Qui sont les Yéniches? De nationalité suisse, ces compatriotes appartiennent à un groupe qui comporte entre 30’000 et 35’000 membres en Suisse, dont 3’000 à 3’500 seraient nomades. Comme le rappelle la commission fédérale contre le racisme: « les Yéniches constituent un groupe ethnique autochtone. Leur langue traditionnelle est le yéniche, une langue basée sur l’allemand empruntant des mots du romanés, de l’hébreu et du rotwelsch. Les Yéniches sont pour la plupart chrétiens catholiques ou évangéliques. Dès la fin du 19ème siècle et jusque dans les années 1970, les autorités ont tenté de sédentariser les nomades. L’action la plus connue est celle de l’Œuvre des enfants de la grand-route, instituée par Pro Juventute, qui a séparé de leurs parents plus de 600 enfants yéniches pour être placés dans des familles d’accueil, des foyers et des institutions entre 1926 et 1973, dans le but de les contraindre aux normes sociales de l’époque.[1]
Les Yéniches ont toujours de la peine à se voir reconnaître comme la quatrième ou cinquième culture de suisse, à trouver des places pour camper[2]. Celles-ci n’existent pratiquement pas à Genève, hormis à la Bécassière, à Versoix, mais qui demeure d’usage multiple. Minorité nationale reconnue en Suisse, mais mal-traitée, les Yéniches sont aujourd’hui victimes de racisme, de stéréotypes et de discriminations. Confondus avec d’autres minorités racisées, comme les roms, ils se voient dénier certains de leurs droits fondamentaux et reléguer sur les bas côtés de l’autoroute néo-libérale.
L’existence des Yéniches, la brutalité de leur quotidien nous renvoie un miroir de notre société d’exclusion, faite de clichés, et de stéréotypes, d’ignorance crasse qui veut que lorsqu’il y a une famille autour d’une caravanes les gens pensent saltimbanques, cirque Knie ou précarités roms, ajoutant des préjugés face à des destins qui sont pourtant communs (aller à l’école, travailler, payer ses impôts) et similaire à tout un chacun.e, hormis peut-être dans le fait qu’il s’agit là de citoyen.ne.s ayant érigé, pour certain.e.s, la transhumance en mode de vie. Mais en quoi une différence fonderait LA différence?
Qui sont les Yéniches ? Des citoyen.ne.s comme vous et moi. Pourquoi sont-ils relégués dans les marges de la société : parce qu’ils se distinguent et que leur différence en fait des cibles pour les discriminations qui s’affalent également sur d’autres groupes sociaux. En cela, ils sont des révélateurs puissants de nos modes normatifs. L’événement « les Suisses du voyage », sur le bateau Genève, ce 29 novembre, se donne pour mission de tordre le cou aux clichés sur les Yéniches et d’apprendre d’eux en se mettant à leur écoute.
Une exposition pour prendre place au coeur de la communauté
Un des moyens forts pour découvrir et approcher l’autre est l’image. L’exposition d’Eric Roset colle au quotidien des caravanes et nous invite à pénétrer dans le cercle de celles-ci. Ne prétendant faire ni éloge ni oeuvre nostalgique sur un mode rousseauiste d’un nomadisme traditionnel, le photographe nous emmène au coeur des familles et de leur contemporanéité. L’exposition qu’il propose permet de nous approcher de ceux qui se vivent comme des citoyen.ne.s de seconde zone et dont le quotidien renvoie à d’abyssales distances. On découvre et l’on plonge pourtant dans une certaine banalité du quotidien : repas d’anniversaire, jeux de carte, mariage, exercice de musculation, musique au coin du feu… n’étaient le maquillage dans les rétroviseurs, et le fait que les haltères soient parfois constitués de bidons de bière, rien ne distingue ce quotidien de tant d’autres. Eric Roset lève un voile sur les pratiques professionnelles : de vannerie, de rémouleur, ou les générations sont mêlées; des moments amoureux, de complicité, de foi. Entraîné dans le quotidien et l’intimité de Yéniches, sur fond de prairie verdoyante ou de bitume de parking, on découvre au travers des images une certaine légèreté qui conduit d’une image à l’autre comme l’on passe peut-être d’un canton à un autre. La figure du policier surgit au détour d’une photo comme un rappel à l’ordre des contraintes et juridictions et de leur potentiel d’entraves.
Qui sont les Yéniches? Des Suisses et Suissesses comme les autres mais aussi différents. Mais quel.le Suisse ou Suissesse n’est pas à la fois pareil.le et différent.e?
La photo de cet homme Yéniche frappant un pieu pour planter sa tente fait un écho troublant à la célèbre toile de Ferdinand Hodler « le bûcheron » que certains, à l’UDC, ont utilisé et manipulé pour en faire un essentialisme helvétique et une ode au repli sur soi et dans nos montagnes, voulant refléter une image univoque de la Suisse.
Les photos d’Eric Roset, elles, nous ouvrent à la diversité, aux identités multiples et en tension, aux questions et interrogations. Elles invitent, plutôt que de se rassembler autour de mythes crispés, à s’ouvrir à la belle et passionnante tâche de se mettre en mouvement pour se découvrir les un.e.s les autres, sans s’enfermer dans les petites boîtes toutes faites, les fiches ou calepins policiers, voire nos écrans numériques.
Au jour ou chaque habitant.e de ce pays est devenu.e un.e pendulaire et nomade, ou l’on mange en marchant ou presque, où le multilinguisme est pratiquement devenu la norme, il se pourrait bien que partir « à la découverte des Suisses du voyage » serait aussi très simplement, sobrement, aller à la rencontre les un.e.s des autres pour mieux comprendre ce qui nous distingue et ce qui nous rassemble.
A la découverte des Suisses du voyage
Jeudi 29 novembre, Bateau Genève, quai Gustave-Ador 1
18h30 Café des libertés, table ronde organisée par le CODAP
19h30 Démonstration de métiers traditionnels
19h30 Vernissage de l’expo photo d’Eric Roset
20h00 Repas découverte
20h00 Concerts
20h00 Counousse musique du voyage, Schwitzörgerlimusik
21h00 Dany Bittel Trio, Jazz manouche
22h00 Olga Kamienik Drschnaps DJOlga
Evènement co-organisé avec l’association J.M.S (Jeniche-Manouche-Sinti), le CODAP (Centre de conseils et d’appui pour les jeunes en matière de droits de l’homme), l’association Eric Roset photographe.
Avec le soutien de la fondation «Assurer l’avenir des gens du voyage suisses», la Ville de Genève et le Bateau Genève.
[1] https://www.ekr.admin.ch/services/f115/1093.html
[2] https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/jenisch-peinent-trouver-place-canton/story/17304270
Photos d’illustration : Eric Roset, Ferdinand Hodler, tous droits réservés.