A qui appartient la culture? C’est la question qu’a cherché à poser Leila el-Wakil dans son blog « la culture confisquée »[1] avant de l’abandonner rapidement pour casser ceux qui défendent le OUI au Musée d’art et d’histoire et adopter une posture partisane. C’est dommage.
Que reproche exactement Leila el-wakil à ceux qui disent OUI à un musée agrandi et rénové en Ville de Genève? Elle leur reproche de s’approprier la culture, en apposant un autocollant Oui au musée sur le panneau d’un volet du célèbre retable de Konrad Witz, et de faire ainsi « main basse sur les biens publics ». Elle va même jusqu’à se demander ce que Witz aurait pu penser de ce « kidnapping », et du « mauvais goût » de ce collage. Elle ajoute là un anachronisme à sa réflexion avant de juger lourdement les incultes qui ont osé taguer le retable sur un flyer. La culture se pratique « dans l’intelligence et passe par la connaissance » énonce-t-elle avant de reprocher aux incultes de la dénaturer… ne voyant pas combien elle démontre là une vision élitiste et réductrice de l’art.
La question » à qui appartient la culture » s’est dès lors muée en acte d’accusation et de dégradation de ceux qui ne pensent pas comme elle, et c’est dommage. C’est dommage pour elle d’abord, qui oublie toutes nuances, et finit par faire exactement ce qu’elle prétend dénoncer: prendre en otage la culture. C’est dommage ensuite pour sa position politique qui se mue en refus d’un projet novateur pour Genève et d’une culture en évolution et changement. Après l’affiche du NON qui montrait un architecte changé en Nosferatu casser le Musée d’art et d’histoire, on découvre à nouveau une vision négative, recroquevillée sur elle-même, dénigrante de la culture, s’opposant à tout changement au nom d’une vision classieuse de la culture ou figée dans le passé. Il est faux d’opposer culture ancienne et moderne. Elles devraient idéalement pouvoir voisiner, se visiter ensemble. Il n’y a pas une culture. Il y en a plusieurs. La question est plutôt: comment les faire coexister ?
Au secours Konrad Witz !
Il est ridicule d’appeler au secours Konrad Witz, prétendre parler en son nom, pour lui faire exprimer son dégoût d’avoir un autocollant sur sa toge. Cela nie toute l’histoire de l’art, qui est faite d’emprunts, d’ajouts, de collages et de détournements. Depuis la nuit des temps, de Lascaux, en passant par le mouvement Dada qui fêtera ses cent ans le 5 février, au surréalisme, au situationnisme, aux emprunts occidentaux aux arts premiers, au futurisme, jusqu’aux post-matérialistes, la culture est faite de recouvrement, de provocation et de collage…. jusqu’à l’affiche des opposants détournant Nosferatu pour le mettre à leur profit ! Il s’agit là de créativité, d’expression culturelle encore, dans toute leur dimension, et tant mieux ! Il faut d’ailleurs vraiment être un taliban de la culture pour ne pas faire la distinction entre une oeuvre d’art et un flyer de soutien à un musée renouvelé et étendu ; manquer singulièrement d’humour et de second degré pour y voir une dégradation.
La culture, toute la culture
Alors, à qui appartient la culture ? A personne! Autrement dit : à tout le monde! Ou plutôt : à tous ceux et toutes celles qui la servent, par la création, l’imagination, l’inventivité et leur sensibilité. L’enjeu n’est alors plus de savoir, contrairement à ce que pense Leila el-wakil, qui la possède, mais qui favorise son éclosion et son développement… qui passe aussi, ne lui en déplaise, par des mutations.
Qui soutient la culture, toute la culture, qui refuse de la casser, de la limiter? Qui refuse de la diviser, de couper dans les budgets culturels, que des corniches tombent, que le Musée d’art et d’histoire s’enfonce dans la marasme ? Qui lutte pour permettre une meilleur conservation des oeuvres et une augmentation des surfaces d’exposition, mais aussi qu’elle puisse continuer d’émerger dans des lieux improbables de la Ville, se transmettre, et demeurer une aventure humaine multiple? Qui lutte pour que les artistes soient reconnus, que leur travail soit rémunéré à sa juste valeur, sans mépris ni fausse considération? Qui dit oui à la culture, toute la culture?
On l’aura compris, la question à se poser n’est pas à qui appartient la culture mais qui est à son service. La culture nous constitue. Ne la limitons pas, n’empêchons pas son renouvellement. Acceptons la créativité, comme nous soutenons tout projet culturel qui augmente la qualité de vie et l’intelligence collective en Ville de Genève, en lui donnant les moyens d’exister, de rayonner.
Il serait souhaitable que les opposants, comme ceux qui soutiennent le renouvellement et l’extension du musée d’art et d’histoire, ne s’affrontent pas sur une affiche ou pour un autocollant sur une reproduction mais servent le public genevois et son intérêt légitime à disposer, sans perdre plus de temps encore, d’un vrai beau musée en Ville de Genève.
[1] http://lelwakil.blog.tdg.ch/archive/2016/01/17/la-culture-confisquee.html