Alleluia Noël : apnée ou respiration?

  • 17. janvier 2017
  • air du temps
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Nous ne nous laisserons pas emporter par la dépression, par les déflagrations. Cela a beau péter de tous côté, donner l’impression que c’est la fin du monde, la fin de l’histoire, qu’il n’y aura plus rien après notre prochain souffle – hé surprise tu es encore là toi?– nous ne nous laisserons pas tomber.

L’après vient, il est en gestation, maintenant, dépend de nos engagements, nos grandes petites mains, plongées dans le mystère du miracle d’être, du devenir gigotant avec, dans notre tube gastrique, en gestation dans la soupe primordiale colorée de milliers de calories tourbillonnantes, pour gérer l’angoisse post-brexit, post-trumpiste, pré-lepensite ou que sais-je : la farouche volonté d’être.

La farouche volonté d’aimer, de se tromper, d’oser, de recommencer, de lutter, d’écrire, de perdre, de recommencer encore, de témoigner, d’être jugé… et de s’en foutre.

Patrick Chauvel[1] quand il rentrait de reportage de guerre, tentait de se poser et de ne pas repartir immédiatement. Mais il était tellement out, en décalage entre deux mondes, à distance d’un vol de l’horreur et ramené parmi les vivants, qu’il échouait, envoyait bouler les chauffeurs de taxi qui ne savaient pas ce que c’était que Viêt-Nam ou Liban et se relançait à nouveau, sur d’autres terrains.

Ce n’est pas la catastrophe qui l’emportera, ni le double gras de la dinde aux marrons, ou la charité. Il y a une voie large entre se gaver de gras ou grogner sous les gravats, avec quelque chose de la distance à l’événement et l’engagement, pour ne pas se réfugier dans le quant-à- soi, la dépression, ou l’impuissance. Il y a mille manière de résister, de dire non. On se laissera pas bouffer la tête, ronger l’os par le cancer du renoncement.

Mille façons aussi de s’organiser, d’accroître la beauté, comme cet homme qui passe doucement de la musique à la radio le soir, choisissant des airs décalés, de jazz ou de rumba, et ouvre les fenêtres de l’esprit comme un petit calendrier de l’Avent.

Comme cette femme qui griffonne des textes sur les tables des cafés et répète d’un air inspiré à tous ceux qui lui offrent un verre : tu dois lire Le dernier testament de Ben Zion Avrohom de James Frey, tu verras un Christ déglingué revenant tel un clodo dans le New-York d’aujourd’hui… tu dois lire Antonin Artaud ou Michaux, écrire tout ce qui te passe par la tête, limer toutes tes pensées, pour faire briller une autre densité, une autre lumière.

Ces journées ou s’emboutissent sur ton écran un assassinat, une fusillade, des bombardements et des naufrages – comme si c’était quelque chose d’aussi banal qu’une liste de commissions; où tu te retrouves scotché comme un batracien devant la dureté du monde, et en même temps, où tout atteste de sa dématérialisation, car rien n’empêchera le sprint radical, décisif, forcené et bouillant vers… les cadeaux de Noël.

S’y ajoute, nécessairement le temps des rétrospectives, des hommages, des bilans, des retours en arrière, et des fleurs déposées sur les tombes. Et puisque c’est la fête des familles, c’est donc nécessairement celle de ceux qui n’en font plus partie, l’ont quitté ou glissé au-dehors. Et tu brasses tout cela, faisant mémoire par un mantra silencieux des noms disparus ou présents à jamais.

Alleluia Noël : apnée ou respiration ?

Sur le fil ou sous la flamme, vivre est encore une fête.

 

 

[1] Patrick Chauvel, rapporteur de guerre, Editions J’ai lu, 2004.

 

 

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