Noël approche. Cette période est traditionnellement propice à des reportages souvent larmoyant au sujet des personnes à la rue, des aînés isolés, des familles monoparentales, etc., Ces derniers mettent en valeur des initiatives individuelles venant en aide à ces pauvres avec force soupes populaires, dons de vêtement, atténuant l’extrême précarité de leurs situations. Si ces actions rappellent à certains l’époque des dames Patronnesses, pour d’autres elles palient aux manquements de l’État et à une certaine banalisation de la pauvreté.
Ainsi se métamorphose la cruelle réalité quotidienne en belles histoires de Noël ramenant un peu d’humanité dans ce monde injuste, suscitant de l’empathie et atténuant la violence de notre société.
Cette générosité est décriée par certain-e-s comme étant de la charité, et cette « charité » comme fondamentalement condescendante. Elle escamoterait l’essentiel : il faut donner des droits aux plus précaires, et s’assurer qu’ils puissent les exercer. La « charité » comblerait surtout et uniquement celui qui donne. Elle ne serait ni durable, ni digne. Comme l’Homme ne se nourrit pas uniquement de rations de survie ni ne se vêtit d’habits de seconde mains, mais de la défense de ses droits et de la dignité de leur exercice, cette charité est considérée comme une compensation temporaire donnée aux pauvres, alors qu’il faudrait lutter durablement contre la pauvreté à sa racines.
Certain-e-s, raffolent de ces démonstrations de charité. Elles leur donnent bonne conscience et permettent de se faire valoir à peu de frais. Puisqu’il est de la responsabilité individuelle de s’en sortir ou non, et comme l’État devrait se mêler le moins possible de la vie et donc des précarités des citoyen-ne-s, il ne faudrait pas que sa lourdeur entrave les actions, agiles et réactives, du bon vouloir de l’entraide individuelle. La charité serait ce royaume privé ou chacun-e fait ce qu’il peut et reçoit de l’autre ce que ce dernier veut bien lui laisser. La main invisible de la charité ne donnant pas à chacun selon ses besoins, mais selon la peine qu’il inspire.
Alors: la charité sans les droits ou les droits sans la charité? Ces deux positions oublient que la charité sans les droits n’est rien d’autres qu’une poursuite de la domination de ceux qui ont sur ceux qui n’ont pas. Elles oublient aussi que les droits sans la charité composent une société technocratique où il est commode de traiter la personne comme un numéro ou un dossier, et l’exclure si ces derniers ne sont pas complets et remis en temps et en heure, et les hauts taux de non-recours aux aides sociales montrent qu’il n’est pas suffisant de donner des droits pour qu’ils soient véritablement exercés et défendus.
Noël ou pas, c’est donc toute l’année qu’il nous faut construire cette société donnant des droits aux plus précaires, mais avec charité (Caritas), c’est-à-dire avec amour et considération, afin qu’ils puissent exercer pleinement ces derniers.
La charité sans les droits, ou les droits sans la charité, ça ne marche pas.
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Une version raccourcie de cet article est paru dans la rubrique Traits libres de l’hebdomadaire Echo Magazine https://echomagazine.ch