Franchement, cette votation du 19 mai était déjà bien compliquée. Les électrices et électeurs s’étaient déjà faits assommer par une brochure explicative longue comme le bras. Ils devaient ensuite, estourbis, chercher dans une deuxième enveloppe leur parvenant en décalé, leur matériel de vote. Déjà la participation plafonnait à une poignée de pourcents (18% à J-10). On se demandait qui allait vraiment voter au final. C’est alors qu’éclatait une bombe : l’annonce de possibles manipulations de matériel de vote au service des élections et votations et ce durant des années, pouvant potentiellement avoir faussé, biaisé des résultats, et déjà entaché les votations du 19 mai.
Avant la bombe déjà, cela demandait beaucoup d’abnégation pour voter; un certain nombre de compétences pour comprendre les enjeux, se sentir certain de son choix ou à tout le moins suffisamment serein pour le lâcher, s’en remettre aux mots d’ordre des partis, aux recommandations d’un tel ou une telle. Après la bombe, instantanément, la certitude que sa voix allait porter ne semblait plus garantie. Sentiment de trahison. La bonhomme certitude de la fiabilité du processus volait en éclat. A tel point qu’il faille s’interroger froidement aujourd’hui sur qui ira au bout du processus en allant voter. A cette question, le peuple devrait donner une réponse forte: mobilisation!
C’est précisément du fait que la confiance vacille, que la crise est là, que la réponse devrait être de continuer d’avancer malgré les doutes; que les abstentionnistes devraient se mobiliser, les hésitants trancher, et les démocrates s’activer. Ne pas lâcher un centimètre sur le défaitisme, alors que la votation du 19 mai pèse « 5 milliards » et qu’elle ne doit pas être laissée aux supputations et à des enveloppes chiffonnées.
Plutôt que de s’enfoncer dans les cercles vaseux et sans réponse de l’atermoiement, dans les méandres de la démission, il est urgent de continuer de faire le pari de la confiance et du renforcement des institutions.
Continuer -et cela est plus que jamais nécessaire- de faire son travail de citoyen.ne, même si d’autres n’ont pas fait le leur ou l’ont torpillé.
Continuer de réclamer de l’Etat un sursaut moral, pousser à l’électrochoc pour sortir de la torpeur, augmenter la transparence et atteindre davantage de fiabilité. Car dans une société de plus en plus complexe on ne peut se contenter de réponses pataudes et empruntées.
Ce n’est pas parce que des zones d’ombres sont mises en lumière, que les médias font émerger des réalités cachées, que des rapports de la cour des comptes nomment des malaises, et les dénonciations au Ministère public nous font espérer d’une justice impartiale, que nous devons nous recroqueviller. Au contraire.
Ce n’est pas au moment ou les crises bouleversent l’apathie avec laquelle nous considérions notre démocratie ronronnante, que nous devrions tomber en catatonie, ou hurler tous pourris en participant soi-même au pourrissement par une démission supplémentaire ou un nihilisme désenchanté. Au contraire.
Ces coups de semonce sont salutaires. Ils démontrent le besoin de transparence, du nécessaire renouveau des modes de gouvernances et le constat de l’énorme décalage entre l’idée que l’on se fait de l’Etat, le bluff avec lequel certains ont prétendu endosser un rôle qu’ils n’ont fait que traverser, et la réalité de certaines pratiques. L’endormissement par le langage et l’omission de la réalité des faits est allée très loin. Il est temps de se réveiller de la narcose. Et réclamer moins de paraître et de coupure de rubans, pour davantage de production. Merci.
Cela ne devrait nous appeler qu’à davantage de vigilance, d’engagement, et de participation, pour renforcer, par les urnes, dans les urnes, par l’exemple, notre attachement à la démocratie, à la lumière sur toutes les pratiques obscures, et que tout agissement opaque, ou illégal, n’aie pas droit de cité, sans complaisances ni coupable laisser faire. Plutôt que de tomber dans le réflexe de meute qui est de chercher un coupable pour le crucifier cela devrait nous inviter à la réflexion : suis-je une force d’amélioration? en quoi mon engagement personnel permet d’améliorer la situation, est-ce que, dans une situation de crise, je souffle sur les braises, ris du feu qui prend ou demeure un agent de paix en recherche de solutions?
L’urgence démocratique appelle un sursaut tonique, un réveil de fond. Et plutôt que de se dire, comme des bourgeois apeurés effrayés par le qu’en dira-t-on : « mon Dieu qu’est-ce que la Suisse va penser de Genève » ; s’inquiéter pour la réputation ou l’image de notre Canton, il s’agit de toute urgence de s’atteler au chevet du corps malade, pour prendre la mesure du pouls affaibli, du souffle court, de possibles cellules cancéreuses. Les signaux d’alarme sont allumés depuis longtemps.
Je n’ai pas l’impression que le Conseil d’Etat actuel soit un étudiant de première année, mais plutôt un soignant résolu qui lutte contre une maladie mortelle pour notre démocratie. Qu’il en soit remercié. La maladie n’est pas celle de l’un ou de l’autre, elle est collective et doit nous mobiliser collectivement, conduire à une union sacrée et à un réveil des consciences. Le temps presse. On ne soigne pas le mal par le déni ou par le mal, mais avec des diagnostics précis et des mesures fortes et appropriées.