C’est par hasard que je suis tombé, à la rue Lissignol, sur deux petits ouvrages d’inédits de Maurice Zundel publiés aux éditions du Tricorne (Genève) : l’humble présence et Témoin d’une présence.[1]
Qui était Maurice Zundel ? Maurice Zundel (1896-1975) était un fou. Maurice Zundel était un fou de Dieu. Maurice Zundel avait une petite démarche d’homme de Dieu. Il prenait son café sur l’avenue d’Ouchy à Lausanne avant d’aller à la paroisse du Sacré Cœur découper un saucisson sur un banc en pierre. Maurice Zundel croquait le soir une patate bouillie avec un café au lait tiède, parfois un peu de raisiné ou de beurre frais les jours de fête. Il lisait un psaume avant de se coucher, après avoir parcouru la feuille d’avis. Enfin, cela dépendait des jours. Parfois il ne lisait rien, il priait. C’était un saint, le dernier peut-être. Dieu seul le sait.
Maurice fût l’un des plus grands mystiques du XXe siècle, c’est attesté. Un XXe qui, en terme de mystique n’a pas fait fort ; c’est attesté aussi. Le vrai hit-parade, là où ça se bouscule au portillon, fût celui de la fascisation, des meurtres de masse, et de l’épuisement des ressources naturelles. Dans cette catégorie-là, ils sont légion à vouloir recevoir leurs récompenses.
Mystique de Maurice Zundel
Zundel, lui, était d’une autre hors catégorie. Il ne reçut aucun prix. Le Pape, toute la hiérarchie catholique l’ont toujours empêché, réduit à rien. Il était trop libre, dérangeant, trop fin, humble, trop simple simplement, authentique, trop croyant, trop divin, divinement.
Un grand pote à Zundel ça aurait pu être Brassens, Georges (1921-1981) mais à ma connaissance ils ne se sont jamais rencontrés ailleurs que dans le cœur du monde. Cela aurait aussi pu être Georges Haldas (1917-2010) greco-genevois qui vécu ses dernières années au Mont-Sur-Lausanne. Maurice lui venait aussi d’ailleurs, de Neuchâtel. A l’époque, venir de Neuchâtel, c’était aussi mal vu que de venir de Syrie, ou d’Afghanistan, ou d’aller à la mosquée; très très mal vu, oui.
Maurice était tellement fou qu’il pouvait écrire : « dans le mal c’est Dieu qui a mal » ou : » le vrai problème n’est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais si nous serons vivants avant la mort. »
C’était un bosseur, il écrivait, parlait, pensait : « le Bien c’est quelqu’un à aimer, pas quelque chose à faire« . C’était un bûcheur Momo Zundel, parce qu’un feu brûlait en lui, le réclamait. Pas parce qu’il voulait devenir quelqu’un d’autre ou prouver qu’il existait vraiment. Non, ce n’était pas ça, ce n’était pas un petit braquet. Il avait une œuvre à réaliser, une voix à exprimer, au-delà de lui-même, simplement.
Le féminisme n’avait pas encore passé la deuxième vitesse (1968), mais Maurice avait déjà dépassé haut la main la guerre des sexes. Cela n’avait rien à voir avec sa chasteté ou son célibat de prêtre. Femme, Homme, oiseaux, chats, chiens, dans les jardins et les forêts de Momo Zundel, toute créature était égale, parce qu’elle était avant tout créature de vie, supérieure à ses conditions d’existence, et produit d’éternité, non pas d’une classe, d’un genre, ou d’un drapeau.
Tout cela Maurice l’avait compris très vite. A croire qu’il le savait avant même d’être. Il avait dépassé les formes, les étiquettes ; les looks… de cela, il s’en foutait comme de sa première communion. Il était fixé sur l’être.
François d’Assise (1181-1226), le saint, le fou, était un intime de Momo Zundel. Il pensait un peu comme lui ou peut-être que c’est lui qui pensait dans la voie du frère d’Assise. Enfin, là encore, que ce soit une pensée avant l’autre ou l’une après l’autre, ni le copyright ni le temps linéaire n’ont jamais existé chez les grands mystiques, puisque tous boivent à la même source, plongent leurs racines dans le même terreau.
2016, année spirituelle?
On serait alors sur le levier que Galilée (1564-1642) réclamait pour faire pivoter la terre sur son axe. Ce serait la révolution, l’entrée dans une autre dimension. Et si l’on retournait le matérialisme comme un gant?
Mais cela, est-ce souhaitable? Car enfin, soyons sérieux, s’accrocher au connu, c’est si bon. L’Oréal: c’est délicieux, les barquettes en plastique brûlent très bien, même avec de la viande au centre.
L’inconnu: à repousser! Avec la peur de tomber comme les cours des bourses qui chutent, les unes après les autres, avec les mêmes autorités qui dérégulent, investissent des millions pour que la bicoque de planche de clous d’électronique et de bip- bip tienne encore malgré tout… et qu’elle nous supporte encore un peu…encore un peu… encore un peu… malgré Daech, le cancer, les casseurs, Alzheimer, les forfaits fiscaux pour les nantis, les redressements pour les autres, tout cela qui vrombit et vrille d’une manière confuse et indifférenciée. Prêts à tout pour que ça ne bouge plus? Mais le vent de l’histoire souffle. Quelles voiles lever maintenant?
Dépasser la peur
Maurice aka Momo avait dépassé la peur. Il ne travaillait que pour les choses essentielles. Du coup, il ne travaillait plus, il vivait. Simplement.
Il était devenu un passager, un voyageur solaire. Il avait du temps pour tout le monde, avait cessé de se préoccuper de lui-même. Ses plages de rendez-vous étaient végétales. Pas d‘Outlook, pas d’I-phone, il était libre pour la vie et la vie l’était pour lui.
Maintenant, Momo Zundel mange les pissenlits par la racine, mais les siens, c’est sûr, ont le goût de la lumière du sel et de l’infini. Il a fini par mourir enfin, afin de commencer à vivre sa vie d’après la vie.
Quand viendra l’hiver cosmique, pas le Winter is coming cathodique, non, mais dans la mendicité de l’infini, il n’y aura plus ni Roms ni Genevois, ni Moldaves ni Zizous ou Vaudois. On ira tous au jardin du silence, pieds nus et fragiles, les uns derrière les autres, tendre la main à Momo Zundel. Et Momo sera là, miracle! avec ses betteraves et ses choux rouges, des aliments que l’on n’aurait jamais pensé manger, que la Migros avait même catalogué invendable.
Et là, coincés entre le silence la faim et la nuit, dans la folie la joie et le crépuscule de la mort, avec de grands feux d’artifice et des publicités pour Mars et Mac Donald sur des écrans géants, des litanies d’annonces de plans vigipirate, et des partis fascisants se posant en victimes à tous les coins de rue, on se mettra debout, et avec le sourire par-dessus le marché car Il faut changer de Dieu, c’est-à-dire qu’il faut trouver Dieu dans une expérience, dans l’expérience même de l’Homme on bêchera les quelques légumes de Momo dans les jardins célestes pour les faire bouillir, se racontant des histoires pour se faire rêver en faisant claquer le D de Démocratie en se souhaitant, encore et toujours une bonne et joyeuse année sans fin, fous que nous sommes.
2016 sera-t-il spirituel ou ne sera-t-il pas?
Le vrai problème c’est d’être vivant aujourd’hui.
aurait répondu Maurice « Momo » Zundel en souriant…
car il avait de l’humour, le bougre.
[1] Marc Donzé, l’humble présence, inédits de Maurice Zundel, tome I, Editions du Tricorne, Genève, 1986.
Marc Donzé, témoin d’une présence, inédits de Maurice Zundel, tome II, Editions du Tricorne, Genève, 1987.