DansLes Lueurs, Matthieu Mégevand raconte la traversée d’un tunnel et ce qui a pu, par moment, briller dans celui-ci. Récit d’une maladie survenue à 21 ans et racontée dix ans après, sous forme d’anamnèse, ce travail de mémoire éclaire ce qui a été brutalement plongé dans le tumulte et l’obscurité. Ce récit touche juste par la manière dont il nomme le surgissement de la maladie, en contraste avec la jeunesse et l’insouciance ; et par la volonté, dans l’après-coup, de retrouver scrupuleusement ce qui s’est déroulé. «C’est à moi et à moi seul que je dois demander des comptes : revenir sur ce passé qui n’est même pas si lointain, qui est un passé d’adulte, mais que dix années ont suffi à élaguer, à tordre, à réduire en minuscules lueurs qui miroitent dans les ténèbres de l’oubli».
Sutures de la mémoire
Dans Les lueurs, Matthieu Mégevand ne cesse de travailler son passé. Il interroge les événements et ses émotions d’alors, pondérés par le rabot du temps et de l’oubli. Il réalise une mise à jour et se donne aussi, dix ans après l’événement traumatique, la liberté d’envisager ce qui aurait pu se passer si … Et si l’annonce de la maladie n’avait pas été un lymphome de hodgkin ou cancer des ganglions, mais une banale grippe? Et si la chimiothérapie n’avait pas eu prise sur la maladie? Et s’il était mort plutôt que demeuré vivant ? Et si rien de tout cela n’était advenu?
Ce faisant, Matthieu Mégevand ouvre des possibilités de bifurcations et souligne l’extrême relativité de l’existence, interrogeant avec beaucoup de sensibilité, ce que vivre est. Sans forcer le trait, sans pathos, mais avec résolution, sobriété, il refait la traversée du tunnel dans l’autre sens, et nous entraîne vers le surgissement des lueurs.
Dire : un acte d’éclaircissement ?
Aidé par des cahiers noirs rédigés alors, ce travail de mémoire permet de réfléchir au statut de «la vérité», aux rôles que chacun joue dans l’existence, et ce que la parole incarne. Matthieu Mégevand ne triche pas. Il se met à poil comme on entre dans un scanner, affirme vouloir écarter tout enjolivement et mensonge. Il n’en rajoute pas… et d’ailleurs à quoi bon, le récit est en soi saisissant. Il s’agit de dire, simplement. Cette minutie et volonté se retrouvent au fil des pages. Par exemple, il ne se rappelle plus de la place que son amie d’alors jouait, ne la voit pas à des moments clés. Il le dit, simplement, nomme les trous, recompose les omissions d’alors. La disparition est création aussi, et le témoignage une possible réappropriation. Sans fards, il décrit son corps, soumis au médical, rendu passif. Ce corps qui acquiesce à tout, passager plutôt qu’acteur, balloté dans une existence dont la durée pourrait s’avérer brutalement réduite à néant.
Les lueurs est un récit saisissant qui révèle la force d’un homme de 31 ans se replaçant devant ce qui a failli l’emporter, ce qu’il en a oublié et retenu, et pourquoi, au final, il se souvient davantage, d’une histoire d’amour naissante, à défaut du jour d’annonce de sa rémission ; d’un livre de Nicolas Bouvier, d’un air de Yann Tiersen et de Lhasa de Sela, plutôt que de la ténacité de l’obscurité. Les lueurs : un hommage à la vie.
Matthieu Mégevand,
Les lueurs, récit
Lausanne, L’âge d’homme 2016, 190 p.
Ce texte est paru une première fois dans la revue choisir http://www.choisir.ch/arts-philosophie/livres/item/2594-h…