Au premier abord

  • 25. juillet 2017
  • air du temps
  • Pas de commentaire

Il faut imaginer un couple d’iraniens arrivant en touriste à Genève pour quelques jours. Et des genevois qui leur proposeraient immédiatement, après les salutations d’usage, et de joyeuses propositions de selfies, de venir partager le temps d’un soir un repas chez eux, puis de rester dormir pour la nuit, et si leur cœur leur en dit, de jouer à des jeux de cartes ou de dés à n’en plus finir, avec une petite raclette à partager, tout simplement. Pour leur faire plaisir, ils seraient même allés chercher un peu d’eau de rose ou de cardamone, afin d’agrémenter leur thé, pensant que cela leur rappellerait leur pays : délicate attention.

Il faut imaginer notre couple d’iraniens se faisant interpeller sans cesse par des Genevois curieux leur demandant : que pensez-vous de nous, de notre gouvernement, quel regard portez-vous sur nous ? Quelles sont les raisons qui vous portent à la défiance, lesquelles au rapprochement ? Pour nous, les peuples c’est une chose, les gouvernements une autre. Et vous : qu’en pensez-vous ? Des enfants viendraient tester leur anglais et aussi leurs rudiments de farsi, des étudiants diraient fièrement : je fais des études d’anthropologie, je rêve d’aller étudier à Shiraz pour mieux connaître vos traditions.

Il faut imaginer des Genevois curieux, sans jugements, s’intéressant fièrement au regard que porte l’autre sur eux, essayant de mettre en avant ce qu’ils connaissent de la culture de l’autre, par exemple, en vrac : Persépolis, la révolution de 1979, la culture ancestrale des dattes, l’inégalé savoir-faire iranien en matière de tapis. Et… ah oui, cette équipe nationale de football avec ce fameux Ali Daei, quel buteur ! L’équipe nationale se qualifiera sûrement pour la prochaine coupe du monde en Russie, avec la Suisse on espère !

Quelques généralités bien sûr, des clichés aussi, voire des erreurs manifestes. Certains penseront que les perses sont des arabes, pas des chiites mais des sunnites. Ils auront autant de peine à situer Qom ou Kerbala sur une carte qu’ils seraient choqués qu’un perse ne puisse pointer Paris ou Marseille sur une mappemonde, ou confonde Switzerland avec Sweden, quand pour eux le Kurdistan est uniquement une affaire interne turque.

Ils se souviendront de quelques vieilles images de la guerre Iran-Irak du début des années 80 jusqu’à la fin de celles-ci -plus d’un million de morts- mais auront la retenue de ne pas trop insister dessus, se rappelant vaguement le rôle que l’Europe y a joué, armant Saddam Hussein jusqu’aux dents, pour le lâcher sur son voisin. Ils n’auront pas forcément envie qu’on leur rappelle les têtes des martyres qui jalonnent sur des kilomètres les entrée des villes perses avec les bouilles de bambins et d’adolescents s’étant fait démembrer dans les tranchées d’Abadan.

On préférera évoquer Winkelried et Guillaume Tell, en  rappelant les épopées de Nicolas Bouvier et son usage du monde, les lacis de la route de la soie, ou que la Mésopotamie a été le berceau de l’humanité et la Perse son biberon, que de nombreux Suisses : Anne-Marie Schwarzenbach, Ella Maillart ont traversé ce pays charnière pour aller en Orient, et l’ont loué.

Il faut imaginer les Genevois s’interrogeant sur les coutumes de leurs hôtes : pourquoi les femmes mettent le voile chez eux, que pensent-il d’un pays de 8 millions d’habitants : est-il plus facile à gouverner qu’un de 80, sachant que la population de la Suisse entière n’atteint pas la moitié de celle de Téhéran… comment survivre au désert, irriguer la terre ? Il faut imaginer ces Genevois habité d’une curiosité discrète, et d’une modestie simple devant la culture de l’autre.

Il faut imaginer notre couple d’iraniens assailli de questions sur les quais du Mont-Blanc, esquissant des réponses politiques, sportives, religieuses, jusqu’à se perdre entre les bains des Pâquis et la gare de Cornavin, jusqu’à ce qu’un inconnu, toute affaire cessante, n’abandonne son programme de l’heure suivante pour les remettre sur le bon chemin, les accompagnant sans rien attendre en retour, au temps nécessaire de l’hospitalité.

Oui, il faut imaginer les Genevois accueillants, comme des iraniens quand on arrive chez eux.

 

 

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