital d’Annecy afin de redonner espoir aux cancéreux afin de montrer que l’on peut sortir de cette maladie avec beaucoup de courage et de positivité. Elle pense que ce sera son dernier combat… Ce projet sera monté avec Malika Gaudin-Delrieu, avec qui Claudette avait déjà travaillé sur une touchante série de portraits photos : la vie en rose. [2]
Présidente de l’associations ProCoRe (Prostitution Collectif de Réflexion), membre du comité d’Aspasie, présidente de l’ADTS (Association de Défense des Travailleuse du Sexe) : Claudette est une militante engagée depuis de nombreuses années dans la défense des droits humains. Elle lutte pour la reconnaissance du travail du sexe en tant que profession et continue de militer pour que, malgré des papiers qui disent « monsieur », elle puisse continuer de dire: « oui, je suis madame », sans honte, sans peur, et avec fierté. Sa vie est un exemple d’autodétermination et d’affirmation de soi.
Le film de Sylvie Cachin : Claudette[3] lui a rendu hommage en 2008. Il est à revoir absolument.
Le livre La trace[4] vient donner un éclairage supplémentaire aux diverses facettes de cette femme fascinante, qui invite à repenser genre, amour et sexualité, et comment ils s’articulent singulièrement pour chaque personne.
Claudette interviendra le 29 septembre prochain en marge du spectacle KKG King Kong Girl, création théâtrale sur la notion d’identité de genre et son ambivalence. [5]
[1] http://www.swissinfo.ch/fre/le-combat-des-hermaphrodites-…
[2] http://www.featureshoot.com/2014/03/malika-gaudin-delrieu…
[3]Claudette, documentaire de Sylvie Cachin, documentaire, 65 mn, 2008, Lunafilm, Suisse.
[4]La trace, dites et récits d’une hermaphrodite, travailleuse du sexe, Claudette Plumey, Christine Delory-Momberger, Téraèdre éditions, Paris, 2016.
[5]https://edu.ge.ch/site/ecoleetculture/activite/kkg-king-k…