Certains menacent la population d’un confinement plus strict, « total », et s’en prennent d’une manière indistincte à toutes celles et ceux qui sortent, continuent d’aller dans les parcs et sur les quais pour prendre soin de leur santé physique et psychique. Cette manière de mettre la pression sur des citoyen-ne-s qui respectent pourtant les normes sanitaires en vigueur (distance de 2m, pas de regroupement à plus de 5) rajoute de l’angoisse à l’angoisse et met la pression sur des pratiques individuelles plutôt que de développer des solutions pragmatiques et accroitre les ressources collectives.
Alors que la population est sous une extrême pression, soumise à un stress puissant, que la crise sanitaire, sociale, économique est extrême et demande une union sacrée; ces menaces risquent de provoquer davantage de divisions, d’oppositions… et renforcer encore davantage les inégalités sociales.
Alors certes, oui, il y a des personnes qui ne respectent pas encore assez les normes en vigueur. Avant de menacer de verrouiller les parcs et les quais et de punir tout le monde, ne serait-il pas de bon ton de mieux informer et de renforcer les patrouilles de terrain? L’autre jour dans un parc, un groupe d’expat’ en tenue fluo faisait de la gym intensive en hurlant. C’est énervant. C’est criminel. Faut-il pour autant fermer le parc pour tout le monde? A-t-on pris soin de leur décliner les recommandations sanitaires, et ce dans différentes langues ?
Les jeunes : boucs émissaires faciles
Certains s’en sont pris aux jeunes, boucs émissaires faciles. Un mélange de commérage et de délations sur les réseaux sociaux a conduit à les stigmatiser en bloc. Pourtant des scouts ou d’autres associations de jeunesse se sont organisés partout en Suisse pour amener de l’aide. Les jeunes sont un des moteurs de solution et d’entraide à cette crise actuellement.
L’économie : point noir de la lutte pour la santé
En parallèle, ça s’entasse à plus de 40 dans les open space bancaires… ce qui ne fait pas réagir davantage notre gouvernement. Rappelons qu’à l’échelle suisse, les chantiers sont toujours ouverts, et que les caissières des supermarchés n’ont pas le droit de porter de masque. On aimerait beaucoup, plutôt que de stigmatiser les groupes sociaux les plus visibles dans l’espace public, que l’État prenne davantage soin de renforcer les contrôles dans les entreprises, protège les travailleuses et travailleurs exposés à de forts risques sanitaires, et renforce les bonnes pratiques.
L’État lui-même se doit d’être exemplaire. Or, des policiers dénoncent le fait de devoir s’entasser à trois dans leur voiture ou à plus de dix dans les postes de police confinés, sans matériel de protection adéquat. On souhaiterait que le gouvernement prenne davantage soin de protéger son personnel, respecte lui-même les mesures sanitaires en vigueur, plutôt que de menacer à grande échelle la population d’une manière indistincte.
Gare à la casse sociale et psychique!
Des personnes doivent sortir. Ce n’est pas une option. Une dame âgée souffre des poumons, son médecin lui a recommandé de marcher au moins une heure par jour. Des familles monoparentales se retrouvent seules à la maison avec des enfants en très bas âge, privés de crèche. D’autres ont des ados à la maison, télétravaillent, jonglent entre vie privée et boulot dans de petits espaces, d’autres encore ont des fragilités psychiques, des addictions, des soucis financiers. Tout cela se cumule. Sortir est un besoin vital. Une soupape de sécurité sociale. À ceux-ci on aimerait verrouiller toute sortie? À quel prix…
Le Conseil d’État a fait tout juste
Jusqu’à ce jour, le Conseil d’État a une gestion de crise efficace et pragmatique. Le ton de la menace en était jusqu’alors absent. Une ligne se dessinait. Malheureusement, le « durcissement » du langage de certains membres du gouvernement crée de la confusion dans la stratégie que poursuit l’État.
Ayant choisi de défendre, sur la même ligne que le Confédération, une ligne d’information et de sensibilisation, afin que la population soit une alliée intelligente et responsable, menacer d’une manière patiarcale et autoritaire, de placer police et armée aux coins des rues pour amender les plus pauvres, les plus précaires, les plus jeunes, celles et ceux qui n’ont ni jardin, ni terrasses, ni balcons pour s’aérer, (et parfois pas de logement), pourrait bien avoir un effet dévastateur sur la responsabilisation de chacun-e et son comportement.
L’enjeu de la justice sociale
Cette crise sanitaire est aussi le reflet d’une crise sociale. La lutte des masques est une autre forme de la lutte des classes. Il revient à l’État de maintenir la justice sociale et de permettre à celles et ceux qui doivent sortir de le faire. Fermer les espaces, barrer les parcs, risque de déplacer dans des recoins des personnes qui sortiront toujours, par nécessité. Simplement, on les verra moins, ce qui d’un point de vue sanitaire risque d’être encore plus dangereux.
Il n’y a pas de solution magique, bien évidemment, mais la logique du bouclement « total » déplacera les problèmes. D’autres pistes? Information, sensibilisation, encore et encore, renforcement des présences d’agents de l’État, sur le terrain pour rappeler les règles en vigueur, et les faire respecter. Et surtout, concertation entre les différentes communes et l’État, afin que la réponse soit cohérente et compréhensible de toutes et tous.
Plutôt que de s’en remettre à la météo qu’il fera pour jauger du monde qu’il y aura dans la rue, il appartient à l’État de renforcer son action et son message sans céder à la logique du bouclement pour toutes et tous. Chroniquement, notre système de soin est en sous-effectif. Cette crise démontre l’importance d’avoir un État fort, avec des agent–e-s sur le terrain pour faire de la population une alliée, pas une menace à sanctionner.
Il est clair que nous payons aujourd’hui sévèrement le prix des logiques néolibérales de toujours moins d’état, d’affaiblissement du système de santé, social, et d’éducation ; d’une surévaluation de la vie économique au détriment de la santé des gens.
Et il reviendrait encore à la population de payer, par l’enfermement total, le prix de ces politiques irresponsables ?