Le parlement des inaudibles s’est réuni pour la première fois ce week-end à l’occasion des 30 ans de la journée de lutte contre la misère.
Le Parlement des inaudibles était composé de citoyen-ne-s de tout milieu (personnes vivant la précarité au quotidien, membres d’associations et d’institutions sociales, journalistes, élu-e-s, militant-e-s, étudiant-e-s, etc. Avec pour légitimité de prendre la parole et dire haut et fort les parcours dans la précarité et les vécus personnels.
Le Parlement des inaudibles loin de faire de grandes théories, a mis en discussion et en partage des vécus. La parole a été prise par celles et ceux qui sont directement touchés par la précarité. Les échanges ont porté sur trois thèmes vitaux : le logement, le travail, les discriminations. Les 12 propositions suivantes ont été arrêtées. Il semble incroyable qu’en 2017 il faille encore lutter pour leur mise en œuvre. Ces 12 propositions fondamentales ont été adoptées à l’unanimité.
Logement
- Personne ne doit dormir à la rue. 2. Sans adresse pas de travail : casser ce cercle vicieux. 3. Dormir en sécurité est un droit vital constitutionnellement garanti. Il doit être appliqué. 4. Transformer les espaces vides et inoccupés en logements habitables.
Travail
- Garantir des conditions de vie dignes pour chercher un travail. 2. Pas de travail pas de logement : casser ce cercle vicieux. 3. Stop aux discriminations à l’obtention d’un travail. 4 Démocratiser l’accès aux formations certifiantes et qualifiantes pour obtenir un emploi.
Discriminations
- Respect des droits pour toutes et tous, y compris pour les personnes vivant dans la précarité. 2. Garantir l’accès à toutes et à tous au domaine public. 3. Stop au délit de faciès 4. Pas de fouilles intimes dans la rue.
La force de ce moment, ce fut aussi celui des témoignages recueillis, partagés. Comme l’a relevé un parlementaire des inaudibles, le manque de conditions dignes ( se loger, se laver, se soigner, se raser) conduit des personnes sans abris à devenir des Hommes précaires, des Hommes de série B ou C.
Il faudrait avoir plus d’accompagnement pour que chacun-e- puisse faire partie de la série A. Mais ce ne sont pas aux personnes qui sont dans la précarité d’apporter les solutions. Il y a une responsabilité sociale, générale. Et beaucoup trop de gens bien se taisent, détournent les yeux, alors que des situations critiques sont glissées sous le tapis des convenances et du conformisme. Tant que les plus précaires ne ferons pas partie des priorités, malheureusement, rien ne changera. Tant que la lutte contre précarité ne sera pas une priorité sociale forte, le fossé continuera de se creuser entre ceux qui vivent la précarité dans leur chaire et les politiques qui s’occupent de beaucoup d’autres choses, parfois importantes, parfois accessoires, très souvent avec un discours décalé par rapport au vécu des citoyen-ne-s. Prendre la parole, sortir du silence, est un moyen de bouger ces lignes. Il n’y a pas de fatalité que la force de la collectivité ne peut remettre en cause.
Nous sommes les taches qui pourraient déranger les touristes
C’est curieux que l’on parle des gens qui dorment dans la rue dans la Ville où il y a le siège des Nations Unies, où on parle des droits humains. J’ai vécu trois mois au bord du Rhône. C’est difficile quand on cherche du travail. Dormir, c’est un besoin vital, comme manger. Quand toute l’énergie est prise pour chercher un endroit où dormir « correctement », c’est difficile. Après, pour prendre une douche, tu dois prendre un ticket, faire la queue. Tout prend beaucoup plus de temps. Si tu as un appartement, le réveil, prendre une douche et un petit-déjeuner, prend moins de temps que défaire ton abri et ramasser tes affaires pour ne pas être repéré. Nous sommes les taches qui pourraient déranger les touristes. Les touristes ont plus de valeur que nous. L’image de la ville est plus importante que les besoins vitaux des personnes en situation de précarité.
On est pauvres, on a des rêves à réaliser, et beaucoup à donner
Quand le logement n’est pas assuré, on doit toujours changer de place, négocier des chambres, ou des matelas pour pouvoir dormir et ne pas être à la rue. Mais pour l’adresse c’est une autre histoire. Le possible employeur te demande toujours une adresse, si tu donnes une adresse « sociale », l’employeur ne t’accepte pas. Du coup, tu restes dans la misère. Faciliter l’accès à un logement légal et un loyer juste pour les personnes qui cherchent du travail et qui auraient le droit de travailler, ça faciliterait l’intégration à la société genevoise. On est pauvres, on a des rêves à réaliser, et beaucoup à donner. On aimerait juste que le droit au logement et le droit au travail soit respecté.
Je rêve de partager des moments simples avec mes enfants
Dans ma vie, j’ai eu besoin de personnes qui étaient là pour m’épauler. Les difficultés étaient si grandes qu’elles m’ont fait oublier mes capacités et mes qualités. Avant, je travaillais, j’arrivais à avoir des petits boulots, je m’en sortais. Ce n’était pas parfait, mais je croyais encore à une vie meilleure. Mais à un moment, ma vie a basculé. J’ai perdu ma famille et avec elle tous mes repères. J’ai sombré. A un moment, quelqu’un a cru en moi, et grâce à elle, j’ai pu reprendre contact avec mes enfants, le moteur de ma vie. Je remonte une pente. Des fois je ne sais pas si j’arriverais ni où j’arriverais. Je m’accroche à la confiance que ma nouvelle famille me fait même si ma vie est très dure. J’espère qu’un jour mon rêve de partager des moments simples avec mes enfants et de pouvoir travailler comme une personne normale se réalise.
Je n’aime pas quand on me met dehors des églises
C’est très difficile de vivre dans la rue. J’aimerai que toutes les personnes qui vivent dans la rue puissent dormir à l’abri. Pas seulement en hiver. J’aimerai aussi dire à la police : Laissez-nous tranquilles ! Nous ne sommes pas des voleurs ! Ne mettez pas tout le monde dans le même sac ! Je n’aime pas quand, par exemple, je rentre dans une église pour prier ou me reposer, et que des personnes me prennent par le bras et me mettent dehors juste à cause de mon apparence.