C’est un joli parc de la Ville. Un panneau y annonce que la municipalité va y replanter 7 tilleuls, afin de restaurer le double alignement du parc régulier du XVIIIe siècle. Cela permettra d’accélérer la perspective menant au cœur bâti du domaine.
Ce matin-là, un gros camion aux plaques hollandaises occupe l’espace et des hommes en déchargent des arbres. Renseignements pris, auprès de l’un d’eux, les tilleuls viennent bien de Hollande (parfois seul le camion l’est, car après avoir livré en Espagne il peut remonter à vide et charger en France ou en Italie, ou alors en revenant de Pologne, ajouter du matériel en Suisse-allemande). L’homme à casquette est catégorique. Le chargement vient bien des Pays-Bas… ce qui ne veut toutefois pas encore dire que les arbres aient poussés là-bas. Peut-être viennent-ils d’abord en bateau de plus loin sourit-il, goguenard, en se moquant un peu de moi, et de nous tous finalement, montrant par son ironie, le côté illimité et dément de ces déplacements forcés et des origines masquées. Seraient-ce des tilleuls chinois ?
Bien sûr, je lui demande pourquoi les arbres ne sont pas indigènes. On ne sait plus planter des tilleuls ici ? Je repense à l’homme qui plantait des arbres, ce livre de jean Giono, qui décrit le geste simple d’un homme qui plante en une terre déserte des glands pour y faire pousser des chênes et qui, par sa générosité, repeuple entièrement une terre déserte. Je me souviens bien de la figure de ce berger, qui examinait attentivement ses glands, les choisissant soigneusement. Une phrase m’est restée : La société de cet homme donnait la paix. La terre appartenait-elle au berger? Non. Elle n’était à personne. Mais il plantait ses arbres dans la solitude et le silence, pour servir la vie, il en planta des centaines, puis des milliers, qui devinrent des dizaines de milliers.[1]
Désert urbain
Pourquoi ici, dans nos déserts urbains, réglementés, faut-il maintenant, pour les décorer, faire rouler des arbres sur des milliers de kilomètres avec une dépense de pétrole et de caoutchouc brûlé, depuis l’autre bout de l’Europe ? Pourquoi faut-il ici, avant de les mettre en terre, comme on dépote une plante pour la mettre dans un autre contenant, y ajouter force tourbe et terreuses boissons énergétiques, stimulus dopants, pour que le flétrissement de la transplantation ne survienne, que la greffe tienne? Pourquoi faut-il compter sur ses doigts le nombre d’arbres plantés, comme s’il s’agissait de pierres précieuses. Quand les bagnoles s’entassent les unes sur les autres?
Parfois la greffe prend. Parfois elle ne prend pas. L’arbre meurt. Mais il n’était finalement peut-être jamais né. On ne transplante pas les arbres et les être comme on déplace des choses. On ne plante pas 7 arbres, chichement, sur l’espace que le béton ne nous a pas encore volé, comme on refait un trottoir, en veillant simplement à ce qu’il soit à niveau, en respectant les espacements prescrits.
Une société qui ne plante plus d’arbres a-t-elle encore un avenir ?
Si un arbre tombe, on ne veut plus voir le trou, ni prendre le temps de voir pousser une graine, une tige, puis des branches, avec tous les risques d’échec, de fragilité, que cela comporte. Non. Nous voulons un arbre, direct.
Il nous faut un arbre déjà tout fait que l’on puisse planter en terre. S’il était en plastique, à la limite, ça irait aussi. Le remplacement immédiat, comme si de rien n’était. D’un claquement de doigt. Parce que le temps, c’est de l’argent. Ce serait donc lui qui imprimerait la mesure de toute chose? Parce que nous ne serions plus capables de voir pousser les plantes, les êtres, se développer les choses dans la durée, à leur rythmes?
Pourquoi ne plus planter d’arbres depuis la graine?
Peut-être, parce que cela coûte trop cher, parce que les pépiniéristes n’ont plus le temps de passer de la graine à l’arbre. Mais si c’est trop coûteux d’attendre ne devient-il pas pareillement coûteux de vivre? Si nous sommes dans une société qui ne peut plus attendre de voir pousser les arbres, comment imaginer qu’elle puisse avoir le temps d’attendre sa fin sans la précipiter, et de vivre et mourir selon les cycles et les rythmes de la nature, pas ceux du marché.
Promenons-nous dans les bois… avant que plus rien n’y soit
Je me demande si une société qui ne prend plus le temps de planter et voir pousser des arbres, peut prétendre durer encore. Alors quand je passe maintenant devant ces 7 nouveaux tilleuls du joli parc de la ville, je les regarde avec un mélange de joie et de tristesse.
Ils me font penser à des survivants ou à des malades luttant pour leur survie, sans que l’on sache bien de quel côté de la vie ils vont basculer, ni comment on peut les aider. Un peu comme nous. Nous sommes à leur image.
Par sauvage semis de graines, déposé dans ce parc, je m’efforce de les multiplier maintenant…