Le vrai patriote est un étranger

  • 31. juillet 2017
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A l’occasion de la fête du premier août, la Ville de Genève propose de la fêter conjointement avec un autre pays, le Bénin. C’est une bonne idée et un beau signal d’ouverture. Après tout, la base du pacte fédéral, c’est une alliance, une ouverture à l’autre et au dialogue. Pas de quoi soulever de scandale donc. Et pourtant, une bande d’excités et de rétrogrades pensant que la fête nationale ne se vit qu’entre soi a trouvé bon de lancer une pétition raciste pour que la fête nationale soit réduite à une petite volonté de quant à soi chagrine et à une défense mordicus de la dévoration exclusive du schüblig ou de la fondue.[1]

J’ai fait un petit sondage dans la rue, demandant aux gens ce qu’évoquait cette journée du premier août. Au final, c’est surtout le fait d’avoir… un jour de congé, qui offre la possibilité de manger une raclette, boire des bières et rencontrer des amis. Loin, très loin des grands chants du patriotisme, et des discours politiques réchauffés autour des feux.

C’est l’aspect convivial, sympa et détendu qui prévaut. « Pour moi c’est surtout les feux d’artifice. Mais c’est aussi se retrouver entre amis pour des apéros. Cette fête est peut-être plus sympa en sortant des villes, en retrouvant le folklore des villages. » « Le premier août, pour moi, ça veut dire congé et manger du fromage, et boire du vin blanc. C’est l’occasion d’aller marcher à la montagne. » 

Des avis plus critiques aussi : « j’exècre cette fête, qui signifie l’appartenance au drapeau, le nationalisme ses risques et ses dérives. Si fêter, ça doit vouloir dire être contre les autres, alors non, je préfère rester à la maison. » Les défilés militaires et les bruits de bottes ne sont jamais très loin quand on parle de fête nationale. Chez Brassens, et chez nous, aussi.

 

Fêter la fête nationale, c’est avant tout accepter que notre pays se réinvente, qu’il n’a pas de moule unique, que ce qui fait sa force est qu’il n’a cessé de changer et d’évoluer, s’adapter.

La véritable fête serait de rappeler surtout le plaisir de vivre ensemble, la chance d’être dans un état de droit, avec le défi d’articuler une société sans discrimination, doté d’un accès équitable au travail, au logement et aux soins de santé; de partager ces valeurs avec tous ceux et celles qui s’en sentent proches.

L’enjeu n’est donc pas de savoir s’il y aura seulement de la saucisse servie au parc La Grange et des lampions rouges et blancs uniquement. Mais bien d’avoir l’ambition de faire grandir la Suisse au-delà du quant-à-soi défensif, signe de nanisme.

En y réfléchissant bien, nous avons certainement plus de proximité et de points communs avec le Bénin qu’avec une majorité d’autres cantons suisse. Cela devrait nous aider à réfléchir à ce qui fonde l’unité de notre pays et quelles sont ses limites.

La prise d’otage par des nationalistes obtus de la fête nationale est pathétique. Elle dessert notre pays.

Car au final, tout vrai patriote est un étranger chez lui. Il ne prétend pas posséder quelque chose au détriment d’autres, ni que cela lui soit acquis de droit sanguin (ou divin). Il ne prétend pas que nous soyons pareils, au Tessin, dans les Grisons ou à Genève. Il reste curieux, se demandant ce qui fait la Suisse, sa force et son intelligence, et comment la développer encore. Non pas en se recroquevillant sur soi, mais en demeurant ouvert aux différences et prompts à apprendre des autres.

Fêter la Suisse c’est reconnaître que ce dont on bénéficie ici a été hérité de générations précédentes, que ceux qui ont construit la Suisse étaient de toutes les nationalités, et ce que l’on transmettra à la suivante, sans prétention de se l’accaparer, ne dépendra évidemment pas uniquement de ceux qui ont le passeport à croix blanche.

Ce qui fait la beauté de la Suisse c’est d’avoir été capable de faire cohabiter les langues, les identités et les confessions différentes. Et au final, de nous inviter à accepter que l’on soit toujours un peu des étrangers chez soi.

A ceux qui voudraient faire du 1e août un espace clos et s’insurgent que la fête nationale, à Genève, se fasse main dans la main avec le Bénin, -dont ils ne connaissent très certainement rien-, nous disons simplement que ces gens trahissent les valeurs de Genève et de la Suisse, issues d’une longue tradition d’accueil, de curiosité et d’entraide.

Le vrai patriote est un étranger avide d’ouverture, pas un taulier défendant sa caverne.

 

 

[1] https://m.lecourrier.ch/151345/un_premier_aout_qui_fache_…

 

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