Toute honte bue ?

  • 26. juin 2022
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Le Conseil fédéral a choisi de laisser des humains s’entasser dans une impasse menant à un aéroport en détournant le regard. Talibans dans le dos, État islamique sur les flancs, compte à rebours lancé. La trappe se refermera le 31 août. Quelques uns seront sauvés par d’autres. La loterie au milieu du cauchemar. On assiste au tri à distance, comme des voyeurs.

Dans un journal genevois, un journaliste indépendant s’indigne que l’on puisse parler de honte pour qualifier la décision du Conseil fédéral de laisser les candidat-e-s afghan-e-s au départ sur le tarmac. Quelques jours après sa tribune, des explosions à l’aéroport de Kaboul tuent plus de 170 civils et 13 militaires américains. Des humains réduit en charpies volent dans tous les sens. Mais ce ne serait pas notre histoire, pas de notre ressort, circulez il n’y a rien à voir, il dit.

Le journaliste indépendant a déroulé son laïus nationaliste rejoint par un élu UDC dans le journal Le Temps sur le refus de se laisser culpabiliser, caressant dans le sens du poil celles et ceux qui pensent que la violence et le meurtre ne nous concernent plus dès que l’on dépasse un seuil de kilomètres.

Éloge de l’égoïsme : les « bons suisses travailleurs » n’ont pas à se sentir redevable de celles et ceux qui s’entassent pour accrocher un improbable avion afin de fuir le bain de sang. Le journaliste indépendant et l’élu UDC attaquent au passage la gauche (toujours moraliste et responsable de tout), qui ne ferait que louer les bienfaits de la migration.

Ils opposent les gens d’ici à ceux d’ailleurs, les nôtres aux autres, dans un réflexe de repli et de rejet, comme si les hasards de la naissance et les aléas de la vie ne nous rendaient pas toutes et tous solidaires, comme si la situation au loin ne nous concernait pas concrètement au plus proche. Il est évident que l’on doit en même temps lutter contre les inégalités ici et continuer d’offrir l’asile à des personnes menacées de mort. Davantage encore, c’est peut-être à la manière dont on traite l’étranger et accueille le persécuté que l’on reconnaît comment une société considère ses pauvres…

Mettre sur un même pied d’égalité nos conditions de vie en Suisse, la « maigreur de nos retraites », nos souffrances du quotidien, afin de délégitimer la violence radicale d’être au milieu d’une guerre sous un régime totalitaire, est immonde. La rappel d’une facture impayée ne ressemble guère au passage d’un taliban à domicile. Faire la comparaison est aussi nauséabond que de dresser le parallèle entre le port de l’étoile jaune et l’invitation vaccinale, l’établissement de mesures de prévention sanitaire et la vie sous une dictature.

Toute honte bue, celles et ceux qui prétendent faussement incarner les « racines judéo-chrétiennes » de l’Europe oublient que leur prophète disait : « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35).

Toute honte bue, ces adeptes du rejet de l’autre donnent des leçons sur la manière de tenir tête aux fanatiques religieux.. mais lâchent les innocents au moment de les sortir de leurs griffes. Ils détournent la tête pour regarder ce qu’ils ont dans leur frigo, font primer la gêne et l’embarras que leur procure l’accueil de ceux qui sont sous les couteaux des fanatiques sur le fait de sauver leur peau.

Ils parlent de valeurs et de morale mais foulent aux pieds les règles fondamentales de l’humanité: l’hospitalité, le devoir d’entraide, oubliant l’exemple de la rencontre du bon samaritain et de l’homme roué de coups (Lc 10,30), le devoir d’humanité.[1]

Sur la même ligne, toute honte bue, la conseillère fédérale Karin Keller Sutter témoigne pompeusement dans un magazine dominical que « si l’ONU le demande, la Suisse étudiera la possibilité d’accueillir des réfugiés afghans »…[2]

si l’ONU demande… la suisse étudiera. Pendant ce temps, à Kaboul: boum, et boum.

Comble de l’hypocrisie, l’option politique retenue à Berne est de jouer la montre ; soit faire encore semblant d’être disposé à agir, pour garder un vernis de générosité et d’altruisme, alors que le choix est pris de baisser les yeux et regarder ailleurs.

Les larmes de crocodiles versées sur le sort des afghan-e-s ne trompent personne. Elles font les affaires d’Erdogan et des mollahs iraniens qui auront beau jeu de demander aux européens et à la Suisse, en temps voulu, pourquoi eux devraient contenir chez eux ces afghans que personne ne souhaite accueillir, les empêcher de passer pour satisfaire à la politique de la forteresse.

A l’indignation d’avoir sacrifié notre solidarité, il faudra encore subir (et vu le courage politique de nos édiles : céder?) au chantage des tyrans, avec la bénédiction de l’extrême droite.

En refusant d’accueillir des réfugiés afghans, hors le petit nombre qui travaillait directement pour la Confédération, le Conseil fédéral trahit le passé et l’identité humaniste de la Suisse, nous expose à la morale et aux pressions des tyrans.

Toute honte bue?

 

[1] Revenons maintenant à cette parabole du bon Samaritain qui a encore beaucoup à nous enseigner Un homme blessé gisait sur le chemin. Les autorités qui l’ont croisé n’avaient pas fixé leur attention sur cet appel intérieur à devenir proches, mais sur leur fonction, sur leur position sociale, sur une profession fondamentale dans la société. Elles se sentaient importantes pour la société du moment et leur urgence était le rôle qu’elles devaient jouer. L’homme blessé et abandonné sur la route était une gêne pour ce projet, une entrave, et par ailleurs, il n’assumait aucune fonction. Il n’était rien, il n’appartenait pas à un groupe renommé, il n’avait aucun rôle dans la construction de l’histoire. Cependant, le généreux Samaritain a résisté à ces classifications, étriquées, même s’il n’appartenait à aucune de ces catégories et était un simple étranger sans place spécifique dans la société. Ainsi, libre de tout titre et de toute charge, il a été en mesure d’interrompre son voyage, de changer de projet, d’être disponible pour s’ouvrir à la surprise de l’homme blessé qui avait besoin de lui. – Pape François, Fratelli tutti, Lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale-

[2] KKS: « Il n’y a pas pour l’instant de programme de réinstallation pour des réfugiés afghans. Mais si l’ONU met un tel programme sur pied et sollicite la Suisse pour accueillir un contingent, nous examinerons bien entendu cette demande. (Femina, 29.08.2021)

 

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