Dans toute surprise surgit un mouvement de recul, presque de crainte. Il y a comme un murmure continu qui dit: pourquoi moi ? Que me veut-il ? N’y a-t-il pas un piège? Il y a un lien intime entre auspicieux et suspicieux. Ce lien est tissé de défiance ou de confiance et certaines mailles ne laissent plus rien passer. Ce confinement du coeur date de bien avant les virus.
Pourtant, le bonheur frappe plusieurs heures par jours à la porte… et même à chaque seconde. Boum. boum. boum. Ouvre-moi : je suis la vie, l’étonnement et le rire. Écoute-moi.
Toc toc toc à la cage thoracique.
Laisse-moi entrer, petit humain, rayonner alentour, répandre de la joie.
Engoncés dans mes vieux vêtements du doute et de la crainte, je reste suspicieux. J’oppose l’auspicieux au miracle: mes sourcils froncés, bouche fermée, regard tendu sur mon téléphone portable à l’inconnu. Je prétexte le manque de temps alors qu’il s’agit de manque de créativité. J’avance la surcharge et l’inattention : je me suis laissé coloniser par l’habitude.
Je passe à côté de l’auspicieux en disant : non merci pas aujourd’hui, je ne te connais pas, tu ne m’inspires guère confiance. Tu dois te tromper d’adresse. Je n’ai rien commandé. Je n’attends rien. Je ne peux pas te donner ma confiance comme cela. Qui crois-tu que je suis? Montre-moi ta carte d’identité. Prenons rendez-vous d’abord. La surprise, c’est quand je veux comme je veux, d’abord. Je ne fais pas l’aumône moi. Je ne crois pas à la grâce, seulement à l’arithmétique. Je sais bien que tu essaies de me vendre quelque chose auquel je ne crois pas.
L’auspicieux, le miraculeux, la rencontre inédite, je la regarde comme l’inconnu qui vient à sonner à la porte, ou comme un mendiant insistant.
Cela n’a pas toujours été comme cela pourtant. Depuis la nuit des temps, l’hospitalité était sacrée. Le voyageur était accueilli comme un messager ou un envoyé divin. Il y avait une place pour l’impensable. Aujourd’hui : moins que jamais. Dans une société du contrôle et de la consommation, l’auspicieux est suspicieux. Si tu n’as pas le bon digicode, tu restes à la rue. Le confinement du coeur date de bien avant les virus.
Allez, circule bonheur. Passe ton chemin étonnement. Vous ne m’aurez pas. Je ne vous croirai pas sur parole. Vous n’êtes pas ceux que vous prétendez être. Je ne suis pas celui que vous cherchez. Vous ne me ferez pas croire à la joie. J’ai rendez-vous dans 5mn. Je n’ai pas de temps à perdre.
L’auspicieux toque continuellement à la porte. Le suspicieux répond en verrouillant serrures et fenêtres. Qu’est-ce qui me fera soulever mes loquets pour répondre: bienvenu à toi mon inconnu, entre-donc mon silencieux, je ne te connais pas mon joyeux! Je me réjouis de t’écouter. La dernière fois que je t’ai vu, tu n’avais ni ce vêtement ni cette tête. Et pourtant…
Je ne t’attendais pas. La table a toujours été mise pour toi.
Je ne t’attendais pas. J’ai toujours gardé un sourire pour toi.
Je n’attendais rien. Je savais que tu pouvais arriver à tout moment.
Réussir le déconfinement du coeur.