Le monde d’aujourd’hui est d’une complexité telle, qu’en revoyant l’histoire récente, certains, à tort ou à raison, relisent la guerre froide comme une période aimable où les fronts étaient bien dessinés et les ennemis identifiés. Les terroristes d’hier, de la fraction armée rouge aux brigades rouges, à action directe, passent désormais pour des radicaux aux pouvoirs relativement limités; presque des amateurs, avec des revendications politiques tapées à la machine à écrire, envoyées au journal du coin avant l’heure de tombée. Cela semble presque romantique aujourd’hui, appartenir à l’âge de pierre du terrorisme.
Il est à remarquer aussi qu’hier, des terroristes étaient déconsidérés par les pouvoirs en place pour être désignés comme de petits criminels (la bande à Baader plutôt que la RAF) mais qu’aujourd’hui, des petits criminels sont très facilement élevés au rang de terroristes, simplement à la longueur de leur barbe.
Les spirales de la peur et de la stigmatisation, c’est toute la teneur du langage tenu sur la 5e colonne par le Front National, qui jette la suspicion sur tous, cible les banlieues, fragmente, divise le pays, et positionne les partis d’extrême droite comme les alliés objectifs des djihadistes contre toute minorité, et particulièrement musulmane.
A qui profite la peur ?
Certes, la peur est désormais partout, pour tous. On a changé d’échelle, de manière de faire et le terrorisme est passé à l’état gazeux. Sa complexité s’allie à une apparente facilité d’action ; les kits de terroristes en herbe fleurissent sur internet et les moyens de propagation se sont démultipliés.
Nous avons un sérieux problème. Un adversaire protéiforme, puissant, se revendiquant du sacré tout en le bafouant, dans un contexte géopolitique complexe où l’essor de nouvelles technologies rend les communications volatiles. S’y ajoute un nombre de candidat-e-s à la terreur ayant grandi au rythme du désespoir touchant ceux qui n’ont plus grand chose à espérer du supermarché mondial et pour lesquels une mort médiatique serait à tout prendre le point culminant d’une vie ratée.
Et nous avons plusieurs adversaires.
La prédiction d’Andy Warhol : « à l’avenir, tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes », s’est réalisée. Si tu n’y as pas réussi de ton vivant, tu y parviendras facilement avec une ceinture d’explosifs autour du ventre. C’est le lot de consolation amer du capitalisme médiatique.
La menace a changé, la réponse doit être différente
Les discours simplistes visant à fermer les frontières, renvoyer les étrangers au diable ou cibler au faciès quelques délinquants à la dérive sont d’une naïveté absolue. Cette réaction appartient à une époque révolue. Ces politiques, si elles étaient d’une aide quelconque il y a 30 ans (à voir), ne sont plus à même d’endiguer la menace aujourd’hui, protéiforme, diffuse, prenant racine dans des lieux éclatés, favorisée par la déliquescence des solidarités humaines, un accès facilité aux armes et un manque de justice sociale.
Ces politiques du repli identitaire nous ont amené dans l’impasse aujourd’hui.
Quoi ne pas faire ?
Ceux qui voudraient s’engouffrer dans la ligne du Patriot Act qu’ont suivi les Etats-Unis suite aux attaques du 11.09.2001 avec, à la clé, une guerre ayant nourri une déstabilisation générale, un Irak éclaté et l’émergence de Daech, ceux là même qui aimeraient un Guantanamo sur Seine et enterrer la démocratie sous des mesures spéciales et des lois liberticides ne font que répondre à la pente naturelle balisée par les terroristes qui mène à… plus de terreur.
Répondre à la terreur par une coûteuse rigidité d’Etat et des postures sécuritaires ne résoudra rien, à part soigner l’audimat. La réponse doit être pondérée et à moyen-terme. Oui, plus de moyens, mais sur le terrain, pour l’appareil judiciaire, pas militaire.[1] Et pour chaque franc dans l’appareil policier ou de renseignement, deux francs pour combattre les ravages du terrorisme économique, en investissant dans l’éducation, le social et la culture.
Regardez bien les profils de ceux qui ont frappé, regardez qui ils sont et d’où ils viennent et comprenez aussi qu’ils sont le produit de la précarité sociale, de la dérive et de l’exclusion et que ce n’est pas en bombardant Raqa, même si c’est spectaculaire, que cela changera.
Vous voulez prévenir le terrorisme? Préparez la justice sociale.
Et arrêtez de croire que, par la magie d’une rhétorique, les guerres menées au nom de la démocratie peuvent être justes et la politique de guerre commerciale avec ses « ressources humaines » à exploiter être sans conséquences, en ramenant l’humain à une chose et la vie humaine à une masse exploitable.
Comment le mépris de l’autre ne pourrait-il se retourner contre celui qui le porte ?
Vous voulez faire le jeu des terroristes ? Allez-y : restreignez encore les libertés, humiliez ceux qui sont sur la corde raide, continuez d’aggraver les injustices sociales, coupez encore dans les budgets de redistribution des richesses, libéralisez libéralisez, et secouez encore ce cocktail puant jusqu’à ce qu’il vous pète au nez.[2]
Scoop : la France en guerre ?
La France se découvre en guerre. Quelle surprise que cela nous surprenne, alors qu’elle est engagée sur de multiples fronts : en guerre au Mali depuis 2012, ayant fait le coup de feu en Centrafrique, s’étant alignée contre l’Etat Islamique depuis 2014, n’ayant jamais tout à fait abandonné son rêve de grandeur impérialiste et néo-colonial, ni apaisé, 10 ans exactement après les émeutes de 2005 dans les banlieues, les abyssales inégalités sociales sur son territoire.
Vous voulez prévenir le terrorisme ? Arrêtez d’en fabriquer
Au-delà des drapeaux français qui fleurissent sur les réseaux sociaux et déteignent sur le jet d’eau à Genève, coloré d’un bleu blanc rouge solidaire et vital, mais qui soulève aussi la question, avec la poussée d’une empathie à géométrie variable, de la portée de notre engagement et la sélectivité de notre émotivité, que faire maintenant ? Le manque de contenu politique, de nos orientations et de nos afflictions nous rend friables.
La démocratie de l’émotivité nous faisant pleurer « nos morts » et pas « ces morts », comme le rappelle Julien Salingue[4], nous condamne un jour ou l’autre à être placé devant le fait que, si nous prétendons arrêter notre empathie en deçà de la ligne où frappent nos avions, il est à craindre qu’en retour, certains y trouvent la légitimité d’étendre la profondeur du front où frapperont leurs kamikazes.
Nous nous rêvions citoyens du monde, prenant des avions pour aller aux quatre coins du monde sans rien lui devoir. De quelle façon cette citoyenneté du monde, ludique et hédoniste, peut-elle continuer de se passer d’un engagement politique responsable ?
Vous reprendrez encore un peu de yoga et de shopping à Londres après cela?
La Suisse est, pour l’instant, tenue à l’écart de frappes terroristes. En raison de sa neutralité, de son non-alignement sur les guerres en cours, de son caractère lilliputien ? Parce que sa prospérité lui permet d’éviter la création de zones sinistrées, terreau du désespoir des futurs terroristes ?
Et jusqu’à quand cela ? La loi sur le renseignement soumise prochainement au vote (Lrens) ne changera rien à la réalité sur le terrain. Sans moyens pour les traiter, à quoi bon obtenir toujours plus de données ? Légiférer encore et toujours plus, alourdir l’appareil étatique, et placer des drones achetés à Israël (250 millions) sur nos têtes, tout en diminuant les prestations aux populations plus précaires, coupant dans les budgets d’aide sociale et d’éducation, dans l’aide au développement?
Ces politiques de la droite nous entraînent sur une pente mortifère qui diminue objectivement notre sécurité, jusqu’à l’état militaire.
Il nous faut aussi rappeler cette phrase de Jean Ziegler : chaque enfant qui meurt de faim dans le monde n’est pas la conséquence d’une fatalité, mais d’un meurtre. Ce meurtre porte lui aussi une signature, dont notre niveau de vie et nos facilités porte une trace.
Qui s’en occupe?
De nouvelles solidarités, nouveaux engagements
Il est beau de constater que les actes de terreur à Paris ont produit des élans de solidarité (mouvement portes ouvertes, rassemblements, solidarité internationale). Il faut maintenant aller plus loin et mener une guerre contre toutes les terreurs par un réveil des consciences et un changement fondamental des politiques que nous soutenons.
Si nous échouons, et si la réponse devait être de faire toujours la même chose encore plus fort, ce que nous proposent les tenants du repli identitaire, il est évident que cela nous conduira au même résultat… à la folie d’états à bout de souffle, incapables de se repenser, se faisant les alliés objectifs des terroristes nihilistes dans leur fuite en avant.
[1]le-juge-trevidic-la-religion-n-est-pas-le-moteur-du-jihad…
[3] le-pape-denonce-lhypocrisie-des-puissants-qui-parlent-de-…
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