Un premier août de rêve

  • 11. mai 2020
  • air du temps
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C’est toujours spécial, à l’occasion du premier août, de sentir que du plus petit village à la plus grande ville, mais aussi à l’étranger, les Suisses.ses se rassemblent, allument des lampions; que les syndics, les maires, partagent leurs discours, que des feux sont allumés sur les collines, des pétards lancés au ciel. Chacun.e, le temps d’une journée, avec une certaine insouciance, mais aussi avec gravité, marque le coup, celui du temps qui passe, et de ce qui ne change pas : la stabilité d’une communauté, en s’interrogeant à ce qui le relie à celle-ci, hier, aujourd’hui. Je rêve d’une Suisse où chacun.e puisse s’y sentir comme à la maison.

Si la France a son quatorze juillet et son grandiloquent défilé militaire sur les champs Elysées. En Suisse, il faut aller sur le lac des Quatre-Cantons, sur la plaine du Grütli pour apercevoir quelques casques à pointe. Heureusement immobilisés, et sans déploiement d’armement.

Il s’agit davantage des soldats d’opérette qu’autre chose. Notre neutralité et notre armée de milice ont toujours prévenu trop d’exubérance à cette imbécillité militaire. Il n’empêche, l’armée suisse continue de tuer chaque année d’innocentes recrues, et en estropier quantité d’autres. Le temps viendra bientôt où l’on pourra enfin s’en débarrasser et dégager le ciel d’avions de combats sans objets ni adversaires. Notre économie, notre climat ne s’en porteront que mieux. Je rêve d’une Suisse sans armée et sans ennemis imaginaires pour se donner une raison d’être.

Il est plaisant d’évoquer que la prairie du Grütli n’est couverte par aucun monument. Et d’imaginer que le lieu fondateur est un espace d’herbes et d’arbres, sans que l’humain n’y ait posé de briques ni coulé de béton. Certes, on n’a pas encore tout à fait réussi à faire du premier août une fête honorant la Nature, une fête du commun, de la biodiversité et de la capacité à vivre en bonne intelligence avec son écosystème. Mais cela viendra. Je rêve d’une Suisse écologique et respectueuse de l’environnement, son unique capital.

Je rêve d’un drapeau Suisse où l’on ajoute une branche de sapin.

La trilogie pays/drapeau/armée est évidemment encore bien présente en ce jour de fête. On n’a pas encore réussi à se débarrasser d’un héritage mythologique fait de bruit et de fureur, de résistance alpestre et d’ancêtres arc-boutés sur leur grenier, faisant du recroquevillement et de la défense hérisson un modèle de société. Pourtant notre pays s’est fondé sur tout autre chose : l’ouverture, l’accueil, le goût du risque, et l’émigration. Je rêve d’une Suisse toujours plus ouverte et accueillante, assumant sa grandeur faite de simplicité et de générosité.

Je vois dans le drapeau Suisse non pas l’affirmation étroite d’un pré carré, mais un signal d’accueil et un espace de diversité singulier. En chérissant ce pays, on fête avant tout un espace géographique : des montagnes, des fleuves, et les animaux qui les peuplent et ne se limitent pas à une portion congrue de kilomètres carrés mais les débordent et les traversent de toutes parts.

Je rêve que l’on honore le Rhône, le Rhin, le Pô, le Danube ou l’Adige, qui prennent leur source en Suisse ou sont alimentés par des affluents prenant leur source en Suisse. Ils sont, avec les vents, nos plus puissants ambassadeurs. Je rêve d’un hommage à tout ce qui passe les frontières: les chamois, les marmottes et les milans noirs. Ils se moquent de ces vieux toblerones blocs de bétons désuets, stèles rappelant une Suisse de l’encerclement. Les abeilles volent au-dessus. Je rêve d’une Suisse sans frontières et sans peurs.

Je rêve d’une Suisse sans sexisme, sans domination du plus vieux sur le plus jeune, du plus jeune sur le plus vieux, de celui qui possède sur celui qui n’a pas.

Je rêve d’une Suisse qui sache rêver les yeux ouverts loin des vilains sbires qui veulent la ramener aux années 30.

 

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