On voit donc pousser ici et là des mouvements éphémères (Genève en marche) ou à visées communicationnelles principalement (Opération Libero), sur le modèle des start-up ou des meubles Ikea, laissant entendre que les partis c’est dépassé et que l’improvisation spontanéiste serait tendance.
Face aux dinosaures de la politique il serait venu le temps des petites bêtes mutantes. Comme dans un Fablab ou un projet à la cool, voire une publicité hype, la politique se ferait en souriant dans un style très décontracté, en lissant son image, à défaut de présenter des arguments, sans se coltiner des sujets rébarbatifs comme la CPEG, RIE3, ou la RFFA, la question technique des bilatérales. Seulement voilà, l’opportunisme décomplexé s’enfilant sur des sujets porteurs en évitant de se casser les dents sur des thèmes complexes, s’il permet éventuellement de secouer des manières traditionnelles de vivre notre politique passe souvent à côté de la défense du bien commun. Il n’est que voir les dérives des mouvements comme En marche en France ou 5 étoiles en Italie pour constater le peu de consistance des mouvements champignons ou construits à la hâte autour de leaders auto-proclamés.
Le bien commune ou l’auto-promotion?
La politique est bien moins rigolote et sexy qu’il n’y paraît, y durer est un défi. C’est rêche, c’est rude, à l’image du quotidien : une lutte. Celles et ceux qui en doutent n’auront qu’à consulter, par exemple, le menu des votations du 19 mai prochain (ci-joint). Ils seront ainsi assurés, si celui du 10 février leur semblait consistant, de la dimension massive de cette échéance, nécessitant un important travail de mastication ne permettant guère aux opportunismes politiques de s’y glisser. Ce sont pourtant des enjeux cardinaux pour notre collectivité. Quelle serait la qualité du débat publique, la profondeur de notre démocratie, si les partis n’étaient pas là pour les empoigner et les décrypter ?
Travail de fond ou shopping list ?
La technicité des débats, la complexité des enjeux, leur caractère parfois contradictoire rend ardu le fait de les traiter sans les ressources organisationnelle et les compétences pour le faire (assistant.e.s parlementaires, secrétariats, élu.e.s).
En cela, l’existence des partis est fondamentale. Ils sont au cœur de notre démocratie semi-directe et représentative. Indiquant des lignes, a minima des repères; offrant lors des votations, à la simple lecture du fascicule de vote, des consignes et des balises pour s’y retrouver.
Disposer de partis dotés d’une histoire, d’un héritage et qui, votation après votation, sur tous les sujets, posent leur appréciation, demeure un bienfait collectif inestimable. De nombreuses personnes, dans la rue, disent se fier à un parti pour faire leur choix, et votent finalement en confiance en fonction de l’appréciation de telle ou telle couleur politique. L’appartenance et la reconnaissance d’une expertise alliée à des éléments affectifs oriente et assure les choix.
Sans ce travail de défrichage, à l’ère des nouvelles mensongères, des manipulations de meute des réseaux sociaux et des invasions barbares des trolls numériques, les votes risqueraient d’être toujours plus aléatoires et l’abstentionnisme toujours plus fort. La complexité des sujets, le manque de temps ou l’indécision rendent les arbitrages et prise de position délicates. Au niveau des référendums et des initiatives également, combien passeraient la rampe sans l’appui des partis ou si eux-mêmes n’en lançaient plus ?
Les partis : des valeurs sûres
Les partis sont le socle de notre démocratie. Qu’ils doivent être sans cesse investis, rénovés, réinventés, c’est évident. Qu’ils se fassent chambrer par des mouvements qui aimeraient que cela aille plus vite, ou désirant se faire bien voir sur leur dos, en obtenant les bénéfices médiatiques immédiats sans le coût du travail parlementaire, c’est de bonne guerre. Mais imaginer se passer des partis, cela serait périlleux. Des partis faibles, c’est notre démocratie affaiblie.
L’enjeu fondamental donc, plutôt que de chanter l’illusoire ou la périlleuse fin des partis, est de les investir toujours davantage pour en faire des outils au service du bien commun et non des egos de quelque un.e.s ; de renforcer le poids collectif de ces derniers pour utiliser au maximum leurs ressources et leur expertise politique au cœur même des lieux décisionnels. Et pour les partis eux-mêmes : augmenter leur niveau attractif et qualitatif dans les débats sociétaux.
Renouveler l’existant plutôt que vendre du neuf en produisant du toc
Plutôt que prétendre vouloir réinventer la roue, il est surtout important de continuer à la faire rouler dans le sens du bien commun. Pour cela, investir les partis me semble fondamental. Renforcer leurs collectifs, réaffirmer que ce sont des assemblages extraordinaires, des carrefours complexes de ressources, de compétences et de potentiels.
Notre démocratie a besoin de partis davantage investis. Ce serait une grave erreur de laisser le nihilisme ou l’acidité des espérances déçues, le spontanéisme communicationnel recouvrir le travail de fond et la résilience qui sont leur marque de fabrique.
Les partis politiques sont comme l’amour : au-delà du coup de foudre éphémère ou du flirt, ils impliquent un investissement dans la durée, dans la joie et dans la douleur. Ils sont une formidable école de vie où apprendre à perdre (échouer, échouer encore, recommencer échouer mieux, disait Beckett), où savoir gagner sans triompher, l’emporter sans humilier. Dans l’intérêt commun, toujours.
Sans retenue, je déclare ma flamme à celles et ceux qui, jour après jour, d’une manière parfois anonyme, souvent désintéressée, font vivre ces entités humaines, et par leur engagement, animent et renforcent notre incroyable mais pourtant si fragile démocratie.
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15h12 20 janv. 2019
La dent, ce coeur de l’être humain
Le 10 février, les Genevois.e.s sont appelé.e.s à voter l’initiative populaire 160 : « Pour le remboursement des soins dentaires. » Cette initiative garantit un accès équitable à des soins médicaux essentiels : les soins dentaires. Il est important de la soutenir. La langue française regorge d’expression avec le mot dents dedans, illustrant le fait que celles-ci sont bien au coeur de nos vies. Ne dit-on pas : mentir comme un arracheur de dents, avoir une dent contre quelqu’un, avoir la dent dure, avoir la (ou les) dents; se mettre quelque chose sous la dent, avoir les dents longues, être sur les dents, parler entre ses dents, se casser les dents, serrer les dents, être armé jusqu’aux dents ?
Pourtant, aujourd’hui, le système de l’assurance-santé ne couvre pas les soins dentaires. C’est une aberration totale qu’une partie du corps humain ne soit pas comprise dans le système de l’assurance-maladie. L’initiative populaire « Pour le remboursement des soins dentaires » part du constat de la mauvaise santé dentaire chez certain.e.s Genevois.es et souhaite améliorer cet situation du point de vue de la santé publique.
Une grande majorité de personnes, notamment dans la classe moyenne, n’ont en effet pas les moyens d’aller chez le dentiste, ou repoussent toujours à plus tard les soins pour des questions financière. Ils délaissent leur santé pour des raisons financières, ne pouvant se payer des soins dentaires élevés, ce qui aggrave à terme les problèmes. Les dents sont évidemment un enjeu de santé publique, mais aussi un problème social important. La profession de dentiste n’étant pas conventionnée, les tarifs des dentistes ne sont pas régulés. Pourquoi une profession échappe-t-elle ainsi à une réglementation et à un contrôle ? Il est pourtant urgent de limiter les tarifs et d’encadrer les pratiques des dentistes. Genève ne dispose actuellement pas de catalogue et fonctionne de façon archaïque puisque les médecins-conseils décident sur des bases floues. Ceci aussi afin d’éviter le tourisme médical et que des Genevois.e.s doivent aller se faire soigner à l’étranger. Cela est un signe de dysfonctionnement et n’est pas optimal pour notre économie locale.
Une assurance de l’Etat permettrait dès lors de fixer un tarif maximal pour chaque prestation. Et si les dentistes dépassaient ces tarifs, ils ne seraient pas remboursés. Ce modèle permettrait de responsabiliser les médecins en termes de résultats de santé et de charges financières, afin d’éviter une tarification à l’acte plutôt que sur l’ensemble d’un traitement.
Tout au long de la vie, les soins dentaires sont estimés à 40’000 ou 50’000.- par personne. L’élément déterminant est donc de savoir comment ces coûts doivent être répartis. Bien sûr, la prévention et la responsabilité individuelle jouent un rôle, mais tout axer sur la prévention est insuffisant. Une excellente hygiène buccale n’empêchera jamais totalement les maladies. L’assurance dentaire serait financée de manière similaire à l’AVS ou à l’assurance maternité: paritairement entre l’employeur et l’employé et en complément par l’Etat. La cotisation salariale ne dépasserait pas 1% du salaire.
Pour rappel, le 4 mars 2018, le canton de Vaud a certes refusé une initiative demandant le remboursement des soins dentaires par 57%. Mais, fait remarquable, les villes de Lausanne et de Renens l’ont acceptée, ce qui montre bien que la possibilité existe, à Genève, de faire passer cette initiative progressiste. L’assurance est un système digne mutualisant les coûts et permettant de faire une promotion active de la santé publique.
Certaines personnes en situation de précarité ne peuvent se permettre de payer des soins dentaires et y renoncent, même si elles ne fréquentent pas pour autant les services sociaux, étant situées dans la classe juste au-dessus de celle ouvrant les droits à l’aide sociale. Pour les personnes âgées, la prévention n’a que peu d’impact. Ce public aîné et économiquement fragilisé ne se voit proposer aucune piste d’amélioration ou de prise en charge. Trop de personnes âgées ne s’occupent plus de leurs dents en raison des coûts. Cela n’est pas acceptable.
Il est important de permettre à celles et ceux qui ont des problèmes dentaires, quels que soient leurs trajectoires de vie, leurs revenus, leur génétique d’être soignés et bien soignés.
Croquons donc à pleines dents dans cette initiative, mordons dans la vie, et votons OUI à des soins dentaires pour toutes et tous sans se ruiner !
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13h47 13 janv. 2019
A vingt-et-une-heure….
A vingt-et-une-heure, j’allume une bougie. J’allonge mes bras. Je regarde leur forme, leur ombre sur le mur. A vingt-et-une-heure, je pense à cette journée écoulée, à cette amie croisée dans la rue qui me dit que sa voisine s’est suicidée. A cette collègue réduite à l’hôpital suite à une atteinte grave de sa santé, qui a malgré tout bonne voix et bon moral. A cet homme qui me souffle que sa mère doit être placée en maison de vieillesse. Elle n’a plus toute sa tête. C’est Alzheimer. Je reprends les mots des rencontres d’aujourd’hui. Je les tourne doucement dans ma tête. Pour bien les entendre, comprendre, laisser s’étendre et résonner.
A la souffrance nommée. A la joie d’être vivant. Parfois, on est pris à vif. Aux combats pour aller mieux. A la lutte pour comprendre. Au besoin de partager et d’être entendu, de ne pas mourir comme un chien, ni saliver comme une bête, haleter ou suffoquer, voir partir sans se réunir autour. Non pas pour dire ce que cela fait de mourir, mais ce que cela fait vraiment d’être vivant. A chaque minute. A chaque seconde. A la fragilité de l’être.
En arriver aussi à croire que ce qui était perçu comme une relégation était finalement, parfois, encore une forme de privilège.
A vingt-et-une-heure je marche avec la maladie et à la mort, à ce qui frappe et ce qui tue, à ce qui handicape et fragilise, coupe et déracine, comme on avance avec un enfant en lui tenant la main.
Chance ? Si l’on passe entre les gouttes, ce n’est pas pour autant qu’il ne pleut, que l’averse est douce ou que l’ouragan n’est pas déchaîné. Simplement, les nuages se déplacent, le noir de la nuit et l’éclair de la foudre tombent, ailleurs: sur cette tête ou ce tibia, ce coude ou cet enfant, parfois au plus proche, sans que l’on puisse en contrôler les lois ou les vents. Ouvrir ou fermer les volets n’ordonne pas le rythme des orages. Rester cloîtré à l’intérieur, ne préserve de rien.
Comme unique paratonnerre, pour le dedans du plus proche, il y a le silence, la prière.
On devrait se réjouir d’atteindre vingt-et-une-heure: comme un marathonien est heureux d’arriver au bout de sa course, un cycliste de boucler son tour, un navigateur de rentrer au port.
On devrait arriver, à vingt-et-une-heure, comme d’autres gravissent l’Everest; en s’embrassant, en se prenant en photo, en souriant d’épanouissement, en s’appelant les uns les autres pour annoncer la bonne nouvelle, s’assurer que tout le monde a un lit, un toit, une présence à proximité, que le groupe est sain et sauf. Prendre soin les uns des autres, comme objectif premier de vie, sans trop compter ni calculer.
On devrait se fêter, d’avoir vécu une journée : de n’avoir pas chuté, pas heurté, été ni coupable ni culpabilisé, ni contraint de subir ou de faire subir, télescopé par la maladie ou la mort, n’avoir ni voulu ni exercé de violences, ni menti, ni été sali par le mensonge.
Qu’est-ce qui est pire pour toi, exercer une violence ou y être exposé?
A vingt-et-une-heure, refaire mentalement le trajet à vélo, remercier d’avoir échappé à cette voiture pressée, à ce conducteur maladroit, remercier de n’avoir pas été frappé, comme tant d’autres le sont, au hasard, à l’aveugle, par malchance, par l’AVC, la glissade, l’apathie, par l’attaque subite, par le petit caillot, par tout ce que l’on ne veut pas voir, le gros caillou, ce qui arrive dans le dos ou en pleine face, explose dans le coeur, se dissémine par le foie, quand c’est trop tard pour changer d’un pouce les doses, les trajectoires, quand il est impossible de se ravoir.
A vingt-et-une-heure je me demande quand c’était la dernière fois que je me suis rendu dans un service des urgences; arrêté dans un service hospitalier… pour entendre, partager.
A vingt-et-une-heure, j’allume une bougie, pas le grand agrandisseur en couleurs exposant les morts sensationnels, les explosions sévères, et les barricades montées. Pourquoi se gaver d’images, alors qu’il suffit d’écouter? Tendre l’oreille. Il y a cette ligne de basse, à bas bruits et constante, dedans et tout autour, et ça tombe naturellement et sans arrêt, à côté, aux étages supérieurs et inférieurs.
Il suffit de s’arrêter dans la rue et écouter, tendre l’oreille à ce qui tombe et ce qui est atteint, pour ne plus avoir d’autres soif que de vouloir mettre une trêve aux peines.
Les écrans ont pour vocation unique de distraire de l’essentiel, de ce qui demande et appelle réconfort.
A vingt-et-une-heure, j’allume une bougie. J’allonge mes bras. Je regarde leur forme, leur ombre sur le mur.
Et puis, j’étreins.