L’Aïd-el-Kébir est la fête la plus importante de l’Islam. Elle marque le commencement de la fête du pèlerinage à la Mecque (hadj) pour trois jours, et rappelle le geste d’Ibrahim d’obéissance à Dieu. Dans le Coran, mais aussi dans la Torah ou l’Ancien testament, Ibrahim-Abraham accepte de sacrifier son fils (Ismaël-Isaac) à Dieu. Toutefois, Dieu, au dernier moment, remplace l’enfant par un mouton. Le mouton servira d’offrande sacrificielle, pas l’enfant. Les trois grands monothéismes récusent le sacrifice humain.
L’accueil et le lien
Ce lundi matin, la hall1 de Palexpo se remplit doucement. Il est 7h et des centaines de personnes convergent pour fêter l’Aïd ensemble. Toutes origines, nationalités, professions, sexes et classes sociales sont réunis pour prier. Il est touchant de voir les costumes traditionnels côtoyer les costards serrés, les jeunes en casquettes et les aîné-e-s appuyé-e-s sur leur canne se rassembler épaule contre épaule, pieds contre pieds, pour s’aligner ensemble devant Dieu.
On accède par deux escalators à la hall 1. Et si la sécurité indique aux femmes d’aller d’un côté et aux hommes de l’autre, la plupart montent alors par les escaliers pour ne pas être séparés. Et puis, de toute façon, quand ils repartiront, tous seront ensemble. La foule, compacte, la rencontre et la fête se jouent des prescriptions. Et plus tard encore, après la prière, à Balexert, quand on se retrouvera à la Migros pour le petit-déjeuner, tout le monde sera mélangé, donc…
Fête religieuse, fête sociale
On se salue, on se retrouve, on prend des nouvelles des uns et des autres. Il est touchant de découvrir la force de cette communauté genevoise. Jour de fête! Certains ont déjà prévu une sortie à Yvoire, une ballade au Salève, ou de flâner sur les quais en famille, avant le repas du soir, pour lequel le mouton, a bien sûr été commandé.
Le prêche de l’imam : une condamnation ferme de ceux qui, au nom de l’Islam, commettent des atrocités, et plongent ainsi la communauté dans l’opprobre. Un rappel que pour ceux qui volent, escroquent, se comportent mal avec les autres, la valeur de leur prière devant Dieu est nulle…
Les anciens se souviennent des fêtes de l’Aïd à la mosquée. Celle-ci était devenue trop petite par rapport à la taille de l’événement. Fêter l’Aïd là-bas était bien plus chaleureux que dans ce hangar anonyme, et avec un supplément d’âme… mais que faire? Une femme se rappelle qu’avec ses deux filles, elle se tenait avec l’une sous elle et l’autre dessus – pas évident pour prier-.
Ne pas longer les murs
Rien de tel aujourd’hui. La hall 1 peut accueillir des milliers de personnes. Ils sont peut-être 3’000 ou 3’500 ce matin. Moitié moins que l’année passée, quand l’Aïd tombait un dimanche. Travail, contraintes, difficulté de prendre du temps sur les obligations professionnelles… Mais finalement le chiffre importe peu, c’est se retrouver ensemble et se recueillir qui compte. L’accueil est chaleureux, chacun-e rappelle l’importance pour la communauté de ne pas se cacher ou avoir honte, mais se montrer telle que l’on est et d’accueillir ceux qui se rapprochent, afin de mieux s’en faire connaître.
Peut-être faudrait-il envisager une autre mosquée, et pourquoi pas des imams suisses qui connaissent mieux la réalité culturelle d’ici, avec des femmes qui géreraient la mosquée ? A discuter, ici et là, on entend le bouillonnement de la communauté. Les forces progressistes sont bien présentes, et ne demandent qu’à s’exprimer.
Genève, sa diversité est sa richesse culturelle
Parlant, rencontrant l’une ou l’autre, on prend conscience que ce sont le dialogue, les liens et ponts construits qui nous rapprochent et permettent de vivre ensemble, avec nos différences, nos points communs et même parfois des désaccords, mais jamais en s’ignorant ou se niant les uns les autres.
La grandeur de Genève, sa prospérité, c’est de permettre cela, de rejouer chaque jour la rencontre quand chacun ose faire un pas vers l’autre, un petit bout du chemin, et respecter les différences.
La fierté de Genève, c’est l’affirmation confiante d’un avenir commun; affirmation à entretenir et renforcer sans cesse.
Rien de mieux qu’une fête pour se retrouver, être ensemble, mieux se connaître, et créer des liens.
Rien de tel, pour lutter contre la peur, l’ignorance et les préjugés, qu’une fête.
Et l’humaine, l’irréductible dignité de chacun-e d’affirmer qui il est, et en quoi il croit.